Trophées internationaux à la pelle, deuxième qualification consécutive à la Coupe du monde: non, il y a bien loin d’un hasard pour expliquer les actuels succès footballistiques marocains.
Ce mercredi 29 juin 2022, le sélectionneur national de futsal, Hicham Dguig, est en larmes. Pour la deuxième fois consécutive, ses poulains viennent de remporter la veille dans la ville de Dammam, en Arabie saoudite, la Coupe arabe, après avoir réussi à s’imposer (3-0) en finale.
Ce qui, ajouté à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de 2020 et au parcours de quart-de-finaliste à la Coupe du monde de 2021, vient confirmer l’excellent état de santé du futsal marocain. Et constitue donc surtout pour M. Dguig un motif d’émotion, lui qui se rappelle comment avant la venue de l’actuel président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), Fouzi Lekjaâ, il peinait à obtenir un simple stage de préparation et voyait les responsables du ballon rond national d’alors lui faire sentir qu’il n’était pas tout-à-fait le bienvenu.
Alors lorsque M. Lekjaâ, assis juste à côté de lui en costume-cravate bleu nuit à la table de la conférence de presse donnée à l’occasion du titre arabe, lui demande de ne pas le remercier, M. Dguig refuse catégoriquement. “Monsieur le président, vous nous dites de ne pas vous remercier. C’est un devoir. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible, monsieur le président,” dit-il.
C’est peu dire que le triomphe des Lions de l’Atlas dans les compétitions internationales de futsal est aussi, dans une certaine mesure, celui de M. Lekjaâ. Certes, ce n’est pas lui que l’on retrouve sur le terrain, mais en dehors il fait en tout cas tout le nécessaire pour que les joueurs se retrouvent dans les conditions les meilleures pour performer: comme le révélait M. Dguig luimême dans un entretien-confession diffusé en juin 2021 par le journal électronique Elbotola, il n’avait, avant que M. Lekjaâ prenne les commandes de la FRMF, même pas de salaire et a souvent eu à puiser dans ses propres deniers pour qualifier le Maroc à sa première Coupe du monde en 2012 en Thaïlande.
Coïncidence qui n’en est sans doute pas une, c’est deux ans après l’élection de M. Lekjaâ qu’en 2016 le premier triomphe africain avait été assuré, ultérieurement à des années de domination de l’Égypte (d’ailleurs totalement balayée, soit dit en passant, en demi-finale de la Coupe arabe sur le score de cinq buts à deux).
Les meilleures conditions
Et ce que l’on peut dire du futsal peut assurément également être repris pour l’ensemble du football national: pour en rester à la seule année 2022, on a donc vu, en plus de la Coupe arabe de futsal, le Maroc rééditer son exploit des années 1990 de se qualifier à deux Coupe du monde consécutives -certes après une décevante élimination en quart-de-finale de la CAN-; les moins de 17 ans féminines, qui n’avaient jamais jusque-là vu la reine des compétitions mondiales, seront bien présentes en octobre 2022 pour y participer après leur double confrontation historique face au Ghana au tournant du mois de juin 2022; enfin, les moins de 18 ans masculins ont pu, en dépit de l’hostilité d’un public algérien toujours automatiquement acquis à l’adversaire, arracher depuis la ville d’Oran la médaille de bronze aux Jeux méditerranéens.
Participant actuellement à la quatorzième édition de la CAN féminine, organisée depuis le 2 juillet 2022 et ce jusqu’au 23 juillet 2022 par le Maroc, les Lionnes de l’Atlas pourraient, elles, très bien se voir sacrées championnes du continent, ce qui viendrait couronner le travail de haut vol mené depuis fin novembre 2020 par l’entraîneur français Reynald Pedros (sous sa férule, ce sont pas moins de 11 victoires qui ont été remportées à ce 7 juillet 2022 et ce en seize matchs seulement, contre une toute petite défaite (0-3) le 21 octobre 2021 face à l’Espagne).
Travail de modernisation
Enfin, il est impossible de faire l’impasse sur la Ligue des champions africains du Wydad de Casablanca et la Coupe de la confédération de la Renaissance de Berkane, qui feront que pour la première fois la Supercoupe mettre aux prises deux clubs marocains, sans oublier la médaille de bronze de l’AS FAR en Ligue des champions féminine: tous ont, à un moment ou un autre, pu compter sur l’appui de la FRMF, notamment l’escouade wydadie qui a pu bénéficier une semaine durant, sur invitation des instances fédérales qui en sont les propriétaires, des infrastructures dernier cri du Complexe Mohammed-VI de football dans la forêt de Maâmora, dans la banlieue de la ville de Salé, et a surtout vu M. Lekjaâ avoir la présence d’esprit de soumettre à temps la candidature de la ville de Casablanca pour accueillir la finale (ce que n’a pas fait la Fédération égyptienne de football (EFA), ce qui fait que le club d’Al-Ahly a eu finalement à affronter des Rouges qui se trouvaient devant leur public).
