RELATIONS MAROC-AFRIQUE DU SUD

Le faux pas de De Mistura à Pretoria

Depuis désormais 20 ans, Maroc et Afrique du Sud ont des rapports en dents de scie, du fait essentiellement du soutien sud-africain on ne peut plus affirmé et dogmatique en faveur de la séparation du Sahara marocain. Mais pourquoi vraiment? Voyage au coeur d’une discorde qui, si elle ne remet pas vraiment en cause le processus de paix dans les provinces du Sud, aujourd’hui largement favorable au Royaume, fait néanmoins grincer des dents du côté de Rabat.


Staffan de Mistura et Naledi Pandor, ministre Relations internationales
sud-africaine. Le 31 janvier 2024


Entre le Maroc et l’Afrique du Sud, décidément tout change pour que rien ne change. Présidents différents du côté sud-africain (quatre depuis que Nelson Mandela a cédé le pouvoir en juin 1999); contexte international qui, lui aussi, a beaucoup évolué au cours des dernières années… Pourtant, Pretoria persiste à soutenir la séparation du Sahara marocain. Dernière actualité en date, la réception, le 31 janvier 2024, de l’envoyé personnel du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) dans la région, Staffan de Mistura, par la ministre Relations internationales sud-africaine, Naledi Pandor; l’occasion pour la diplomatie du plus méridional des pays africains de faire encore avancer son agenda hostile à l’intégrité territoriale du Maroc.

Si, dans sa réaction, exprimée le 6 février 2024 lors d’un point-presse tenu à Rabat à l’occasion de la Conférence ministérielle de haut niveau sur les pays à revenu intermédiaire, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a voulu minimiser l’importance même de l’Afrique du Sud quant à l’influence qu’elle peut avoir dans le processus de paix dans les provinces du Sud (lire notre éditorial en p. 3), il n’en reste pas moins que la question demeure à l’égard du fondement de cet activisme anti-marocain qui n’est pas sans surprendre, de prime abord, de nombreux observateurs, d’autant quand on connaît l’appui historique du Maroc à la lutte contre l’apartheid: Nelson Mandela n’avait-il lui-même pas convié, en avril 1995 au Cap, Abdelkrim El Khatib, ministre d’État chargé des Affaires africaines du roi Hassan II dans la première moitié des années 1960, pour le remercier et aussi remercier à travers lui le Royaume pour son aide de tous les instants à l’ANC, le Congrès national africain, lors des heures les plus sombres de l’histoire sud-africaine? Et pourtant, depuis septembre 2004, l’Afrique du Sud reconnaît la pseudo “République arabe sahraouie démocratique” (RASD), au nom de laquelle le mouvement séparatiste du Front Polisario revendique la partie du Sahara marocain anciennement colonisée par l’Espagne; plus encore, et la visite de Staffan de Mistura n’en est que l’ultime illustration, elle fait preuve, à ce niveau, d’un acharnement rare, jamais démenti, au point que, on s’en souvient encore, elle avait, plus que l’Algérie, été la voix la plus opposée à l’adhésion en janvier 2017 du Maroc à l’Union africaine (UA), au prétexte que Rabat “coloniserait” (sic) un autre pays de l’organisation panafricaine, en l’occurrence la “RASD” (que l’Algérie avait initialement fait admettre, en novembre 1984, à l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à laquelle a succédé l’UA en juillet 2002).

En visite, début décembre 2023, en Algérie, le secrétaire général de l’ANC, Fikile Mbalula, avait indiqué que son pays était “disposé à déployer des efforts inlassables pour permettre au peuple de la dernière colonie d’Afrique (sic) d’exercer son droit à l’autodétermination”, en reprenant donc mot à mot la rhétorique officielle algérienne -le même personnage s’est aussi particulièrement illustré suite à l’élimination, le 30 janvier 2024 en huitième de finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football, du Maroc face au Bafana Bafana sud-africains, avec plusieurs publications peu amènes envers la partie marocaine sur les réseaux sociaux, où il est généralement très actif.

