
Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) vient de formuler pas moins de 45 recommandations pour ce qu’il appelle «des élections plus inclusives et plus proches des citoyens». Une contribution qui retient l’intérêt en ce qu’elle se décline autour de mesures et de décisions pratiques visant à l’amélioration du système électoral, son organisation mais aussi l’élargissement du corps électoral. Dans cette même ligne, le CNDH recommande que le droit de vote soit accordé, exclusivement au titre des élections communales, aux étrangers résidant régulièrement au Maroc (lire encadré), mais aussi aux membres des Forces armées royales (FAR) de tous grades, en activité de service, ainsi qu’aux agents de la force publique autorisés à porter une arme dans l’exercice de leurs fonctions.
Le droit de vote aux militaires donc? La question n’est pas simple. Elle conduit à un certain nombre d’interrogations. Pour commencer, il faut observer que ce statut d’électeur a été accordé par le Roi Hassan II aux militaires à la veille des deux referenda des 23 et 30 mai 1980.
Un facteur de complication
Le Souverain avait souligné que ceux-ci étaient membres à part entière d’une communauté nationale. Se pose ici la question du militaire-citoyen. Elevé au statut d’électeur dans les opérations référendaires, celui-ci doit–il s’impliquer davantage dans la vie publique et démocratique? Le CNDH se borne à évoquer l’accession à l’électorat lors des scrutins locaux. Il ne va pas jusqu’à proposer leur éligibilité, outre les communes et municipalités, à d’autres collectivités territoriales comme les conseils provinciaux et préfectoraux ou encore les régions. Au service du Trône et de la patrie, les militaires se verraient alors octroyer la jouissance de droits politiques strictement circonscrits au vote. Mais, même dans ce cadre bien précis, les FAR, en tant qu’institution, demeureraient-elles étrangères aux divisions politiques intérieures qu’exprime, par nature, la compétition électorale, même dans des scrutins communaux? Le crédo qui devrait prévaloir serait le suivant: laisser les militaires en dehors de l’activisme électoral des partis politiques. Dans le cas contraire, ce ne serait qu’un facteur de complication pour l’institution dans laquelle ils exercent mais aussi pour la consolidation de la construction démocratique à l’ordre du jour.
La neutralité d’une mission
Faire voter les militaires, ce serait faire entrer dans les casernes des ferments de division, de clivage et d’électoralisme dont celles-ci n’ont pas vraiment besoin.
Les relations sociales et sans doute même professionnelles ne risqueraient-elles pas d’être passablement perturbées par un climat “électoraliste” avec son cortège traditionnel de subjectivisme, de clanisme, de clientélisme?
L’on ne peut donc que redouter que déborde sur l’ensemble du corps militaire, tenu à la neutralité par suite de son statut et de sa mission, un climat prévalant dans un champ politique national, traversé par tant de divisions, de surenchères et de populisme.
Mais il y a plus. Référence est faite ici à la faisabilité pratique de l’exercice de cet éventuel droit de vote. Comment faire? Le Maroc a une armée de quelque 250.000 hommes, dont les deux-tiers sont pratiquement dans les provinces sahariennes récupérées. Quelle logistique faudra-t-il mettre sur pied pour que les militaires-électeurs exercent alors ce nouveau droit? Où iront-ils et pourront-ils voter? Dans leur lieu de résidence, mais lequel? Dans leur cantonnement ou à domicile? Un militaire en garnison ne pourrait donc, au final, ne voter nulle part, sauf à lui donner le même jour de congé.
Inenvisageable! L’option éventuelle d’un vote sur les lieux où ils se trouvent n’est pas plus recevable, tant s’en faut. Enfin, compte tenu de la culture d’entreprise de ce corps marqué du sceau de la discipline et du strict respect de la hiérarchie, les militaires pourraientils exprimer leur libre choix? C’est dire que cette proposition du CNDH se heurte à une objection de principe pour ce qui est de l’octroi du droit de vote aux militaires. Mais elle n’est pas mieux lotie du fait des inextricables problèmes de son application. Les F.A.R. ont déjà fort à faire dans leur noble mission patriotique.
Problèmes d’application
Elles doivent continuer à être immunisées, du fait de leur engagement, dès leur création en 1956, contre les interférences politiciennes et les menées partisanes qui sont l’expression d’un pluralisme encore tellement débridé.
C’est dire que la consolidation de la démocratie que tout le monde, y compris le CNDH, appelle de ses voeux doit se préoccuper davantage de la mise à niveau des partis dans l’édification d’un projet de société du Nouveau Règne.