Peut-on faire oublier la crise maroco-espagnole?

Remaniement ministériel et installation d'un nouveau chef de la diplomatie Espagnole

La nomination d’un nouveau ministre espagnol des Affaires étrangères, éloquent, qui connaît bien le Maroc, ne suffit pas pour faire oublier une crise que les propos déplacés d’Arancha Laya exacerbaient. Car le fond du problème est lié à une trahison.

Jamais un remaniement ministériel en Espagne n’a suscité autant d’intérêt que celui du samedi 10 juillet 2021. Si les nouveaux membres du gouvernement dirigé par Pedro Sanchez ont prêté serment lundi 12 juillet devant le roi Felipe VI, seul un d’entre eux était sous les projecteurs. Il s’agit du nouveau ministre des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération, José Manuel Albares, qui remplace la controversée Arancha Gonzalez Laya, qui a exacerbé, à travers ses déclarations très peu diplomatiques et ses attitudes inamicales, la crise entre le Maroc et l’Espagne liée à l’hospitalisation en territoire espagnol de Brahim Ghali, le chef du Front Polisario.

José Manuel Albares, 49 ans, occupait le poste d’ambassadeur d’Espagne en France. Pourtant, rien ne prédestinait M. Albares, né dans un quartier ouvrier de Madrid, à conduire la diplomatie de son pays. Jusqu’à sa nomination en tant qu’ambassadeur d’Espagne à Paris, il a occupé le poste de secrétaire général aux Affaires internationales, Union européenne, G20 et Sécurité globale au sein de la présidence du gouvernement.

Il a été le sherpa du président du gouvernement aussi bien à l’Union européenne qu’au G20. Tout au long de son parcours professionnel, il a été consul général d’Espagne en Colombie, conseiller culturel à l’ambassade d’Espagne à Paris et a été affecté à la représentation permanente de l’Espagne auprès de l’OCDE, période pendant laquelle il a été élu vice-président du Comité d’aide au développement (CAD). Selon ses propos rapportés par le quotidien El Pais, le nouveau chef de la diplomatie espagnole a indiqué que l’Espagne devait travailler avec ses partenaires et amis, citant explicitement le Maroc: il faut «renforcer nos relations, notamment avec le Maroc, notre grand ami».

Des propos qui interviennent en pleine crise diplomatique et politique entre Madrid et Rabat, qui a éclaté après l’accueil, fin avril 2021 en Espagne, du leader du Front Polisario Brahim Ghali. Des propos qui ont été bien accueillis et perçus comme un signal envoyé au Maroc. Le Royaume a cessé de considérer Gonzalez Laya comme un interlocuteur valable après la crise. Sanchez a donc décidé de sacrifier Laya pour retrouver le dialogue avec le pays voisin.

Attitudes hostiles
Mais cela est-il suffisant pour que la brouille entre les deux pays soit dissipée? Absolument, non. Car comme l’avait déjà expliqué le département des Affaires étrangères marocain, dans sa déclaration du 31 mai 2021, le fond du problème est lié à une trahison. «Au-delà du cas du dénommé Ghali, cette affaire a dévoilé les attitudes hostiles et les stratégies nuisibles de l’Espagne à l’égard de la question du Sahara Marocain. Elle a révélé les connivences de notre voisin du Nord avec les adversaires du Royaume pour porter atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc», y lisait-on.

Et si l’afflux massive de jeunes clandestins marocains sur la ville occupée de Sebta a été exploitée par l’Espagne pour manigancer contre son voisin, l’Espagne devra comprendre une fois pour toutes que tant qu’elle oppose une fin de non-recevoir aux revendications marocaines sur Sebta et Melillia, elle devra abandonner ses propres ambitions de recouvrer sa souveraineté sur Gibraltar.

Cette Espagne qui se cache derrière les institutions européennes pour montrer qu’elle appartient à un groupement économique et politique fort est fragile de l’intérieur, compte tenu des revendications d’indépendance des mouvements basques et catalans. Elle ne peut également tirer profit de son partenariat économique avec le Maroc, qui l’a aidée à sortir de sa torpeur depuis la crise économique de 2008, tant qu’elle n’aura pas accepté de négocier le statut des présides occupés qui dépendent économiquement de son voisin du sud.

Sebta et Melillia ont toujours été revendiquées par le Maroc. En 1987, dans une lettre destinée au roi Juan Carlos, feu le roi Hassan II proposait la création d’un groupe de réflexion sur l’avenir des enclaves de Sebta et Melillia. Aucune suite ne sera donnée à cette requête. Mais sans se leurrer, les deux présides demeuraient au centre des pourparlers entre les deux pays pendant tout le règne du monarque Hassan II, et même durant les premières années après l’accession au trône du Roi Mohammed VI.

Au cours des dernières années, les revendications légitimes du Maroc par rapport à ses terres n’ont pas été oubliées. Bien au contraire. Sauf qu’un élément nouveau est entré en jeu, promettant une consolidation des relations bilatérales. C’est que l’Espagne est devenue le principal partenaire économique et commercial du Maroc, supplantant la France. Cette nouvelle donne entretenait le capital confiance entre les deux parties, d’un point de vue marocain du moins. Rabat y voyait un alibi qui servirait à faciliter la négociation d’un nouveau statut des deux présides. Un alibi pour demander à son voisin du nord de le soutenir dans sa cause nationale, dans le règlement définitif du conflit fomenté autour du Sahara surtout après la proclamation de Donald Trump de décembre 2019 relatif à la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.

Calculs diplomatiques
C’était avant que la trahison espagnole ne chamboule tous les calculs diplomatiques du Maroc. La trahison prenait différentes formes. A commencer par le non-alignement sur la position américaine. Puis, la goutte qui a fait déborder le vase était l’affaire Brahim Ghali. Somme toute, le gouvernement espagnol devra s’asseoir à la table des négociations pour discuter, dans un esprit gagnant-gagnant, d’égal à égal, les intérêts stratégiques des deux parties et sauvegarder leur partenariat privilégié.

La nomination d’un nouveau ministre espagnol des Affaires étrangères qui connaît bien le Maroc et maîtrise la langue française ne suffit pas à elle seule pour faire oublier une crise que les propos déplacés d’Arancha Laya exacerbaient. Car le fond du problème est lié à une trahison par rapport à la première cause nationale.

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