Événements d'Al Hoceima: le Roi entre en scène



Qui sont les vrais responsables de l’échec des projets de développement du Rif?

Les vingt-cinq ministres et ministres délégués du gouvernement de Saâd Eddine El Othmani affichaient un air particulièrement révérencieux, le lundi 26 juin 2017, au moment de se présenter devant le roi Mohammed VI au palais royal de la ville de Casablanca pour lui présenter leurs voeux de l’aïd al-fitr, qui marque la fin du mois de jeûne de ramadan. Vêtus des traditionnelles djellabas blanches, certains, pour ne pas les nommer, ont même embrassé les deux mains du Souverain, alors qu’un seul baisemain aurait suffi.

C’est que Mohammed VI les avait vertement tancés lors du conseil des ministres qu’il avait présidé deux jours plus tôt, le dimanche 25 juin 2017, au palais royal de Casablanca en raison des retards enregistrés dans la mise en oeuvre du programme de développement spatial de la province d’Al Hoceima, en proie à une importante fronde sociale depuis la mort accidentelle, en octobre 2016, d’un poissonnier broyé par la benne tasseuse d’un camion de ramassage d’ordure.

Colère noire
Le Palais ne mâche, à cet égard, pas ses mots dans le communiqué lu à l’issue du conseil par son porte-parole Abdelhak Lamrini. “Sa Majesté le Roi a fait part au gouvernement et aux ministres concernés par le programme Al Hoceima Manarat Al-Moutawassit (Al Hoceima, phare de la mer Méditerranée), en particulier, de sa déception, son mécontentement et sa préoccupation au sujet de la non réalisation dans les délais impartis des projets prévus dans le cadre de ce grand projet de développement”, dit-il notamment.

C’est que près de deux ans sont passés depuis la signature du programme, en 2015 dans la ville de Tétouan, sous la présidence de Mohammed VI et, depuis, rien ou presque n’a été fait. Pour rappel, Manarat Al-Moutawassit ambitionne, à l’horizon 2019, d’accompagner le développement urbain et démographique de la province d’Al Hoceima, consolider son positionnement économique, améliorer le cadre de vie de ses habitants et préserver son environnement.

Il s’articule autour de cinq axes, à savoir la mise à niveau territoriale, la promotion de l’environnement social, la protection de l’environnement et la gestion des risques, le renforcement des infrastructures et le développement de l’espace culturel. Son budget est estimé à 6,515 milliards de dirhams (MMDH). Sa mise en oeuvre aurait- elle suffi à parer à la fronde? En tout cas, les responsabilités devraient “dans les plus brefs” délais être déterminées. Mohammed VI a, à cet effet, chargé le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, et celui de l’Économie, Mohamed Boussaïd, de mener les enquêtes et les investigations nécessaires. Un rapport devrait, dans ce sens, être soumis.

Une responsabilité indéniable
Autant dire que des têtes pourraient tomber. En mars 2017 déjà, le gouverneur de la province d’Al Hoceima, Mohamed Zhar, ainsi que dix-sept responsables locaux du ministère de l’Intérieur, dont cinq pachas et dix caïds, avaient commencé par sauter. Le wali de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Mohamed El Yaâkoubi, qui pour l’heure n’a pas été inquiété, n’est également pas à l’abri. Outre le ministère de l’Intérieur, les responsables des douze départements également signataires de la convention relative à la mise en oeuvre de Manarat Al-Moutawassit pourraient être mis en cause (Habous, Économie, Agriculture, Éducation nationale, Santé, Tourisme, Jeunesse, Transport, Eau, Aménagement du territoire, Culture et Développement rural).

Des ministres pourraient, à cet égard, sauter. Même ceux qui ne sont plus en fonction pourraient être mis en cause. Il faut dire que c’est pendant le mandat de l’ancien chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, qu’avait été signé Manarat Al-Moutawassit et qu’avait commencé la fronde, comme l’avait rappelé le conseiller de Mohammed VI, Fouad Ali El Himma, dans une déclaration le 6 juin 2017 au journal électronique Médias24 (lire n°1214, du 9 au 15 juin 2017). Le prédécesseur de M. El Othmani assume, à cet égard, une part de responsabilité indéniable, du moins politique. Le communiqué du Palais le vise d’ailleurs indirectement.

Pour n’en rester qu’à ses cinq derniers mois de mandat à partir de sa nomination en octobre 2016 en tant que chef de gouvernement désigné par Mohammed VI, M. Benkirane a ainsi laissé traîner en longueur la situation du fait d’avoir été absorbé par les tractations. Le blocage qui s’en était suivi en raison de son entêtement à imposer ses conditions aux autres partis politiques avait en outre reporté l’adoption de la loi des finances et par conséquent bloqué le financement des projets engagés.

“Punition collective”
Le Parti authenticité et modernité (PAM), qui préside le conseil de la province d’Al Hoceima en la personne d’Ismail Rais et plus généralement la région de Tanger-Tétouan- Al Hoceima, dont le président n’est autre que son secrétaire général Ilyas Elomari, accuse par ailleurs le Parti de la justice et du développement (PJD), dont M. Benkirane est le secrétaire général, d’avoir sciemment privé de fonds Manarat Al-Moutawassit afin de venger sa défaite, face à lui, aux élections locales de 2015. M. El Othmani, également issu du PJD, en avait ainsi pris pour son grade lors de son passage le 6 juin 2017 à la chambre des conseillers, de la part du président du groupe du PAM, Aziz Benazzouz, qui avait assimilé la politique du parti de la lampe dans la région du Rif, où se trouve la province d’Al Hoceima, à une forme de “punition collective”.

