Le gouvernement Akhannouch présente le projet de loi de finances 2022

Un budget porté par l’endettement

De l’endettement pour le fonctionnement de l’Etat, le solde des dépenses et recettes ordinaires encore négatif mais un effort d’investissement public de 245 milliards. Mais c’est sans compter avec la possibilité de surseoir à hauteur de 14% aux dépenses d’investissement et les 30 milliards de dirhams du Fonds Mohammed VI pour l’investissement non encore mobilisés.

L’exception devient-elle la règle avec le gouvernement Akhannouch? Ce qui a été considéré comme une anomalie dans la gestion des finances publiques dans la loi de finances 2021 a été reproduit dans le projet de loi de finances 2022. En effet, selon la présentation du PLF 2022, dont la mouture a été déposée au Parlement le 18 octobre 2021 par le gouvernement Akhannouch, l’équilibre entre les recettes ordinaires du budget et les dépenses ordinaires donne un résultat négatif de 15,45 milliards de dirhams (pour la deuxième année consécutive puisque le solde de 2021 était de -25,832 milliards de dirhams). Le solde ordinaire du budget dans le projet de loi de finances 2021 est négatif. En d’autres termes, les différentes recettes fiscales et non fiscales ne suffisent même pas pour financer les dépenses ordinaires.

C’est un signal révélateur d’une mauvaise gestion du rapport entre les recettes ordinaires et les dépenses ordinaires du budget. Cette anomalie témoigne aussi de l’absence de la volonté du gouvernement de rationaliser les dépenses de fonctionnement, notamment «les dépenses de matériel et dépenses diverses, les dépenses imprévues et dotations provisionnelles », pour améliorer le solde ordinaire du budget, qui se trouvait déjà dans une situation intenable. Le gouvernement ne veut surtout pas se serrer un peu la ceinture. Le montant total des charges ressort à 519,2 MMDH pour l’année 2022, contre 476 MMDH en 2021. Soit une hausse de 9,1%. Les charges prévues dépassent même celles de 2020, qui étaient de l’ordre de 507,5 MMDH. En ce qui concerne les ressources, elles sont estimées à 460,6 MMDH en 2022, contre 432,1 MMDH en 2021, soit une hausse de 6,61%. Comprenne qui pourra! Et dire que nous sommes en crise!

Un solde négatif
Le plus dur à avaler est que sur ces 460,6 MMDH de ressources, 105,3 milliards proviennent des recettes des emprunts. Ce qui veut dire que l’endettement sert au fonctionnement de l’Etat. Il est destiné à la consommation et non à l’investissement productif et créateur de nouvelles richesses!

Par rapport à ce dernier point, l’accélération de la mise en oeuvre d’un plan de relance de l’économie nationale est l’un des piliers du projet de loi de finances 2022 le plus en vue. Et l’un des moyens incontournables pour y arriver est d’augmenter l’effort d’investissement de l’État.

C’est ce qui fut fait. Le volume total des investissements publics atteindra 245 milliards de dirhams, soit 15 milliards de dirhams de plus que 2021 (230 milliards). Un point positif puisque nous sommes passés de 182 milliards de dirhams prévus pour l’année 2020 à 230 milliards de dirhams en 2021, puis à 245 milliards en 2022. Ces investissements publics sont ventilés à raison de 88,9 milliards au profit du budget général, des comptes spéciaux du Trésor (CST) et des services d’Etat gérés de manière autonome (SEGMA), dont 87,4 milliards de dirhams rien que pour le Budget général (10 milliards de plus que ce qui a été mobilisé en 2021), 92,1 milliards (contre 81,9 milliards de dirhams en 2021) au profit des institutions et entreprises publiques, 45 milliards de dirhams pour le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (19%), et 19 milliards de dirhams pour les collectivités territoriales (8%).

Avec 10 milliards supplémentaires pour l’investissement public (du budget général), peut-on dire que cela sera suffisant pour relancer l’économie? On reste sceptique car il faut d’abord se demander si le gouvernement exécutera tout le budget consacré à cet effet surtout quand on sait que dans son article 40, le PLF autorise le gouvernement à appliquer des réserves de précaution aux crédits de paiement (87,4 milliards de dirhams) ouverts au titre des dépenses d’investissement du budget général à hauteur de 14%, en plus de la possibilité de surseoir à certaines dépenses d’investissement.