Force de frappe
Pour tenter de comprendre le positionnement de l’Afrique du Sud vis-à-vis du différend autour du Sahara marocain, et qui est substantiellement celui de l’ANC lui-même étant donné que c’est le parti au pouvoir (sans discontinuer, depuis les premières élections générales post-apartheid d’avril 1994), il faudrait peut-être moins s’intéresser aux considérations sud-africaines externes, dans la mesure où à ce niveau le Maroc et l’Afrique du Sud ont tout à gagner à travailler ensemble: comptant parmi les principales puissances africaines, les deux pays pourraient beaucoup aider à stabiliser davantage l’Afrique, d’autant qu’ils ont la force de frappe financière pour ce faire, avec leur statut incontesté depuis plusieurs années de deux premiers investisseurs africains dans le continent.

Et justement, si d’aucuns avancent, à partir de cet état de fait, que cela fait d’eux des concurrents et que, partant, les inclinations pro-algériennes de l’Afrique du Sud s’expliquent, cela ne résiste toutefois pas au fait que leurs sphères d’influence sont éloignées géographiquement et que Marocains et Sud-Africains n’ont aucunement comment se marcher les uns sur les plate-bandes des autres: le Maroc se positionne généralement, sauf quelques exceptions notables (Gabon, notamment), en Afrique de l’Ouest, tandis qu’il n’est pas vraiment commode de retrouver l’Afrique du Sud en dehors de son pré carré de la “Greater South Africa”, qui comprend essentiellement l’Afrique australe.


En revanche, la reconnaissance de la “RASD” a coïncidé avec un moment où le président Thabo Mbeki (juin 1999-septembre 2008) se trouvait houspillé par l’aile dure de l’ANC, représentée alors par une certaine Nkosazana Dlamini-Zuma, qui n’est autre que l’ancienne présidente de la commission de l’UA (octobre 2012-janvier 2017) dont on se rappelle surtout de son action, vaine, pour empêcher le retour du Maroc dans les instances institutionnelles africaines (lire n°1188, du 2 au 8 décembre 2016). Ainsi, dans une intervention qui est absolument à lire qu’il avait faite en mai 2012 à l’Institut royal des études stratégiques (IRES), l’ancien ambassadeur du Royaume à Pretoria, Talal Rhoufrani, en poste jusqu’à son rappel par Rabat suite à la reconnaissance de la “RASD”, avait expliqué que “Nkosazana Dlamini-Zuma, cheffe de file du camp pro-Polisario, qui a tiré profit des “dégâts collatéraux” causés par la compétition acharnée [entre le Maroc et l’Afrique du Sud] autour de la Coupe du monde [de] 2010 [de football] et de la démission intempestive de James Baker, envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara marocain en juin [2004], pour faire céder Thabo Mbeki et certains de ses proches qui prônaient la pondération et le réalisme sur ce dossier”.

“Au début des années 2000, l’affaire du Sahara marocain était devenue une question récurrente dans le débat interne à l’ANC (avec le Zimbabwe et les grands choix économiques notamment) autour desquelles se démarquaient modérés et radicaux au sein de l’Alliance au pouvoir (ANC, Parti communiste sud-africain (SACP) et le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU)). A telle enseigne qu’elle représentait un poids encombrant dont Thabo Mbeki a choisi de se délester pour garantir les chances de succès de son programme économique néolibéral, prioritaire pour son second mandat (2004-2009) et qui rencontrait une forte opposition de la part des radicaux au sein de l’Alliance au pouvoir”, avait-il poursuivi.

