Depuis l’annonce du viol puis l’assassinat du petit Adnane Bouchouf, 11 ans, la société civile marocaine bouillonne en faveur du rétablissement de l’application de la peine maximale. Une peine qui n’est pas abolie dans le Royaume mais qui demeure soumise à un moratoire de fait depuis l’exécution du célèbre commissaire de police Mohamed Tabit, en 1993.
Le vieux débat sociétal sur la peine de mort refait brutalement surface après l’horrible et monstrueux assassinat précédé du viol du petit enfant tangérois Adnane Bouchouf, 11 ans. Un crime abominable qui a choqué tout le pays. Dès l’annonce de la terrible nouvelle, les Marocains, là où ils se trouvent, dans la rue, sur les réseaux sociaux, chez eux, réclament haut et fort la peine capitale contre le violeur assassin. Jamais les Marocains, de Tanger à Lagouira, n’ont été aussi fermes et exigeants quant à l’application de la peine maximale. Ils veulent absolument que ce monstre à l’apparence humaine soit exécuté. Par la peine de mort, ils veulent rendre justice à cet enfant innocent dont le visage angélique va marquer à jamais les esprits des Marocains et, à travers, lui rendre justice aux enfants de tout le pays qui continueront à supporter pendant longtemps les effets désastreux de ce traumatisme psychologique qui ne dit pas son nom.
Un choc gravé dans les mémoires
Comme le violeur assassin de Tanger, il y en a eu beaucoup dans l’histoire sociétale marocaine. Le plus célèbre d’entre eux et certainement le plus effroyable a été le criminel de Taroudant, Abdelali Hadi, qui a violé, assassiné et enterré 9 enfants âgés entre 9 et 16 ans. Les crimes commis se sont étalés sur trois ans, entre 2001 et 2004. Arrêté le 21 août 2004, après les découvertes macabres de restes d’enfants enfouis sous son lit dans un hangar abandonné qu’il a pris pour un logement dans la périphérie de Taroudant, le serial killer a été par la suite condamné à mort en première instance et en appel mais jamais il n’a été exécuté. Sa non-exécution suscite toujours l’indignation des familles des enfants victimes, qui ne comprennent pas comment on laisse un monstre vivre tranquillement dans les prisons marocaines aux frais de l’Etat, et donc aux frais du contribuable marocain. C’est le cas, notamment, de nombreux condamnés à mort, y compris dans le cadre des crimes terroristes.
Les terroristes de la périphérie de Marrakech, qui ont égorgé, en décembre 2018, les deux touristes scandinaves Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et son amie Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans, froidement assassinées alors qu'elles campaient sur un site isolé dans le Haut-Atlas, une région montagneuse du sud marocain prisée des randonneurs, ne sont pas, non plus, exécutés alors que des condamnations à mort ont été prononcées par le tribunal. Des pétitions réclamant la peine capitale pour ces assassins d’un âge révolu avaient fortement circulé sur Internet, le crime ayant suscité une grande émotion au même titre que le double crime contre Adnane Bouchouf. Faut-il abolir ou non la peine de mort? La question est, désormais, plus que jamais, sur le devant de la scène. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui réclament la peine capitale contre le meurtrier du petit Adnane. En revanche, du côté des défenseurs des droits de l’Homme, on estime que l’atrocité du crime est, certes, avérée, mais «il ne faut pas pour autant maintenir la peine de mort, qui a été abolie dans plusieurs pays». C’est notamment l’avis du célèbre activiste amazigh Ahmed Assid, dont un post polémique publié sur Facebook avait suscité l'indignation générale. Un bref message, où il avait qualifié ceux qui appellent à exécuter le meurtrier de pas moins monstrueux que le criminel lui-même. Ahmed Assid fait désormais l’objet d’une campagne injuste et indigne sur les réseaux sociaux appelant à sa liquidation physique.
Au nom des “droits de l'Homme”
Sur le plan international, le Maroc n’a pas encore voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire sur la suspension de l’exécution de la peine de mort, dans la perspective de son abolition, il n’a pas adhéré au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort. Le mouvement des droits de l’Homme et le Conseil national des droits de l’Homme, qui se réfèrent à l’article 20 de la Constitution, qui consacre le droit à la vie, soulignent l’impératif de supprimer de la législation cette peine qui n’est plus «acceptée par l’évolution civilisationnelle de l’humanité», d’autant plus que la tendance générale dans les droits de l’Homme est pour son abolition.
Ils s’appuient aussi dans leur argumentaire sur la non-exécution de cette peine, au Maroc depuis 1993. Année pendant laquelle le célèbre commissaire de police, Mohamed Tabit, a été exécuté pour viol, agressions sexuelles et constitution de réseaux de prostitution. Ce qui est probablement considéré comme une suppression de cette peine sans qu’elle ne soit annulée dans la loi. Malgré tout, les juges continuent de prononcer cette peine. Au cours de l’année 2019, quelque 11 condamnations à mort ont été prononcées en première instance et en appel.
Moratoire sur l'exécution
Le nombre de condamnés à mort, au cours de l’année 2019, est de 72 personnes, dont une femme, selon les chiffres de l’Observatoire marocain des prisons (OMP). Les crimes de droit commun représentent 71% des crimes pour lesquels des personnes ont été condamnées à mort, alors que les crimes d’extrémisme et de terrorisme représentent 29% des condamnations à mort. 52% des condamnés à mort poursuivis pour des crimes d’extrémisme et de terrorisme sont âgés entre 40 et 50 ans. Selon le même rapport de l’OMP, si plus des deux tiers des pays dans le monde ont aboli la peine de mort, plusieurs autres Etats continuent encore à l’appliquer. En effet, quelque 657 exécutions ont été recensées dans 20 pays en 2019, soit une baisse de 5% par rapport à 2018 (au moins 690). Au moins 2.307 jugements de peine de mort ont été recensés dans 56 pays. 26.604 personnes attendaient l’exécution de leur peine de mort dans le monde à la fin de 2019. En France, qui a aboli la peine de mort en septembre 1981 grâce à l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, un sondage réalisé auprès des Français fait ressortir que plus de 55% d’entre eux demandent le rétablissement de la peine capitale.
Un retour à l’application de cette peine dans notre pays rendrait-il justice aux victimes? C’est ce que pensent désormais la majorité des Marocains, dont le choc de l’assassinant du petit Adnane restera à jamais gravé dans les mémoires.