Flexibilité du Dirham : ça passe ou ça casse



Quelles incidences aura la libéralisation du dirham sur les entreprises et l’économie nationales?

Enfin! Enfin, ce gouvernement décide de cette longue histoire de l’assouplissement du régime de change du dirham. Ainsi, depuis le lundi 15 janvier 2018, le dirham est désormais autorisé à fluctuer de 2,5% au-dessus ou en dessous d’un cours pivot vis-à-vis d’un panier de devises inchangé (60% euro et 40% dollar). C’est donc fait mais avec pratiquement six mois de retard. L’on se souvient en effet qu’au printemps dernier, il avait été question du côté des autorités monétaires -Bank Al-Maghrib surtout- et du ministère de l’Economie et des Finances aussi d’une décision dans ce sens pour le 1er juillet 2017. Tout était prêt mais deux jours avant cette date fatidique, le vendredi 29 juin, le gouvernement a fait machine arrière dans des conditions qui ont placé la banque centrale dans une situation inconfortable, intenable même. L’argument officiel invoqué à cet égard était que tout n’était pas prêt et que l’étude d’impact devait se poursuivre...

Une décision qui n’a fait qu’aggraver les incertitudes entourant la politique monétaire du gouvernement, plus globalement encore sa capacité à mettre en oeuvre une politique économique lisible, prévisible et de nature à conforter le climat d’affaires et d’investissement. La flexibilité de la monnaie nationale était pourtant inscrite dans l’agenda du précédent cabinet, dirigé par Abdelilah Benkirane. Durant des mois en effet, a été menée une préparation technique couplée à des campagnes de sensibilisation menées par Bank Al-Maghrib et les banques de la place. Tous les prérequis étaient ainsi réunis à la fin du premier semestre 2016: réserves de changes de l’ordre de six mois de couverture des importations, maîtrise des équilibres macroéconomiques, amélioration de la situation budgétaire, confirmation de la solidité et de la résilience des banques marocaines, relevée d’ailleurs par les organismes internationaux.

Une telle indécision –préparer et annoncer des mois à l’avance une mesure de flexibilité et la reporter la veille de son édiction– n’a pas seulement porté atteinte à une gouvernance efficiente pourtant mise en avant par ce cabinet dès le vote de son programme par la Chambre des représentants à la fin avril 2017. Elle a aussi eu un coût financier et économique important. Une accélération inhabituelle des prises de position de change dans les salles de marchés des banques a été relevée; elle a porté sur 45 milliards de DH. Certaines d’entre elles ont en effet spéculé par avance sur la dépréciation de la monnaie nationale dans la perspective d’une mesure de flexibilité annoncée officiellement pour le 1er juillet 2017. Le Wali de Bank Al-Maghrib n’a pas décoléré et a réagi avec vigueur, accusant des banques d’avoir spéculé contre le dirham considérant que c’était «inacceptable ». Il a d’ailleurs diligenté une inspection: «Je veux savoir qui a fait quoi et qui est responsable de quoi», a-t-il tonné. «Pour cela, a-t-il poursuivi, je suis hors de moi car cela remet en cause la crédibilité de la banque centrale et des autorités monétaires ».

Une mission d’inspection a donc été dépêchée auprès des banques; elle est aussi appuyée par des investigations et des contrôles menés par l’Office des changes. Mais, six mois après, où en est-on? S’il faut prendre acte de la mesure de flexibilité, pour tardive qu’elle soit cependant, il vaut de relever qu’elle s’inscrit dans un schéma de travail à long terme devant conduire, à l’horizon 2030 ou au-delà même, à la fixation finale du dirham par le marché monétaire international. C’est donc une phase de transition qui est désormais initiée; elle doit conduire, par phases successives et sur la base d’un panier de cotation inchangé (60% euro et 40% dollar) à un nouveau régime de cotation de la monnaie nationale. Quelles incidences sur l’économie nationale? Pour certains, la flexibilité va améliorer la compétitivité des entreprises dans plusieurs secteurs (agrumes et primeurs, textile, tourisme…); pour d’autres, ce ne sera pas le cas en ce sens qu’elle va peser sur les prix de certaines importations (voitures, biens manufacturés et industriels…).

Mais la compétitivité attendue de certaines entreprises exportatrices suffira-t-elle à générer davantage de compétitivité? Conjoncturellement, oui, sans doute. Seule une compétitivité structurelle est en effet de nature à conforter cette situation. Ressources humaines de qualité, innovation, recherche, numérique: voilà, entre autres, le vrai challenge.

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