Ghita Alami : "Il ne faut pas hésiter à exprimer son amour en darjia"

Les Marocains ont-ils un problème avec l’amour, surtout lorsque celui-ci est exprimé en leur dialecte? La polémique suscitée par l’affaire d’une génoise qui a publié des messages romantiques sur son emballage nous interpelle sur la place qu’occupe l’amour dans notre vie et notre degré de tolérance. Éclairages avec Ghita Alami, psychologue clinicienne.

Pour célébrer la Saint-Valentin, une célèbre génoise a intégré des messages romantiques à son packaging, suscitant la colère de certains Marocains. Ces derniers ont appelé au boycott de la marque. Quelle lecture faites-vous de cette polémique?
C’est une polémique qui s’articule d’abord autour d’une interprétation erronée des messages écrits sur la génoise. Les mots d’amour seraient compris comme indécents, qui briseraient notre culture et porterait indirectement atteinte à notre religion. Ceux qui ont appelé au Boycott, l’ont fait soit par conviction soit par imitation à l’effet de groupe. Nous retrouvons ainsi, souvent, un fonctionnement rigide, un manque de tolérance ou une forme de personnalité inhibée.

Les messages diffusés par la marque sontils inappropriés et inadaptés au public cible composé majoritairement d’enfants?
Les messages n’ont rien d’inapproprié, et sont adaptés aux enfants et aux adolescents. De la même manière que les enfants ont besoin de surveillance, de limites et de règles claires. Ils ont aussi besoin qu’on leur transmette cette idée selon laquelle il est nécessaire d’exprimer ce que l’on ressent. Leur permettre de dire haut ce qu’ils pensent tout bas, est nécessaire à leur épanouissement.

Certains Marocains ont-ils un problème avec l’amour et ses expressions surtout quand celles-ci sont formulées en dialecte marocain?
Question épineuse, puisque dans ce cas de figure nous ne pouvons pas généraliser. Il est vrai que certains Marocains ont grandi dans une ambiance familiale où l’expression émotionnelle était pauvre.

Pour bien des parents, c’est une forme de pudeur à ne pas franchir. Pour d’autres, le manque d’amour au sein de la famille est plutôt le résultat de difficultés inhérentes à la vie et de souffrances psychologiques. Cette aridité expressive a des effets dévastateurs pouvant même compromettre toute acceptation de forme d’amour. L’individu ici manquant, ne connaît d’autres formes de lien que celle-ci. Et peut tendre à être agressif et violent face à toute forme affective surtout si elle est verbalisée.

Quel lien entretiennent les Marocains avec l’amour?
Le lien diffère, selon l’expérience de lien précoce mère-enfant. Celui-ci est décisif dans la vie adulte. En effet, la présence de l’amour parental, la qualité et la stabilité du lien, permettent à l’enfant de se sentir en sécurité. Elle contribue aussi à la construction d’une identité et d’une personnalité stables. Les Marocains qui ont baigné dans une atmosphère aimante, qui ont eu un lien privilégié avec la figure maternelle et un rapport équilibré au «papa», entretiennent souvent une relation épanouie avec l’amour.

Pour d’autres, qui ont tissé des relations précoces instables, ou avec des carences affectives, la relation à l’amour peut être compliquée. Ceci sans omettre les individus dont les mamans étaient évitantes, froides émotionnellement, et qui n’ont pas eu l’opportunité d’avoir au sein de la structure familiale des figures d’attachements qui combleraient ce gouffre affectif et pour qui la relation à l’amour est souvent très complexe.

Comment faire pour nous réconcilier avec l’amour et avec notre langue?
Nous réconcilier avec notre langue passe d’abord par mieux la connaître, découvrir son histoire, et connaître les grands poètes et écrivains qui la parlent et écrivent avec. La musique riche de paroles envoûtantes et de mélodies invite, à son tour, au voyage et à la découverte de la langue de manière plus aiguisée. Être plus conciliant avec l’amour, c’est aussi comprendre que tout individu en a besoin et à tout âge. Il importe de ne pas hésiter à exprimer son amour en famille, au sein du couple et avec les enfants avec la langue maternelle et en darija.

Articles similaires