Le 8 mars n’est pas une fête de la femme. Le 8 mars est une journée d’action, de sensibilisation et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes. Au Maroc, malgré les grandes avancées, la femme est toujours marginalisée. Que ce soit sur son lieu de travail, dans la rue ou à la maison, elle souffre en silence. Même si une prise de conscience se fait de plus en plus sentir pour réhabiliter le statut de la femme dans la société marocaine, les mentalités rechignent à changer. Récit d’une journée, ce 8 mars 2021, d’une femme au Maroc. Une journée non exhaustive, mais dont les péripéties sont révélatrices d’un mal structurel, d’une crise de valeurs et de notre profonde hypocrisie.
Le 8 mars 2021. Vous allez recevoir du chocolat, des fleurs, des cadeaux et un joli mot vous souhaitant une belle fête, une belle journée de la femme… On va vanter vos mérites, on ne va pas tarir d’éloges à votre égard, on vous rappellera, comme chaque année, que vous êtes la moitié de la société, que le Maroc se conjugue aussi bien au masculin qu’au féminin, que le développement durable et inclusif du pays ne se fera qu’avec l’implication de la femme dans le train du développement et de la modernité…
Attention furtive, éphémère et réductrice d’une journée qui nous rappelle que la cause féministe, que la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, ne peut être réduite à des fleurs, à des entrées gratuites au cinéma et à des coupons réductions. Cette journée vous rappellera surtout que ce patron qui tapotait votre épaule en vous adressant cette jolie fleur rouge, ce patron qui vous regardait souvent de haut, touche 5 fois plus que vous, lui qui ne dispose même pas de la moitié des diplômes que vous avez accumulés toute votre vie, pour vous retrouver en bas de l’échelle d’une société patriarcale, machiste et hypocrite.
Parcours de la combattante
Vous allez ravaler votre fierté, vous n’allez pas vous apitoyer encore une fois sur votre sort, vous allez sourire et entamer votre journée. De toute façon, vous jouez aussi le jeu. Vous savez que le changement des mentalités n’est pas pour demain. En fin de journée, sur le chemin de la maison, vous vous êtes, malgré vous, habituées aux sifflements, aux mots vulgaires, aux agressions verbales et même physiques. Que vous soyez en jellaba, décontractée, sur votre 31 ou en niqab, vous y passerez. Aucune n’y est exemptée. Vous n’avez pas eu cette chance d’acquérir une voiture. Avoir une voiture pour une femme au Maroc ne sert pas que ses besoins de mobilité, mais lui garantit aussi un minimum de sécurité contre ces bêtes furieuses harceleuses de rue.
Et même en voiture, vous n’êtes pas épargnée, regards intimidants aux feux rouges, klaxons, poursuites et sollicitations incommodantes. Un calvaire. Vous avez peur de réagir, de risque d’être malmenée par votre harceleur, et parfois même les passants, solidarité masculine oblige. D’ailleurs, c’est de votre faute si vous avez été harcelée, votre jean moulant est irrespectueux et incite à la dépravation et à la débauche. Rien que ça. Furieuse, frustrée d’être traitée de la sorte, vous préférez ne pas réagir. Après 45 minutes d’un parcours de la combattante, vous atterrissez enfin à la maison. Et là, c’est une autre paire de manches. Entre les cris et sollicitations des enfants, les tâches ménagères, ce mari autoritaire qui doit se goinfrer, avant de recevoir sa dose journalière de bienveillance, d’amour, de tendresse, de sexe…
C’est de votre faute
De la servitude, de l’absence de compassion, limite de la prostitution et beaucoup de haine et de colère. Vous vous résignez à vote malheur, vous pensez à votre foyer. Une femme divorcée avec enfants est moins cotée sur le marché des mariages au Maroc. Et puis, votre traversée du désert avec vos ex vous décourage. La célèbre excuse «Je ne te mérite pas», vous l’avez entendue au moins une dizaine de fois.
Après moult réflexions existentielles et remises en question dans la cuisine, votre patron, le moins diplômé qui touche 5 fois plus que vous, il faut bien le rappeler, vous envoie, dans une énième tentative désespérée un message sur Whatsapp. Vous ne savez pas comment réagir. Si vous le dites à votre conjoint, c’est de votre faute! Si vous remettez votre patron à sa place, c’est le licenciement assuré. Vous lui répondez gentiment, sans le froisser, et lui faites savoir que vous n’êtes pas intéressée. Vous savez qu’il reviendra à la charge le mois prochain.
Les larmes de la haine
Après cette journée «laborieuse», vous décidez de vous déconnecter en vous connectant sur Facebook, voir ce qui se passe et mater quelques vidéos drôles. Histoire de décompresser. Vous êtes envahie par un flot de messages irrespectueux, vulgaires, des photos sexuelles, d’hommes mariés qui vous font la cour, et de votre patron et quelques collègues qui fantasment sur vous. Avant de dormir, et après la séance intime avec votre «bourreau », vous décidez d’appeler votre mère, votre confidente.
Comme à son accoutumée, elle essaie de vous calmer, vous demande de revenir à la raison, d’être patiente parce que c’est ainsi. Vous pensez à votre amie qui a décidé de tout plaquer et de refaire sa vie en Suisse. Vous l’enviez. Vous essayez de dormir, larmes aux yeux, et beaucoup de haine contre cette société qui vous exploite, vous insulte, vous réduit à une paire de fesses et une machine à faire des enfants.
Vous dormez, la boule au ventre, angoissée de devoir recroiser votre patron, vous violant encore du regard, ces regards incessants qui vous hanteront toute la journée. Vous prenez votre courage à deux mains, le sourire aux lèvres, le coeur lourd de tristesse et vous décidez d’entamer, encore une fois, cette interminable et éternelle journée. Une journée d’une femme marocaine en 2021.