Pour la ministre des Armées française, en visite officielle au Maroc depuis le 6 février 2020, la progression de la menace terroriste au Sahel est fort préoccupante. L’implication et le rôle que joue le Maroc dans la zone répond au triptyque sécurité, développement humain et formation. Un sujet qui a primé, aux côtés de la crise libyenne, dans ses échanges avec les autorités marocaines.
Votre visite au Maroc s’inscrit dans un contexte géopolitique particulier, notamment au Sahel, où les attaques jihadistes se multiplient, ce qui vous a poussée à renforcer le dispositif de l’opération Barkhane. Ce contexte-là pèsera-t-il dans vos entretiens avec votre homologue marocain?
Les pays du Sahel -Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad- font actuellement face à de nombreux enjeux: la progression de la menace terroriste est l’un des plus importants et des plus préoccupants. Nos pays paient le prix du sang dans la lutte contre le terrorisme, comme l’a tristement rappelé l’attaque du 9 janvier 2020 au Niger, qui a causé la mort de 89 soldats nigériens. Ces attaques jihadistes impliquent nécessairement une action militaire renforcée mais pas seulement. Le sommet de Pau a été décisif pour permettre l’intégration de plus de partenaires. C’est notamment le sens de la Coalition pour le Sahel demandée par nos alliés sahéliens et annoncée au sommet de Pau du 13 janvier 2020.
Sur quels piliers sera fondée justement cette coalition?
Cette coalition s’articulera autour de quatre piliers: le premier est le soutien opérationnel à la lutte contre les groupes armés terroristes, le deuxième le renforcement des capacités des forces armées, le troisième l’appui au retour de l’Etat à travers le soutien aux forces de sécurité intérieure et au renforcement de la chaîne pénale, et enfin le quatrième est consacré à la coordination des acteurs du développement. Avec le lancement de cette coalition, les opérations militaires au Sahel doivent trouver un nouveau souffle, c’est pourquoi le Président de la République a annoncé que les armées intensifieront leur effort dans la lutte contre les groupes armés terroristes. Cet effort se concentrera dans la région dite «des trois frontières», entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. En complément des renforts de 220 militaires annoncés à l’occasion du sommet de Pau, ce sont près de 400 militaires supplémentaires qui rejoindront progressivement leurs frères d’armes dans les prochaines semaines. Ainsi, la France déploiera bientôt plus de 5.100 militaires au sein de l’opération Barkhane. Le Maroc a non seulement un rôle important à jouer au Sahel, mais dispose d’une expertise avérée et reconnue, la situation dans cette région sera naturellement présente dans mes échanges avec les autorités marocaines.
Des spécialistes français avancent que le Maroc demeure le seul partenaire fiable de la France en matière de lutte contre le terrorisme au Sahel, sachant qu’il ne contribue pas directement à l’opération Barkhane. Comment l’expliquez-vous?
Le Maroc s’est engagé très tôt dans la lutte anti-terroriste au Sahel, en mobilisant son expertise et son soutien aux pays de la région. Constatant, comme nous, que la dimension sécuritaire est nécessaire mais insuffisante à elle seule, son implication dans la zone répond à un triptyque sécurité, développement humain et formation qui fait écho à la vision qui a été portée au sommet de Pau. Cette approche et ces actions font du Maroc un partenaire fiable et essentiel pour la lutte contre le terrorisme, pour nous comme pour les pays du Sahel.
Au Sahel, Paris veut donner un coup de fouet à un dispositif que ses détracteurs accusent de s’enliser. Un dispositif qui suscite de plus en plus de critiques au sein des opinions publiques africaines. Quel est votre commentaire?
Le sommet de Pau a réuni les chefs d’Etat du G5 Sahel et a été marqué par la participation d’organisations partenaires -Secrétaire général des Nations Unies, Président du Conseil européen et Haut représentant, président de la commission de l’Union africaine et Secrétaire générale de la Francophonie. Elle a attesté d’une très grande unité et a reflété l’engagement décisif de la communauté internationale. À Pau, les Etats du G5 Sahel ont clairement exprimé leur souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel. In fine, ce que nous voulons est simple: il s’agit de permettre à ces pays de retrouver la stabilité à laquelle les populations aspirent, et empêcher que ces territoires ne deviennent un sanctuaire pour jihadistes. Certaines critiques ont pu se développer contre la présence française, et il ne faut pas être naïf, elles ont souvent été instrumentalisées. Mais les chefs d’Etat du G5 ont été extrêmement clairs lors du sommet de Pau, ils ont montré une grande unité d’action avec la France, un soutien complet à son action, et une vraie détermination à agir.
La crise en Libye et la situation sécuritaire inquiétante qui règne dans ce pays de la région est-elle au centre des discussions avec votre homologue marocain? Cette situation serait-elle, en partie du moins, derrière la multiplication des actions jihadistes au Sahel?
Les conséquences de la crise libyenne sont une préoccupation commune au Maroc et à la France. L’inquiétude porte en premier lieu sur la situation humanitaire et la stabilité de la Libye, mais aussi sur la sécurité de l’Afrique du Nord, et, bien entendu, du Sahel. La volatilité du contexte en Libye pourrait alimenter le terrorisme en zone sahélienne. L’ingérence croissante d’acteurs extérieurs, dont certains ont pris des engagements à Berlin pour les renier avant que l’encre ne sèche, est aussi un motif de vive inquiétude. La France appelle les parties à un cessez-le-feu durable et à la reprise des négociations sous l’égide de l’ONU, dont l’action doit ici être saluée et soutenue. Comme pour le Sahel, la France et le Maroc partagent des objectifs communs en Libye. Seule une solution politique, démocratique et reconnue par la communauté internationale pourra restaurer la paix en Libye. Ces objectifs doivent être menés de front afin que le pays puisse sortir de la crise et renouer avec la stabilité.
Pourquoi la France n’a pas réagi face à l’écartement du Maroc du Sommet de Berlin?
La conférence de Berlin a constitué un jalon important pour appuyer le plan présenté au Conseil de sécurité des Nations Unies par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies. Il ne nous appartient pas de commenter le format retenu par le pays hôte. La France a toujours plaidé pour une approche du dossier libyen impliquant les pays voisins, dont le Maroc, qui a été l’hôte de l’accord de Skhirat de 2015 et est un acteur important du dossier libyen. Le Président de la République française s’est, d’ailleurs, régulièrement entretenu à ce sujet avec sa Majesté le Roi du Maroc lors d’échanges téléphoniques autour de la conférence de Berlin.