Bien évidemment, rien de tout cela n’aurait pu s’effectuer sans le suivi personnel du roi Mohammed VI, qui avait par exemple été derrière l’inauguration fin mars 2010 dans la ville de Sala Al-Jadida de l’Académie Mohammed-VI de football, à la tête de laquelle il avait placé son propre secrétaire particulier, à savoir Mohamed Mounir Majidi, et qui au cours des douze dernières années a donné au football marocain certaines de ses plus grandes stars, à l’instar de l’attaquant du club espagnol de Séville, Youssef En-Nesiry, ou encore du défenseur central Nayef Aguerd, qui vient d’être transféré le 18 juin 2022 au club anglais de West Ham pour la somme record pour un joueur issu du championnat national de 35 millions d’euros.
A chaque fois qu’une sélection ou un club décroche un succès international, le Souverain prend d’ailleurs personnellement le téléphone pour féliciter les concernés, ce qui fait que M. Lekjaâ est sans doute un des responsables nationaux qu’il a le plus appelés cette année 2022 car c’est par son numéro qu’il passe toujours. En plus, la FRMF continue sans doute aussi de bénéficier du travail de modernisation entamé par le général Housni Benslimane à partir du moment où ce dernier s’en était vu confier les rênes par le roi Hassan II suite à l’échec de la participation à la Coupe du monde de 1994.
Mais à coup sûr la patte personnelle de M. Lekjaâ se fait sentir à tous les niveaux. Directeur plus de dix ans durant du budget avant de prendre en charge le 7 octobre 2021 le portefeuille afférent dans le gouvernement Aziz Akhannouch, il a, au fur et à mesure, mis en oeuvre au sein de la FRMF différents procédés managériaux éprouvés au sein du ministère de l’Économie, qui font qu’avec quasiment les mêmes ressources le football marocain réussit à faire largement mieux qu’il y a une dizaine d’années.
Ainsi, au lieu par exemple de continuer de louer des plateaux de bureaux, certes cossus, en guise de siège dans le quartier de Hay Ryad, dans la ville de Rabat, M. Lekjaâ a fait contracter à la FRMF un prêt pour construire son propre siège qui lui permet aujourd’hui de ne plus avoir chaque mois à jeter, après remboursement, de l’argent par les fenêtres, en plus de disposer d’un actif immobilier hautement valorisable (il devrait d’ailleurs, selon différentes sources, bientôt être mis en vente, tandis que le nouveau siège de la fédération serait transféré au Complexe Mohammed-VI de football).
Dans ce sens, une des premières initiatives de M. Lekjaâ avait été de débaucher l’ancien directeur en charge des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP), Abdelaziz Talbi. Unanimement reconnu pour sa compétence, puisqu’il n’est autre que l’auteur du plan comptable marocain, ce dernier avait récupéré la direction de la commission de contrôle et gestion et il a aidé M. Lekjaâ à mettre en place un système managérial qui fait que toutes les transactions effectuées par la FRMF se doivent d’être initialement validées par le fameux cabinet KPMG. C’est dire si la FRMF est devenue aujourd’hui une machine bien huilée qui inspire d’ailleurs directement de nombreux autres pays africains, dont les fédérations ont procédé à la signature à partir de 2016 de différents accords de partenariat.
Le football soft power
Ce qui ramène, au passage, à l’autre dimension de la présidence de M. Lekjaâ, à savoir celle du soft power, quasiment absente auparavant: moins de deux ans après son élection en avril 2014, il se voyait bombarder vice-président de la Confédération africaine de football (CAF), dont il dirige par ailleurs également actuellement la commission des finances en plus d’être le numéro 2 de la commission des compétitions interclubs et de la gestion de l’octroi des licences.
Et ce n’est pas seulement en Afrique que M. Lekjaâ a réussi à s’imposer mais à l’échelle de la planète entière, puisque, on le sait, il siège depuis mars 2021 au conseil de la Fédération internationale de football association (FIFA), sorte de gouvernement de l’instance suprême du football mondial. Cette présence aux plus hauts sommets, elle n’est bien sûr pas que symbolique et profite pleinement au football marocain -comme par exemple dans l’affaire de la naturalisation de l’international Munir El Haddadi, qui avait nécessité que M. Lekjaâ use de son pouvoir d’influence au sein de la FIFA pour que celle-ci autorise le concerné à jouer pour le Maroc en dépit d’avoir déjà disputé un match officiel avec l’Espagne début septembre 2014.
Mais les intérêts supérieurs du Royaume y gagnent également: à titre d’illustration éloquente, l’Algérie ne pourra plus aujourd’hui essayer d’intégrer la soi-disant “République arabe sahraouie démocratique” (RASD) à la CAF après que la dernière assemblée générale de cette dernière, tenue justement à Rabat en mars 2021, a fait changer ses statuts pour que ne soient plus acceptés comme membres que les États reconnus par l’Organisation des Nations unies (ONU). Il ne serait, en tout état de cause, pas exagéré de parler aujourd’hui du Maroc comme d’une puissance footballistique international: reste seulement aux résultats sportifs de continuer à suivre, et au vu de la moisson actuelle on peut croire que les couleurs verte et rouge du drapeau national sont promises à perdurer encore au firmament du sport-roi...