Fouzi Lekjaâ, homme de l'année 2017



Comme le roi Midas de la légende, M. Lekjaâ donne l’impression de transformer tout ce qu’il touche en or.

Bill Shankly, entraineur du grand Liverpool des années 1960 et 1970, disait en son temps que le football n’était pas qu’une question de vie ou de mort, mais bien plus que cela. Pour exagérée voire tirée par les cheveux que semble cette affirmation pour certains, elle n’en a pas moins valeur de vérité pour beaucoup, surtout au Maroc, où le ballon rond est sans doute bien plus qu’ailleurs Le sport roi. Ne dit-on pas de lui qu’il est le premier parti du Royaume, qu’à cela ne plaise à nos chers politiques?

Ces derniers sont d’ailleurs les premiers à en avoir conscience et à en faire parfois eux-mêmes usage, et on imagine en tout cas peu d’entre eux pouvoir faire sortir des milliers de leurs concitoyens, dans des scènes de liesse et d’effusion patriotique comme celles que nous avons pu voir le 11 novembre 2017 après la qualification de notre sélection nationale pour sa première Coupe du monde depuis 20 ans.

Scènes de liesse
De Tanger à Lagouira et jusqu’à Paris et Bruxelles, nous avons ainsi défilé en masse sans même que nous ayons vraiment prévu le coup, déployé nos gorges pour crier haut et fort notre amour à la terre-mère, et même le roi Mohammed VI, pourtant très pris par une tournée au Golfe, trouvait le temps d’appeler Hervé Renard et Mehdi Benatia, respectivement entraîneur et capitaine de l’équipe nationale, pour les féliciter chaleureusement. Décidément, cette performance a, à coup sûr, été un des moments forts de l’exercice sortant, et s’il fallait en choisir un pour le remercier d’avoir redonné le sourire aux Marocains, ce serait sans conteste Fouzi Lekjaâ.

Un choix que nous avons d’ailleurs fait, en désignant le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) homme de l’année 2017.

Le triomphe modeste
Pour lui, comme il l’a souvent déclaré, ce sont la Fédération, le Bureau fédéral, le staff technique, administratif et logistique qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour sortir de la «malédiction». L’homme a, sans nul doute, le triomphe modeste. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de le toucher nous-mêmes de près à l’occasion de l’interview qu’il nous avait accordée en mars 2017, alors en pleine campagne pour une place au comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF). Il sera bien élu le 16 mars 2017, à une large majorité, au détriment de Mohamed Raouraoua, président de la Fédération algérienne de football (FAF)).

Nous nous étions alors, certes, donné rendez-vous dans un des endroits les plus cossus de la capitale, mais dès le premier abord, nous avons senti que l’allure du lieu ne renvoyait en rien au caractère de notre vis-à-vis, et qu’elle tranchait même avec lui.

Une poignée de mains d’abord courtoise, carrément chaleureuse; un parler qui ne s’embarrasse pas des simagrées des salons dont il est donc pourtant coutumier; mais avec l’impression d’une grande spontanéité, car on sait que celui qui est par ailleurs directeur de notre budget tient à ses relations avec les médias, et qu’il avait à ce titre tout fait par exemple pour réconcilier M. Renard avec eux après quelques mois de brouille.

«On est tous censés, chacun dans son petit carré, aider et apporter le soutien inconditionnel à l’équipe nationale qui va jouer des éliminatoires déterminantes pour la qualification à la Coupe du monde,» expliquait-il à ce sujet en juillet dernier, à l’occasion d’un dîner de presse qu’il avait justement initié pour, de ses propres mots, instaurer les règles d’échanges et de dialogue permanent. Cette anecdote est par ailleurs emblématique d’un trait que ceux qui collaborent de près avec M. Lekjaâ lui savent très bien: avec lui, tout est pris en compte, rien n’est laissé au hasard.

