Nouveaux rebondissements dans l'affaire d'escroquerie immobilière "BAB DARNA"

Les victimes en appellent au Roi

La BNPJ est saisie de l’affaire. 840 plaintes déposées. Et plus de 1.000, victimes dont 100 Marocains résidant dans 15 pays d’Europe et d’Amérique. L’Etat, représenté par les ministères de l’Intérieur, des Finances, de l’Habitat et celui chargé des MRE, est dans le viseur des victimes.

Effondrés, yeux larmoyants, visages pâles, plus d’une centaine de femmes et d’hommes, jeunes et moins jeunes, victimes de la plus grande affaire d’escroquerie immobilière au Maroc, portant le nom du projet résidentiel Bab Darna, étaient au rendez-vous, samedi 18 janvier 2020, au complexe culturel Moulay Rachid, à Casabalnca pour une rencontre avec la presse. Ils sont venus de toutes les villes du Royaume mais aussi de 15 pays étrangers (France, Belgique, Espagne, Italie, Etats- Unis, Argentine…) où certains d’entre eux résident. Leur cause commune: récupérer leur argent et poursuivre Mohamed El Ouardi, le patron de la holding Bab Darna, qui les a menés en bateau en leur vendant des appartements et des villas fictifs et les a délesté de plus de 700 millions de dirhams.

Des responsables dans le collimateur
Une affaire qui n’a pas encore révélé tous ses secrets et qui promet de faire tomber les masques des complices, dont de hauts responsables et élus locaux. La rencontre a été morbide. Des dizaines de victimes sur un total dépassant 1.000, n’arrivaient pas à contenir leurs émotions. Des interventions qui ont parfois viré à l’hystérie, tellement leur colère et leur amertume étaient au comble, surtout quand ils ont constaté que des invités importants à leur cause, en l’occurrence des responsables officiels, des élus locaux, notamment le président de la commune de Bouskoura, n’ont pas répondu favorablement à leur invitation pour mieux tirer au clair les ficelles des responsabilités de tout-un-chacun.

Ils craignent de subir le même sort tragique que du regretté Adil Filali, une victime qui a succombé en se lamentant sur son sort. Au comble de leur frustration, ils ont lancé un appel au Roi Mohammed VI, lui demandant d’intervenir et mettre fin à leur calvaire. Ils s’accrochent mordicus, aussi, à recouvrer leurs droits par la voie de la justice. Les victimes s’apprêtent également à poursuivre l’Etat en justice. L’Etat, représenté par les ministères de l’Intérieur, des Finances et de l’Habitat et celui chargé des MRE, qui «doivent assumer leur responsabilité dans cette arnaque».

Publicité mensongère
«C’est une affaire qui, à coup sûr, ternit le climat des affaires au Maroc. D’ailleurs, plusieurs investisseurs comme Safran ont mis en veilleuse leurs investissements au Maroc. Ce sont là les premières répercussions fâcheuses de ce dossier. Et dire que nos responsables ignorent notre appel et notre souffrance», lance, chagriné, un Marocain résident, lui aussi, en France. Une autre victime, en l’occurrence Jalal Hilmi, résidant en France, ne s’en remet pas encore. «J’ai vu la publicité de Bab Darna à la télévision. Elle passait plusieurs fois par jour pendant le Ramadan 2017», s’écrie-t-il. Comme tant d’autres victimes, il mord du coup à l’hameçon. Il signe «un contrat de réservation» et injecte 200.000 dirhams pour un appartement fictif. Ce qui le gêne le plus, c’est qu’il a recommandé le projet à deux de ses connaissances. Mais ce qui a convaincu 99,99% des victimes, c’est l’assurance du notaire chargé de tous les projets fictifs d’El Ouardi.

«Il est actuellement en prison. Il est poursuivi par la chambre correctionnelle près du tribunal de première instance de Aïn Sebaâ pour complicité en escroquerie. J’ai soumis une requête pour incompétence au juge d’instruction pour requalification des charges retenues contre lui. Nous voulons qu’il soit poursuivi pour usage et faux usage devant la cour d’appel de Casablanca, un crime passible, d’après l’article 353 du code pénal, de la réclusion perpétuelle. J’ai été moi-même chez le notaire Mohamed Mawhoub. En m’adressant à lui, tout en lui expliquant que j’avais aussi cette prérogative d’acter des contrats de vente comme le stipule la loi, il m’a assuré personnellement que la holding est crédible et tous les documents sont fiables. Il a pris parti pour le promoteur», nous confie Maître Mohammed Meghari, avocat des victimes, agréé près la Cour de Cassation.

Fait inédit et méconnu, le notaire Mawhoub a été, lui aussi, victime d’El Ouardi, atteste Maître Mohammed Meghari. «El Ouardi vendait des rêves à ses victimes et même à son notaire, à qui il a fait don d’un appartement et d’une villa fictifs. Il l’a porté dans les nuages en le désignant notaire de tous ses projets immobiliers au Maroc qui n’ont jamais vu le jour. Pendant un certain temps, il a demandé au notaire Mawhoub de lui verser de l’argent en attendant qu’il encaisse les avances des futurs acquéreurs (victimes). J’ai personnellement jeté un coup d’oeil sur 10 chèques, d’un montant total de 10 millions de dirhams, que le notaire a signés et remis à El Ouardi et qu’il n’a jamais pu récupérer», confie l’avocat au barreau de Casablanca. Dans cette affaire, qui a éclaté en novembre 2019, 840 plaignants ont déposé leurs plaintes devant la police. L’affaire remonte à 2014 déjà. Bab Darna vendait des propriétés et des terrains qui ne lui appartenaient pas dans plusieurs villes du Royaume, dont Casablanca, Mohammedia, Ouarzazate, Agadir et Marrakech.

