Le gouvernement décrié : Énervante indolence

Faut-il alors s’étonner que M. Akhannouch se soit fait siffler, le 16 juillet 2022, dans sa ville même d’Agadir, dont il est parallèlement à ses fonctions gouvernementales le maire, alors qu’il y assistait à la clôture du festival Timitar?

Après près de dix ans à se coltiner le Parti de la justice et du développement (PJD) à la tête du gouvernement, on avait cru avoir tout vu. Près de dix mois après son remplacement par le Rassemblement national des indépendants (RNI), on n’aura, pour l’heure, encore rien vu. Dans un cas comme dans l’autre, c’est la déception qui aura été de mise, bien que tous deux peuvent toujours se prévaloir de circonstances atténuantes: conjoncture post-Printemps arabe pour le premier parti cité, et, sur la fin, gestion de la plus grande crise sanitaire de l’histoire moderne, en l’occurrence celle de la Covid-19; même crise sanitaire pour le second parti dans, toutefois, un contexte de reprise générale, avec aussi à gérer les soubresauts mondiaux de l’invasion en cours depuis le 24 février 2022 de l’Ukraine par la Russie. Mais comme le faisait remarquer, à juste raison, l’influenceuse Mayssa Salama Ennaji dans l’interview qu’elle nous avait accordée dans notre numéro du 18 mars 2022, ne se dote-t-on justement pas d’un gouvernement pour faire face à l’exceptionnel? Au-delà des affaires courantes, n’est-ce pas là sa raison même d’exister?

À ce jeu, on serait presque tenté de dire que la séquence islamiste a, en comparaison, été autrement intéressante. Certes, l’idéologie PJD est aux antipodes de celle que devrait avoir et a concrètement l’État marocain: en plus d’être rétrograde, elle fait passer avant tout la fiction d’une grande Oumma supranationale au-dessus des intérêts du pays, ce qui fait que ce n’est qu’au bout d’une longue guerre d’attrition qu’il a par exemple été possible de franciser l’enseignement des matières scientifiques, de rétablir les relations avec Israël ou encore de légaliser la culture du cannabis (tandis que la mise en oeuvre de l’officialisation de la langue amazighe, pourtant actée par le biais de l’adoption de l’actuelle Constitution en juillet 2011, ou la dépénalisation partielle de l’avortement, pourtant voulue par le roi Mohammed VI lui-même, sont, elles, passées à la trappe). En somme, le Maroc y a perdu une quasi décennie.

Le RNI, pour sa part, né d’ailleurs de la cuisse même de l’Administration à un moment où le Palais cherchait à réduire l’influence des partis nationalistes, ne risque, au contraire, pas de faire preuve de la même résistance visà- vis du chantier de modernisation en cours sous l’actuel règne, mais c’est peut-être aussi parce qu’il n’en a, tout bien considéré, aucune à présenter, aucun projet de fond pour lequel, comme le PJD et en dépit de tout grief qu’on puisse faire, il se battrait. C’est comme si le parti en était finalement réduit à sa nature première purement électorale, avec comme objectif principal de faire pièce à ceux que l’État considère comme des empêcheurs de tourner en rond -les partis nationalistes hier, le PJD aujourd’hui-, avant de ne plus donner signe de vie aussitôt le scrutin passé.

Comme si, en substance, sa mission avait été accomplie avec la première place aux législatives du 8 septembre 2021, qui avait amené deux jours plus tard le roi Mohammed VI à charger son président, Aziz Akhannouch, de former le tout nouveau gouvernement, et qu’il n’y a plus qu’à attendre cinq ans encore pour rééditer le même résultat et se maintenir à la tête de l’Exécutif.

La conséquence en est, quoi qu’il en soit, une indolence, voire une indifférence, énervante à plus d’un titre, d’autant plus qu’elle n’est pas sans effet direct sur le quotidien du citoyen: elle prend par exemple les espèces d’une augmentation des prix du carburant qui elle-même entraîne une inflation plus que significative dont la gestion est totalement jetée comme un bébé avec l’eau du bain dans le camp de la banque centrale, à savoir Bank Al-Maghrib (BAM).

Mais ce ne sont pas que les prix; c’est tout le bilan d’une mandature dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle demeure, à ce jour, quelconque. Faut-il alors s’étonner que M. Akhannouch se soit fait siffler, le 16 juillet 2022, dans sa ville même d’Agadir, dont il est parallèlement à ses fonctions gouvernementales le maire, alors qu’il y assistait à la clôture du festival Timitar? Ou que, depuis bien avant, circule sur les réseaux sociaux un hashtag lui demandant de dégager? Comme pour le PJD, on en arrivera peut-être un jour à se dire que son gouvernement n’était finalement pas si mal, grâce à la relative objectivité que permet la distance temporelle. Et, on l’imagine, beaucoup n’en seront sans doute pas tellement mécontents: cela voudra en même temps dire que ce n’est plus le même cabinet qui est aux commandes. Mais il faudra peut-être attendre longtemps...

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