Un modèle de pragmatisme
«Dans le football, il est possible d’avoir des résultats accidentellement car ce n’est pas une science exacte, mais pour garder la pérennité et la régularité, seul le travail sérieux et profond peut assurer ces résultats,» nous confiait-il, ainsi, au cours de notre rencontre à Rabat (lire n°1201, du 10 au 16 mars 2017). Dont acte. Depuis son arrivée aux commandes en avril 2014, M. Lekjaâ a, de fait, travaillé d’arrache-pied pour rendre à notre football son lustre d’antan, du moins sa carrure internationale, au point d’y mettre «les tripes».

Infrastructures surtout, plus généralement (ré)organisation fédérale avec un modèle de pragmatisme et d’efficacité au niveau de la gestion,... qu’on aime ou pas, et comme c’est le cas avec la loi des finances sur laquelle planchent chaque année ses équipes au ministère de l’Economie et des Finances, on est bien obligé de reconnaître que le tout tient parfaitement l’équilibre.

«Sa principale qualité à mon avis, est qu’il sait trancher dans le vif, sans se poser trop de questions,» nous déclare à son sujet un de ses collaborateurs, mais qui préfère témoigner à titre anonyme. À la FRMF également, c’est le même son de cloche. On rappelle notamment sa décision (salvatrice, tout bien considéré) de virer Badou Zaki de son poste de sélectionneur et de le remplacer par M. Renard.

Un autre aurait sans doute, par crainte de retour de bâton en cas de mauvais résultats par la suite, préféré y aller avec des pincettes. «Il y a en lui cet homme de l’Oriental, droit, qui ne s’embarasse pas des on-dit du moment qu’il fait ce en quoi il croit, au point d’être un peu têtu sur les bords,» poursuit, hilare, notre interlocuteur du ministère des Finances. M. Lekjaâ est lui-même le premier à reconnaître qu’il est marqué au fer rouge par sa région natale, et plus précisément par Berkane (il y a vu le jour en 1970), où dès qu’il le peut il prend le premier vol pour aller notamment rendre visite à ses parents, qui résident toujours dans la ville. Preuve de son attachement à la cité des orangers, il acceptera par deux fois de prendre en charge, malgré ses engagements à Rabat, la présidence de la Renaissance, l’équipe de football locale.

Obligation morale
Il vient d’ailleurs d’être élu à sa tête, en juillet dernier, pour la troisième fois depuis 2009. «Je me sens obligé, moralement, de rendre à ma ville ce qu’elle m’a donné,» explique-t-il quand on lui pose la question. Cette «obligation morale» pourrait même bientôt, selon les bruits qui courent dans les rédactions nationales, s’illustrer politiquement, puisqu’on le dit proche du Rassemblement national des indépendants (RNI) dont son ministre, Mohamed Boussaïd, est par ailleurs membre. On le donnait d’ailleurs lui-même ministre dans le gouvernement de Saâd Eddine El Othmani, avec paraît-il l’assentiment personnel du secrétaire général du parti de la colombe, Aziz Akhannouch.

Avant, on lui prêtait une affiliation au Parti authenticité et modernité (PAM), dont il est de son propre aveu intimement lié depuis plus de deux décennies à son actuel leader, Ilyas Elomari. Ce dernier aurait justement joué un rôle clé dans son élection à la présidence de la FRMF, du fait de ses réseaux dans le milieu du football, mais quand on lui pose la question, M. Lekjaâ nie en bloc. En tout cas, une polémique avait éclaté après que M. Elomari se soit retrouvé dans l’avion de la sélection à son retour d’Abidjan après sa qualification, ce qui avait relancé les rumeurs sur la collusion entre les deux hommes.

Récupération politique
Le Parti de la justice et du développement (PJD), ennemi juré du PAM, n’avait pas manqué de s’engouffrer dans la brèche. «C’est de la récupération politique, c’est un scandale,» réagit notamment un dirigeant de la formation, joint par téléphone. Qui croire alors? Ce qui est sûr, c’est que M. Lekjaâ est adoubé par le Palais.

