Les informations inquiétantes au sujet du variant Omicron ont mené le Royaume à prendre une décision encore plus radicale: la fermeture totale de ses frontières. Un coup de massue pour l’économie et une manière de replonger les citoyens dans l’incertitude.
L’annonce a eu l’effet d’une grande surprise. Plutôt mauvaise. Le 25 novembre 2021, les autorités marocaines ont annoncé la suspension des liaisons aériennes depuis et vers la France, confrontée à une cinquième vague, en plus des liaisons maritimes. Trois jours plus tard, les informations inquiétantes qui se propagent au sujet du variant baptisé Omicron, identifié en Afrique du Sud et répandu dans quelques pays de l’Afrique australe, ont amené le Royaume à une décision encore plus radicale: la fermeture totale de ses frontières pour une durée de deux semaines à compter du lundi 29 novembre 2021 à 23h59.
Une décision qui intervient en raison de la propagation rapide du nouveau variant «notamment en Europe et en Afrique, et afin de préserver les acquis réalisés par le Maroc dans la lutte contre la pandémie et protéger la santé des citoyens», a expliqué le Comité interministériel de suivi de la pandémie. Une évaluation de la situation «sera entreprise régulièrement afin d’ajuster, au besoin, les mesures nécessaires», a ajouté le comité.
Par cette mesure, le Maroc est devenu l’un des tout premiers pays au monde à avoir pris une telle mesure drastique, après Israël et avant le Japon. Pour une fois, le Maroc ne marche pas sur les traces de la France. L’Hexagone, à l’instar de plusieurs pays, a tout bonnement suspendu les vols avec l’Afrique australe afin de limiter le risque de voir des cas de B.1.1.529, rebaptisé Omicron par l’OMS, arriver sur son sol.
Machine arrière
Les États-Unis ont fait de même. Alors qu’ils venaient de se rouvrir au monde début novembre, ils se ferment aux voyageurs venant de huit pays d’Afrique australe. Le conseiller de la Maison Blanche sur la crise sanitaire, Anthony Fauci, a indiqué que le pays se trouve en «état d’alerte avancée» face au nouveau variant Omicron, même si aucun cas n’a pour l’heure été recensé. Le Maroc a suivi les pas d’Israël. Dans un communiqué, le Premier ministre israélien Naftali Bennett a déclaré que l’interdiction s’étendrait pendant quatorze jours, sous réserve d’approbation du gouvernement. Même période décrétée par le Maroc!
Un coup de massue pour les étudiants qui se préparaient à se rendre à leurs pays de résidence respectifs, mais aussi pour des milliers de touristes qui se sont retrouvés à l’étranger au moment où la décision a été prise. Et alors, dira-t-on! Ils peuvent bien programmer leur retour à temps. Ce qui est vrai, sauf que pour le cas de la France, pour ne citer que cet exemple, ces voyageurs, qui n’avaient qu’un délai de trois jours, ont exprimé amèrement et de manière résignée leur désarroi face aux compagnies Air France et Royal Air Maroc qui leur ont dicté leurs lois. Des billets d’avion de 700 à plus de 1.000 euros, qui en veut? C’était à prendre ou à laisser.
Évaluation des risques
Après plusieurs confinements qui ont duré près de deux ans et une campagne de vaccination intensive et après avoir allégé les restrictions sanitaires et de déplacement tout en instituant l’obligation du pass vaccinal au tout début de son mandat, le gouvernement Akhannouch a donc fait machine arrière, verrouillant l’accès au sol marocain.
Et pourtant, la situation épidémique du pays s’est nettement améliorée et se stabilise depuis la fin de l’été 2021. En plus de cela, sa situation géographique n’explique qu’en partie cette précaution extrême. Pourquoi donc? Cette mesure de prévention draconienne (comme celle d’Israël et du Japon) a été indirectement critiquée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui s’était prononcée le 26 novembre, appelant chaque État à d’abord «adopter une approche scientifique», basée sur «l’évaluation des risques».