Quel effort d’investissement?
Ces 14% du budget de l’investissement public équivalent à près de 12,24 milliards de dirhams. Cela veut dire qu’au vu du tarissement des recettes ordinaires de l’Etat, le gouvernement Akhannouch peut ne pas dépenser ces 12,24 milliards de dirhams, ce qui revient à dire que le budget de l’investissement public peut être inférieur à celui de 2021. L’on se demande alors où est vraiment l’effort d’investissement public consenti par le gouvernement pour assurer une véritable relance économique.

Dans la même ligne de mire, les 45 milliards de dirhams (15 milliards provenant du Budget de l’Etat et 30 milliards sous forme de partenariats public-privé avec les institutionnels aussi bien nationaux qu’internationaux) du Fonds Mohammed VI pour l’investissement sont juste une écriture (comme cela a été déjà annoncé dans la loi de finances 2021). Car si les 15 milliards de dirhams sont prévus par le PLF 2022, l’origine des 30 milliards demeure la grande inconnue.

Et quand on se réfère aux prévisions de la croissance économique en 2022, le gouvernement table sur un taux de 3,2%, ce qui ne reflète pas vraiment la volonté du gouvernement de soutenir la locomotive qui tire vers le haut l’investissement privé. L’investissement public relance les marchés publics. Du coup, les opérateurs privés voient arriver des commandes. La productivité augmente et la création d’emploi s’en suit.

Au final, la création de richesses et d’emploi boostent en principe la croissance économique. Or, si en 2022, l’effort d’investissement public est plus important qu’en 2021, on ne voit pas l’impact sur la croissance. Si le chiffre baisse de 5,5% (prévus) pour 2021 à 3,2% (prévus également) pour 2022, c’est attribué uniquement ou principalement à la valeur ajoutée agricole (la saison 2022 ne sera pas aussi exceptionnelle que la campagne agricole 2021).

Absence de sécurité fiscale
Pourquoi n’a-t-on pas alors fait un effort pour réduire des dépenses de matériel et diverses, imprévues et dotations provisionnelles (des établissements publics)? Pour preuve, ce poste budgétaire de dépenses a connu une hausse en 2022 (55 milliards de dirhams) par rapport à 2021 (50 milliards de dirhams), soit une évolution de 10%. A préciser que même les dépenses des fonctionnaires sont passées de 139 milliards en 2021 à 147 milliards en 2021.

Ce serait normal si c’était uniquement les salaires des fonctionnaires dont le nombre augmente. Mais qu’estce qui empêchait de diminuer les primes et avantages des responsables et hauts cadres des établissements et entreprises publics ainsi que des hauts commis de l’Etat? Ne sommes-nous pas en période de crise économique? Et si les recettes de l’Etat (fiscales et non fiscales) ne suffisent plus pour couvrir les dépenses ordinaires, comment expliquer que les entreprises industrielles bénéficient seules d’une baisse de l’IS (Impôt sur les sociétés) passant ainsi de 31 à 27%? Pour ne citer que cet exemple, les entreprises de services n’ont-elles pas été, aussi, négativement impactées par les effets de la crise sanitaire?

Et pourquoi n’a-t-on pas décrété un plan d’austérité du fonctionnement des ministères, établissements publics et administrations et injecter les montants économisés dans la caisse de l’investissement public? Autre point à relever de la lecture de ce projet de loi de finances 2022: il y a eu 22 modifications sur le plan fiscal, ce qui peut être vu comme une absence de sécurité juridique en matière fiscale.

En tout état de cause, sur ce volet, force est de constater que le gouvernement a mis en place le débat contradictoire entre le contribuable et le fisc après achèvement du contrôle fiscal et avant l’émission du redressement fiscal et exonéré les produits rentrant dans la production de panneaux solaires pour donner un coup d’accélérateur au secteur de l’énergie solaire et celui des énergies renouvelables en général.

Toujours sur le plan fiscal, il est attendu que la CGEM réagisse aux propositions contenues dans le PLF 2022. Espérons que cela ne se limitera pas au volet fiscal. Car la question de l’investissement public la concerne au premier degré.

Somme toute, le gouvernement actuel n’a pas cherché à améliorer la situation financière de l’Etat ni à inventer de nouvelles solutions pour renflouer les caisses de l’Etat et réduire ainsi la dépendance de l’endettement pour le fonctionnement des services publics.

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