Le PAM n’est cependant lui aussi pas en reste et devra, du fait de ses responsabilités locales, également répondre de ses actes. M. Elomari s’était en tout cas dit lors de son passage le 13 juin 2017 à l’émission Dayf Al Aoula sur la chaîne Al Aoula prêt, s’il le fallait, à être écroué si sa responsabilité venait à être établie. “Nous devons rendre des comptes”, avait-il déclaré.

Des ministres dans le collimateur
En attendant, les ministres concernés par Manarat Al-Moutawassit devraient continuer d’assurer le suivi des travaux des projets programmés. Mohammed VI les a, à cet effet, jusqu’à nouvel ordre interdits de vacances.

Outre M. Laftit, qui depuis sa nomination en avril 2017 s’est à trois reprises rendu dans la province d’Al Hoceima, six ministres figurent en principe dans la liste: le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch, le ministre de l’Éducation nationale, Mohammed Hassad, le ministre de l’Équipement, Abdelkader Amara, le ministre de la Santé, El Houcine Louardi, le ministre de la Culture, Mohamed Laâraj, et la secrétaire d’État chargée de l’Eau, Charafat Afilal. Ils s’étaient d’ailleurs rendus fin mai 2017, sur instructions royales, dans la province d’Al Hoceima dans le cadre d’une délégation de haut niveau comprenant également des directeurs d’établissements publics.

On pourrait aussi y ajouter M. Boussaïd ainsi que le ministre des Habous, Ahmed Toufiq, celui de l’Aménagement du territoire, Mohamed Nabil Benabdallah, du Tourisme, Mohammed Sajid, et de la Jeunesse, Rachid Talbi Alami, et Hammou Ouhelli et Mohamed Najib Boulif, secrétaires d’État chargés respectivement du Développement rural et du Transport, si l’on en croit, du moins, la liste des signataires de la convention relative à la mise en oeuvre de Manarat Al-Moutawassit.

Parallèlement, un nouveau gouverneur, en la personne de Farid Chourak, a été nommé dans la province d’Al Hoceima en remplacement de Mohamed Zhar, rappelé en mars 2017 à l’administration centrale du ministère de l’Intérieur en raison, justement, de la contestation. Gouverneur depuis 2010 de la province de Rehamna après un passage de près de huit ans en tant que directeur du centre régional d’investissement de la région de l’Oriental, ce sexagénaire (il soufflera sa soixante-troisième bougie en décembre 2017) natif de la province de Berkane devrait apporter une importante expertise économique, son domaine de prédilection, à la réalisation des projets.

Une situation préoccupante
Mohammed VI semble, en tout état de cause, décidé à mettre le paquet pour en finir avec une situation qui n’a que trop duré (près de huit mois). C’est d’ailleurs ce que révélait le 14 juin 2017 le président français Emmanuel Macron à l’issue de son entrevue dans la capitale, Rabat, avec le Roi, où le sujet a été évoqué “de manière très directe et très naturelle”, d’après le chef d’État français.

“ souhait est d’apaiser la situation, en apportant des réponses concrètes, de la considération à cette région en termes de politiques publiques, avait-il déclaré. Il y aura une réponse dans la durée, sur les causes profondes de ce qui s’est passé. Cette région lui est chère, il a l’habitude d’y passer des séjours, c’est une tradition qu’il a instaurée, il est préoccupé par la situation”. Il avait auparavant assuré avoir “senti que le Roi considère qu’il est légitime et normal qu’il y ait des manifestations, c’est un droit constitutionnel, contrairement à d’autres pays”.

Maintenant, qu’en sera-t-il dans la province d’Al Hoceima? Autant l’intervention de Mohammed VI était sollicitée et illustre une nouvelle fois la sollicitude dont il n’a jamais cessé d’entourer depuis son intronisation en 1999 la région, autant la confiance envers le gouvernement, souvent qualifié par les riverains de “gang”, semble sérieusement entamée.

Des accusations farfelues
D’ailleurs, le jour de l’aïd al-fitr, plusieurs marches ont eu lieu dans la ville d’Al Hoceima, chef-lieu de la province éponyme, et se sont même transformées dans certains quartiers en heurts ayant blessé 39 éléments des forces de l’ordre d’après les autorités locales alors qu’on ne connaît pas de bilan précis du côté des manifestants. Les accusations de “séparatisme” portées lors d’une réunion mi-mai 2017 au siège du ministère de l’Intérieur par les partis politiques de la coalition gouvernementale ne semblent, à cet égard, toujours pas avoir été avalées.

Des projets concrets
De même, les manifestants continuent de réclamer la libération des leurs -104, d’après des chiffres révélés le 6 juin 2017 par le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, à la chambre des représentants-, dont leur leader Nasser Zafzafi, écroué à la prison locale de Casablanca Oukacha depuis le 5 juin 2017 et qui encourt aux côtés de six autres activistes de lourdes peines d’emprisonnement pour, entre autres, atteinte à la sécurité intérieure de l’État. Une grâce royale était, à cet égard, pronostiquée pour aïd al-fitr, mais Mohammed VI devrait cependant attendre la fin de l’instruction avant de se décider à ce sujet.

Le gouvernement sera en tout cas attendu au tournant. La délégation de haut niveau qui s’était rendue à Al Hoceima avait annoncé le lancement des travaux de réalisation de 533 projets touchant divers secteurs vitaux, en plus d’autres programmes relatifs notamment à la réduction des disparités territoriales pour un montant de 3,4 MMDH.

Mohammed VI avait insisté en conseil des ministres sur la nécessité de ne présenter devant lui, les fois à venir, que les projets et les conventions qui répondent à tous les critères de réalisation. Sans doute qu’alors, le gouvernement ne voudra pas se présenter honteux devant lui.

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