Dégâts collatéraux
Et, on peut le croire, dans la politique actuellement menée par le président Cyril Ramaphosa, la volonté d’assurer l’union sacrée au sein d’une ANC en perte de vitesse depuis de nombreuses années en raison de ses errements clairs en termes de gouvernance (il pourrait, pour la première fois, perdre la majorité parlementaire aux législatives prévues au plus tard le 5 août 2024) doit fortement jouer pour qu’il soit le président le plus fortement engagé en faveur de la séparation du Sahara marocain, n’hésitant par exemple pas à faire le parallèle douteux, savamment entretenu par la junte militaire algérienne à la base, entre le Sud du Maroc et la Palestine occupée (au point que ses auditeurs qui ne sont pas au fait de la situation sur le terrain pourraient en arriver à croire que Laâyoune et Dakhla sont constamment pilonnés par les Forces armées royales (FAR) et que c’est Rabat, et non le Polisario, qui empêche le retour des Sahraouis de Tindouf à leur terre d’origine). Déjà, suite à une lettre au caractère volontiers spécieux de la représentation permanente de l’Afrique du Sud à l’ONU, le représentant permanent du Maroc, Omar Hilale, en était arrivé, le 8 mars 2023, à “regrette[r] profondément que l’Afrique du Sud se prête, une fois encore, au rôle de facteur d’un groupe séparatiste armé, dont les connexions avec le terrorisme au Sahel sont avérées”; ce qui fait de sa récente sortie du 3 février 2024, à la suite du déplacement de Staffan de Mistura en Afrique du Sud, que le dernier épisode d’un feuilleton qui s’étend donc dans le temps.

Caractère spécieux
Ceci étant dit, le Maroc a-t-il, à son niveau, vraiment tout fait pour renverser la vapeur, malgré la résistance d’ordre quasiment dogmatique que semble avoir l’Afrique du Sud en ce qui s’agit du Sahara marocain? À ce propos, Talal Rhoufrani disait ceci, dans son intervention susmentionnée à l’IRES: “De notre côté, force est de constater que nous n’avons pas fait tout ce qu’il fallait pour encourager Thabo Mbeki à persévérer dans son attitude pondérée et renforcer sa position au sein des instances dirigeantes du parti et du gouvernement, face aux pressions constantes des opposants déclarés à notre thèse”. Et on peut en fait croire que de tels manquements sont encore monnaie courante; certes, désormais nommé à Washington, Youssef Amrani a, du temps où il a officié à Pretoria, fait de grands efforts pour faire la promotion des thèses marocaines pour qu’elles soient mieux comprises, si ce n’est admises, à l’échelle sud-africaine, mais de l’aveu de nombreux interlocuteurs interrogés par Maroc Hebdo, il aurait certainement fallu faire plus en termes de diplomatie parallèle, notamment du fait de l’existence d’une importante société civile qui ne demande qu’à être informée. “En dehors de l’Institut d’études de sécurités (ISS), avec qui nous avons certains liens, nous sommes quasiment absents de la scène locale”, regrette- t-on.

La diplomatie nationale semble toutefois décidée à arranger les choses en sourdine; en dépit de ses récents propos, Nasser Bourita avait reconnu, en septembre 2021 dans les colonnes du quotidien sud-africain “The Star” que “nous continuons à travailler pour des relations plus solides avec Pretoria”. À un moment, c’est le roi Mohammed VI lui-même qui avait été à l’avant-garde visible des efforts marocains, réussissant notamment, en novembre 2017 en marge du 5ème sommet Union africaine (UA)-Union européenne (UE) à Abidjan, à organiser un têteà- tête avec le président Jacob Zuma, mais ce dernier allait quelques semaines plus tard seulement devoir renoncer à la magistrature suprême en raison des nombreux scandales de corruption où il s’était trouvé empêtré. Et pour le moins, son successeur, Cyril Ramaphosa, n’aura pas fait grandchose pour pouvoir surfer sur ce momentum au plus grand bénéfice des relations maroco-sud-africaines. Avec un possible départ dans quelques mois, qui sait ce qu’il peut advenir encore dans le ciel bilatéral, mais avec un ANC plus que jamais aux abois, on peut en même temps s’attendre à tout, y compris une danse du coq égorgé qui serait autrement dommageable.

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