Ecrivain reconnu pour sa très belle plume et figure de premier plan de la scène littéraire marocaine d’expression française, Mohamed Nedali se trouvait non loin de l’épicentre du séisme du 8 septembre 2023 quand celui-ci s’est produit.
Comment avez-vous vécu le séisme du 8 septembre 2023?
Il était 23h 10, ce vendredi 8 septembre 2023. Je regardais un débat autour de la guerre en Ukraine sur une chaîne de télévision française, quand soudain un bruit assourdissant, semblable à celui d’une explosion de bonbonne de gaz se fait entendre quelque part dans la maison. La seconde d’après, les fondations se mettent à craquer, la lumière s’éteint, la maison plonge dans l’obscurité… J’ai alors compris que c’était un séisme d’une magnitude très élevée. Alors que la terre continue de bouger, je me suis pressé, tant bien que mal, de mettre les miens à l’abri, c’est-à-dire dans la rue, le plus loin possible des murs.
Comment vous décrire la secousse? C’était comme si un monstre de la taille de King-Kong, le célèbre gorille géant de fiction, s’était saisi de la maison et s’était mis à la secouer avec toute la force de ses bras, et dans tous les sens, et ce, pendant une dizaine de secondes. Impossible de se tenir debout, ni même de garder un quelconque équilibre. Une terrible épreuve, en somme.
Je savais très bien que Tahanaoute, et le reste de la région, sont classées zones à sismicité élevée. J’y ai déjà vécu des secousses plus ou moins légères par le passé, mais je ne m’attendais pas à une de cette ampleur-là: 7,4 sur l’échelle de Richter. Autrement dit, une ampleur dévastatrice. Ma famille et moi, nous en sommes tirés avec des dégâts matériels assez importants et un traumatisme psychique que nous garderons sûrement le restant de nos jours ici-bas.
Comment voyez-vous dans l’idéal la mise en œuvre du chantier de reconstruction des zones sinistrées?
Reconstruire en rassemblant plusieurs villages en une espèce d’agglomération est une idée totalement irréalisable sur le terrain. Les gens ne l’accepteront pas, pour la simple raison qu’ils sont très attachés à leurs lopins de terre, leur seule et unique source de vie. Les rassembler dans un seul endroit signifie les couper ou, du moins, les éloigner de leurs vergers en terrasses, arrachés à la montagne au prix d’années de labeur acharné et tenace.
La solution la plus réaliste est de reconstruire en béton armé et selon les normes parasismiques en vigueur dans les zones à risques, comme la ville d’Agadir. Je l’ai constaté dans plusieurs douars de la région: les maisons en béton armé ont mieux résisté à la secousse, alors que celles en pisé et pierres sèches se sont écroulées comme des châteaux de sable.
Mais quid de la préservation de l’authenticité du cachet des habitations?
Entre la préservation de l’authenticité architecturale de la région et la survie des gens qui y vivent, mon choix est fait, et il est définitif: c’est la vie des gens qui prime. Il serait vraiment criminel de reloger les sinistrés sous des maisons en pisé dans une région à sismicité élevée.
Le même modèle économique des zones sinistrées est, on le sait, essentiellement vivrier. Est-ce selon vous envisageable de le faire revivre?
Voilà une polémique qui n’a pas lieu d’être, car personne n’a les moyens de changer le modèle économique en vigueur dans la région. Les gens vivent pratiquement tous d’une culture vivrière dans les vallées et le long des berges. D’autres ont des troupeaux de chèvres qu’ils emmènent brouter feuilles et jeunes pousses dans les bois voisins. Les plus démunis possèdent un poulailler ou une lapinière. Quelques-uns tiennent des gîtes pour les randonneurs étrangers de passage dans la région… Ces activités sont les seules possibles dans ces villages reculés et difficiles d’accès ; elles le resteront. Le rôle des décideurs sera d’aider les habitants à développer ces activités dans le sens d’un rendement meilleur. Le Maroc en a et le savoir-faire et les moyens.