Il y a près d’un an, les pays européens ont décidé de fermer les uns après les autres leurs frontières avec le Royaume-Uni, à la suite de la détection d’une nouvelle souche plus transmissible du SARS-CoV-2. Cette fois-ci, l’Afrique australe est blacklistée et le nouveau variant B.1.1.529 selon le jargon scientifique, qui a été affublé de la lettre «Omicron» de l’alphabet grec par l’OMS, est devenu le nouvel alibi qui sert à relancer la série des restrictions et bien plus encore.
Ce mutant du Covid-19 a été officiellement identifié, jeudi 23 novembre 2021, par des scientifiques sud-africains, est particulièrement diabolique suivant les communiqués des gouvernements, puisqu’il pourrait circuler de manière plus rapide que Delta et résister partiellement aux vaccins. Sauf que scientifiquement parlant, cela reste une hypothèse à confirmer ou à infirmer. Les études scientifiques sont en cours. Et rien ne prouve pour l’heure que les vaccins anti-Covid-19 existants ne garantissent pas une immunité contre le nouveau-né des coronavirus.
Mesures de dernière minute
Au Maroc, aussi, ni le comité interministériel ni le comité scientifique et technique ne s’appuient sur des recherches scientifiques pour corroborer la décision prise. Jusqu’à preuve du contraire, c’est juste une précaution pour éviter un scénario parmi d’autres. C’est le message que le gouvernement veut faire passer, par la peur. Comme depuis le début de la pandémie, toutes les décisions gouvernementales s’appuient sur ce passage qui titille les émotions des Marocains: «Pour préserver la santé des citoyens». Soit. Mais cela justifie-t-il pour autant une fermeture totale des frontières pour les ressortissants de tous les pays du monde? Non, car la situation épidémiologique actuelle au Maroc est très rassurante.
La fermeture des frontières prépare psychologiquement aux futures décisions. Elles ont de commun avec celles prises par l’ancien gouvernement, l’effet de surprise puisqu’elles sont prises à la dernière minute à quelques heures seulement de leur application, d’abord, et ensuite, l’effet de cascade négatif sur l’économie. Sur ce dernier point, on ne peut omettre que la machine économique peine véritablement à redécoller. Le gouvernement compte ponctionner l’épargne déposée auprès des banques, censée être destinée pour financer les entreprises. Les recettes fiscales se réduisent comme une peau de chagrin.
D’ailleurs, le Trésorier général du royaume l’a signalé tout récemment, le 19 novembre 2021, lors du colloque sur les finances publiques organisée à Rabat comme il a attiré l’attention sur le niveau élevé et alarmant de l’endettement public global et de l’utilisation systématique des emprunts pour le fonctionnement de l’État. Le verrouillage des frontières impacte sérieusement l’approvisionnement du pays et le coût de vente des produits de première nécessité. Déjà, la flambée actuelle des prix à la pompe comme des matières premières n’a pas été jugulée par le gouvernement, qui refuse même d’avouer qu’une inflation des prix existe.
Une spirale vicieuse
Les caisses de l’État se vident. Le pire, c’est qu’on vient d’annoncer des aides pour le secteur du tourisme dont les professionnels rechignent à formuler des offres adaptées aux touristes nationaux. Pourquoi ce secteur en particulier? Il n’est pas le seul à subir les répercussions de ces restrictions. Et puis, jusqu’à quand les restrictions vontelles durer? Qui, en dehors du nouveau gouvernement, peut avoir une vision ou une visibilité d’une sortie de crise et d’un retour à la vie normale?
Deux ans depuis l’apparition du premier cas détecté de coronavirus, l’on est encore incapable de voir le bout du tunnel et de prédire la fin de cette spirale vicieuse au sein de laquelle le citoyen ne fait que subir sans comprendre et sans avoir même le droit de demander à comprendre.