"L’arroseur arrosé"
Au total, 16 projets, de tous les segments (économique, moyen standing et haut standing) qui ont été largement et fortement médiatisés sur les réseaux sociaux (Facebook notamment) et sur la chaîne publique 2M à travers des spots publicitaires dont le nombre augmentait sensiblement durant les mois de Ramadan. Il avait été annoncé que tout acquéreur de deux appartements pourrait bénéficier d’un troisième gratuitement.

Les victimes enquêtent
Cette annonce, à elle seule, a fini par achalander des dizaines voire des centaines de clients, notamment des Marocains résidant à l’étranger. Dans la publicité, on disait «Une villa pour le prix d’un appartement!». Alléchant, mais de la villa ou de l’appartement de leur rêve, les acheteurs ne verront que des maquettes. «Nous avons longtemps attendu le démarrage des travaux, et avons relancé le promoteur à maintes reprises. Les commerciaux nous ont à chaque fois rétorqué qu’ils étaient en attente d’une autorisation de construire», explique Jalal Hilmi, résidant en France.

Le temps passe. Le doute s’installe. Nombre de clients initient leur propre enquête. Après vérification des références des terrains, les victimes s’aperçoivent qu’ils n’appartiennent pas à la société de promotion immobilière et que cette dernière était en litige avec les vrais propriétaires. L’arnaque se précise et tout s’enchaîne: Dépôt d’un désistement, demandes de remboursement restées vaines et plainte déposée auprès de la Wilaya de Casablanca. Ce qui est frappant, puisque depuis pratiquement six ans, des dizaines de plaintes ont atterri dans les bureaux des commissariats de police. Aucune enquête n’est engagée. Pourquoi? Une interrogation restée longtemps sans réponse. Et puis, l’affaire est médiatisée grâce à un sit-in des victimes de cette vaste escroquerie devant le siège de la société rue Ibn Sina, à Casablanca, samedi 30 novembre 2019. Auparavant, les plaignants s’adressaient à la préfecture de police de Casablanca pour déposer plainte. Depuis quelques semaines, l’affaire a été confiée, à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), assure Me Meghari.

Une interrogation sans réponse.
Six personnes, poursuivies dans le cadre de cette affaire, sont actuellement derrière les barreaux. Il s’agit, en plus de Mohamed El Ouardi, de Amina Achkoun (directrice administrative et financière de la holding), Mohamed Touré (responsable du service comptabilité), Albaamrani Hicham (directeur commercial) et Othmane Faila. Le n°2 de la holding immobilière Bab Darna, après une période de cavale, est tombé, lui aussi, dans les filets de la police ivoirienne à Abidjan, le 30 décembre 2019. Il s’agit de Othmane El Boufkaoui. Il était absent des radars depuis l’éclatement de l’affaire. La procédure de son extradition vers le Maroc est en cours. Les victimes exigent l’arrestation d’autres personnes, jugées également responsables de cette grosse arnaque. Elles estiment que le président de la commune de Bouskoura, où se trouvaient les bureaux de vente d’un des grands projets immobiliers fictifs, ainsi que le chef de service qui légalisait les contrats de prévente et de vente et la responsable marketing qui se chargeait de la diffusion des spots publicitaires télévisés, «doivent également répondre de ces actes devant la justice».

Une épreuve pour la justice
Ce n’est pas tout. Une aberration toute fraîche, révélée par Me Meghari: La holding Bab Darna, qui regroupe toutes les sociétés au nom desquelles El Ouardi vendait ses projets au Maroc, n’a été créée, juridiquement et officiellement, que le 18 octobre 2019 alors que tous les contrats de vente, de compromis de vente ou de réservation portaient, depuis plus de 4 ans, l’en-tête et le cachet de cette holding. Autre révélation de taille d’une grande magouille qui se déroulait au niveau de la commune urbaine Mers Sultan, à Casablanca.

Cette commune était la seule au Maroc qui légalisait tous les actes de prévente et contrats de vente de la holding Bab Darna, une prérogative pourtant exclusivement réservée aux notaires, adouls et avocats agréés par la Cour de cassation. C’est dans cette commune que les victimes étaient appelés à se rendre. L’autre partie, les responsables de Bab Darna, ne se déplaçait jamais car elle avait déjà sa signature déposée au niveau de cette commune. Une autre manigance: Sur les documents officiels de la holding Bab Darba, le président du groupe n’est pas Mohamed El Ouardi, mais plutôt Othmane Faila, un commercial promu au poste de directeur technique.

Cette escroquerie immobilière de grande envergure aura le mérite de révéler l’ampleur de la corruption et des magouilles qui rongent le secteur de l’immobilier au Maroc. Cette affaire doit être un précédent et une épreuve de l’indépendance et de l’impartialité de la justice du pays, un facteur concluant dans le choix d’investissement des investisseurs aussi bien locaux qu’étrangers.

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