Des funérailles hors de prix

Les funérailles les plus modestes n’échappent pas à une facturation aussi triste que douloureuse.

Le Ramadan est la période tout indiquée où les disparus pour l’éternité font l’objet d’un peu plus d’attention et de recueillement. Quant aux vivants en sursis ici-bas; ils semblent être plus réceptifs à leur devoir de mémoire envers leurs morts. Ce n’est pas qu’à l’occasion du pic de la Nuit du destin, mais pendant tout un mois que les cimetières connaissent une activité élevée et continue. Les proches des défunts se retrouvent subitement face à une réalité qu’ils soupçonnaient sans l’avoir complètement intégrée. La perte d’un être cher n’a pas d’équivalent matériel en terme affectif, quasiment pas de prix, mais elle a un coût.

En clair, les funérailles les plus intimes, parmi les plus modestes, n’échappent pas à une facturation aussi triste que douloureuse. Cela commence dès la mise en terre. Dans un passé pas très loin, cet acte ultime était gratuit. Il ne l’est plus. Désormais, il en coûtera à la famille entre 80 et plus de mille dirhams. Même si elle n’est pas très importante en chiffres, la différence trahit une motivation qui consiste à donner de la distinction à une tombe parmi tant d’autres. Il y a un autre facteur déterminant, celui de la distance par rapport à l’entrée du cimetière. Plus elle est courte et plus le permis d’inhumer coûte cher. Le message est tout simple; il ne faut pas trop fatiguer des visiteurs déjà inquiets par un futur incontournable. Comme quoi, les vivants ne sont pas égaux devant la mort; même s’ils semblent chercher à maintenir un écartèlement social post mortem imperturbable. Mordicus, il y a bel et bien deux types de tombes, celles des riches et les autres. C’est la toute dernière offre que l’on peut s’octroyer avant de passer de vie à trépas.

On n’est pas pour autant quitte avec ses émotions d’outre-tombe, qu’une autre distinction s’expose à notre regard; celle des caveaux de famille. On se retrouve dans une autre tranche sociale; là où les petites gens sont priées de s’abstenir. Le coût est encore plus élevé; à partir de 28 mille dirhams pour les frais de constitution et 1.500 dirhams pour les droits d’enregistrement et de conservation. Ces prix n’existent plus. Ils sont devenus périmés et franchement à la hausse, par la force d’une réalité à laquelle rien ne résiste, même pas les morts. Et même lorsqu’un mécène fait don d’un terrain reçu en héritage pour en faire un cimetière, tout comme cela vient de se passer récemment à Casablanca, où la donation a été captée et détournée de sa vocation première par les gros bonnets de la spéculation foncière.

Dans le Maroc profond, «le repas du mort» était fourni par les voisins. Cette tradition démonstrative de solidarité dans les douars et les quartiers a disparu, au profit des traiteurs. Pour ceux qui en ont les moyens, «le repas du mort» a évolué pour devenir plus proche d’un cérémonial de mariage plus que d’un rassemblement à la mémoire d’un défunt. On n’est pas encore à l’ère des crédits auprès de sociétés spécialisées, mais tout porte à croire qu’on y va à fonds perdu.

Articles similaires