Les Gilets jaunes mettent la France à feu et à sang

WISSAM EL BOUZDAINI

INCOMPRÉHENSION


NOS RESPONSABLES PEUVENT SE PRÉVALOIR D’AVOIR SOUS LA MAIN UN PEUPLE PLUTÔT DOCILE.

Le Marocain que je suis éprouve parfois force difficultés à comprendre le monde où l’on vit. Prenez, à titre d’exemple, le mouvement des Gilets jaunes français. Ces derniers, depuis plusieurs semaines, mettent littéralement la France à feu et à sang, après que le président Emmanuel Macron ait pris la décision d’introduire une réforme fiscale qui impacte à la hausse le prix du carburant à la pompe afin, selon les dires de son gouvernement, d’encourager l’abandon des produits pétroliers et le passage aux énergies renouvelables. L’enfer est, comme l’on dit justement en Hexagone, pavé de bonnes intentions.

J’ai essayé, pour mieux comprendre l’affaire, d’examiner ces fameux prix, et quelle ne fut ma surprise de découvrir que le gazole, qui est le plus utilisé en France, ne coûtait en moyenne ce lundi 3 décembre 2018 que 1,4287 euro, contre 1,4305 euro pour l’essence sans-plomb 95. Mon “que” est bien sûr à nuancer. Pour beaucoup de Français, ces prix sont sans doute exorbitants, et j’imagine qu’une hausse même minimale a de grands effets, sur la durée, sur leurs finances -je n’en sais à vrai dire rien, moi qui n’a jamais conduit de ma vie. Mais que peuvent dire alors les Marocains? Depuis la libéralisation opérée en décembre 2015 par le gouvernement Abdelilah Benkirane, les prix du carburant n’ont fait qu’aller crescendo, pour être presque au même niveau pratiquement qu’en France, voire plus si l’on compare le niveau de vie ici et là. Car il faut rappeler que le salaire minimum au Maroc est presque six fois moins important. C’est comme si un Marocain devait, pour faire avancer sa voiture, payer quelque 8 euros.

Pourtant, pas de Gilets jaunes à l’horizon en dehors des gardiens de parking, qui eux aussi, au passage, n’oublient pas de vous taxer dès qu’ils le peuvent. Elle est peut-être là l’exception marocaine, tant clamée par nos responsables pendant le Printemps arabe pour dire que nous n’avons rien à voir avec la Tunisie, l’Égypte et tutti quanti et surtout décourager les jeunes qui aspiraient au changement. L’ancien secrétaire général du Mouvement populaire (MP), Mahjoubi Aherdane, expliquait il y a quelques années ce caractère, dans une interview accordée à la chaîne de télévision russe Russia Today par les origines amazighes de la plupart des Marocains, en ce que les Amazighs ne sont pas selon lui des gens fous, mais qui, culturellement, prennent généralement le temps de réfléchir avant d’agir.

C’est peut-être vrai, même si les épopées de Jugurtha, Koceïla, Dihya jusqu’à Moha Ou Hammou Zayani et Abdelkrim el-Khattabi le démentiraient plus tôt. Mais en tout cas, nos responsables peuvent se prévaloir d’avoir sous la main un peuple plutôt docile et sans histoires, à défaut d’être sans histoire. Et justement, cette dernière rappelle qu’une fois le calice bu jusqu’à la lie, la violence peut à tout moment advenir. Le gouvernement de Saâd Eddine El Othmani devrait bien en prendre de la graine. Quant à M. Macron, nous ne pouvons que lui souhaiter de se réincarner, dans une autre vie, au Maroc...

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