Ainsi, Mohammed VI lui avait confié la charge du pôle financier de la COP22 en novembre 2016 à Marrakech, ce qui n’est pas rien sachant que le Roi a pratiquement lui-même chapeauté l’organisation. Il faut dire que bien avant de devenir le patron du footbalFinances.l marocain, le Berkani s’était illustré sur des dossiers aussi brûlants que les négociations de libreéchange avec les États-Unis ou encore le Plan Maroc vert, en faisant preuve à chaque fois de beaucoup de brio. «Qu’on le veuille ou non, Lekjaâ fait indiscutablement partie de nos meilleurs cadres. A mon avis, il faut arrêter avec ces histoires de pistons, et se concentrer sur ce qu’il réalise. Et là vous le voyez-bien, les résultats parlent pour lui,» commente un collaborateur que nous avons déjà cité plus haut. «Notre football ne peut que bénéficier de son intelligence et de son sérieux,» analyse pour sa part un de ses anciens camarades à l’École nationale d’administration (ENA), que M. Lekjaâ a fréquentée au milieu des années 1990. Dire pourtant qu’il a failli ne jamais devenir fonctionnaire… à 18 ans, après son baccalauréat, il se rêvait plutôt médecin. Ou peut-être footballeur.

Intelligence et sérieux
Durant ses jeunes années, il a en effet lui-même usé ses crampons en équipe de jeunes de la Renaissance de Berkane, aux côtés notamment du futur international et buteur du championnat Mohamed Chaouch. «Mon rêve à l’époque c’était de jouer, plus je jouais et plus j’étais heureux, » se rappelle-t-il.

Mais dans la famille Lekjaâ, ce sont les études qui priment: deux de ses frères ont fait respectivement la Sorbonne et Dauphine, le troisième est docteur en économie. Le père lui-même est instituteur. Ce sera donc, après quelques hésitations, l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) de Rabat, d’où il sort diplômé en 1994 pour intégrer l’Établissement autonome de contrôle et de coordination des exportations (EACCE). Puis, après deux ans à l’ENA, l’Inspection générale des finances (IGF), où il s’occupe d’abord des secteurs administratifs, avant donc de prendre en charge le budget en 2011 suite au départ de Ali Benbrik. Depuis janvier 2016 il dirige l’Association des inspecteurs des finances.



Et maintenant? Comme le roi Midas de la légende, M. Lekjaâ donne l’impression de transformer tout ce qu’il touche en or. Coïncidence peut-être ou clin d’oeil du ciel, chacun y verra ce qu’il veut, c’est précisément sous son mandat qu’un club marocain, en l’occurrence le Wydad, a remporté la Ligue des champions de la CAF pour la première fois depuis l’avènement de Mohammed VI. Ses acolytes de la FRMF ne s’y sont, à cet égard, pas trompés en le réélisant pour un deuxième mandat de quatre ans en juillet dernier, malgré quelques tensions au cours des semaines précédentes.

Stratégie continentale
Le président du Chabab d’Al-Hoceima, Noureddine Bouchehati, proche d’ailleurs de M. Elomari, l’avait notamment accusé de s’être accaparé tous les pouvoirs, avant de se raviser par la suite. «J’ai menti,» déclarera-t-il le 18 juin sur Radio Mars. Surtout, après le Maroc, M. Lekjaâ semble décidé à conquérir l’Afrique, voire le monde. Ainsi, après sa désignation au comité exécutif de la CAF, il en devenait quelques mois plus tard vice-président, et son influence y est devenue telle que le Royaume a récupéré, après que le Kenya en ait été privé, l’organisation du Championnat d’Afrique des nations (CHAN, du 12 janvier au 4 février 2018).

On l’annonce même, à l’avenir, futur président de la confédération. Sa stratégie dans le continent, il s’en expliquait ainsi dans nos colonnes: «Une institution comme la CAF ne doit pas se limiter au rôle d’organisateur de compétitions car ce n’est pas suffisant. Il faut mener des stratégies profondes de développement. L’Histoire retient les champions de la CAN (Coupe d’Afrique des nations), mais retient aussi les infrastructures et le travail profond. Car ce sera le moyen qui permettra aux prochaines générations d’aller de l’avant et exprimer leur potentiel. » Homme de l’année 2017 donc, mais éventuellement aussi des années à venir...

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