Naguère la “Suisse du Moyen-Orient”, le Liban sombre dans le chaos

Un État qui n’en est plus un

Alors que le Liban traverse depuis cinq ans une des pires crises économique et sociale de son histoire, les récentes agressions israéliennes viennent enfoncer le clou.


Le premier ministre, Najib Mikati intervenant à l’Assemblée générale de l’ONU, le 25 septembre 2024.  

 

Faillite de l’État, inflation record, effondrement de la monnaie, pauvreté galopante. Au Liban, la nouvelle agression militaire israélienne de septembre 2024 qui a fait des centaines de morts en l’espace de quelques jours, vient enfoncer un pays meurtri qui sombre dans “l’une des pires crises au monde depuis cent cinquante ans”, pour reprendre les termes utilisés par la Banque mondiale. Un constat parfaitement étayé par les chiffres: le PIB du Liban a chuté d’un peu plus de 54 milliards de dollars en 2018 à 23 milliards en 2020 puis 20 milliards en 2022. Une dégringolade qui s’est estompée relativement en 2023 et 2024, mais le pays continue d’afficher un taux de croissance du PIB négatif. 

Champion de l’inflation

La situation économique de ce pays, qui fut désignée comme la “Suisse du Moyen-Orient” dans les années 1950 et 1960, paraît encore plus alarmante aujourd’hui si l’on décortique la contribution de chaque secteur d’activité. Ainsi, les transferts des Libanais résidents à l’étranger ont atteint 6,4 milliards de dollars en 2023 soit un peu plus du tiers de l’économie du Liban. Une rente qui cache derrière elle la faillite du commerce, de l’agriculture et de l’industrie et autres secteurs générateurs de la richesse, et dont le caractère fragile la rend peu viable pour renflouer les caisses de l’État de manière régulière. Le gouvernement provisoire dirigé par Najib Mikati est dans l’incapacité de redresser la barre.

Les autres indicateurs sont tout aussi inquiétants, à commencer par l’inflation dont le Liban est devenu l’un des plus grands “champions” au monde. Depuis 2020, le pays affiche des taux tristement historiques à trois chiffres, mais l’épisode inflationniste commence à être relativement maîtrisé passant à 70% “seulement” à la fin du premier trimestre de 2024. Un taux toujours extrêmement élevé par rapport à la moyenne mondiale, provoquant ainsi l’érosion du pouvoir d’achat des Libanais qui se retrouvent incapables d’assurer les produits de première nécessité y compris les denrées alimentaires.  Entre-temps, la monnaie du pays ne vaut presque plus rien malgré les tentatives de la Banque centrale de maîtriser les dépenses et de remédier aux problèmes de liquidité. Fin septembre 2024, un dollar américain s’échange à plus de 89.500 livres libanaises, un autre symbole de la profonde crise dans laquelle se trouve le Liban. Une crise révélée au monde entier à travers les vidéos tristement célèbres - parfois insolites - ayant fait le tour de la Toile, dans lesquelles on aperçoit des citoyens libanais  tentant de retirer par la force leur argent déposé en banque malgré les restrictions draconiennes mises en place par les autorités. 

Résultat, la pauvreté a gagné beaucoup de terrain durant les cinq dernières années au Liban, alors que 30% des Libanais vivaient avec moins de 1,90 dollar/jour en 2023 selon des données de la Banque mondiale. La moyenne passe à 50% si l’on prend en compte les Syriens réfugiés dans le pays après la guerre civile déclenchée en 2011. 


Même son de cloche concernant le taux de chômage qui a grimpé à 30% en 2023, voire à 48% parmi les jeunes. 

C’est donc sans grande surprise que la tentative d’émigration, aussi bien irrégulière que régulière, notamment parmi les “cerveaux” du pays, a explosé ces cinq dernières années, vidant ainsi le pays de ses compétences pourtant très importantes pour tout espoir de reconstruction et de reprise. 

Derrière cette faillite d’un pays qui n’en est plus un, tellement ses institutions ont sombré dans la paralysie, plusieurs facteurs et responsables se distinguent en particulier. Tout d’abord, la gestion calamiteuse de l’économie par une classe politique gangrénée par la corruption et par le manque de transparence, mais aussi par le sectarisme alors que certaines traditions archaïques comme la répartition des postes-clés (présidence de la république, primature et présidence du parlement) sur la base de la confession, persistent encore devenant un véritable boulet pour un pays qui s’est toujours donné une certaine image moderne cachant un fond très en retard. 

Opacité des finances

Ainsi, les cabinets qui se sont succédés aux commandes durant les 30 dernières années n’ont rien fait pour maintenir la dette publique à un seuil raisonnable, adoptant par exemple des lois de finances qui ne sont jamais respectées, alors que les exercices comptables et autres documents officiels évaluant les recettes et les dépenses n’ont parfois pas été publié. Par conséquent, l’image du pays auprès des bailleurs de fonds à l’international s’est fortement détériorée entraînant ainsi la hausse des taux d’intérêt qui lui sont appliqués et alourdissant davantage sa datte, tout en affectant également la monnaie nationale. 

Par ailleurs, beaucoup de voix dénoncent la connivence entre les monde politique et économique dans un Liban où les richissimes hommes se retrouvent souvent à occuper directement des fonctions au sommet de l’État directement, ou indirectement à travers leurs fidèles dans les principaux courants politiques aussi bien sunnites, chiites, ou chrétiens. 

Pour l’instant, rien ne présage que la situation politique pourra s’améliorer dans le court terme, alors les parlementaires libanais échouent depuis 2022 à faire élire un nouveau président, dont le poste reste vacant, alors qu’un gouvernement se charge depuis deux ans de gérer les affaires courantes. Un flou aggravé par la guerre d’influence entre les puissances mondiales et régionales, notamment l’Iran, Israël, l’Arabie Saoudite et bien évidemment les États-Unis, qui disposent, chacune, de ses relais dans le pays.  C’est dans ce contexte qu’intervient alors la nouvelle agression menée par l’armée israélienne qui cible le Hezbollah libanais et, par ricochet, son sponsor en l’occurrence Téhéran.

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