“Les maladies rares sont difficiles à diagnostiquer”
Dr Khadija Moussayer
Entretien. Le 28 novembre 2015, l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) organise, à Casablanca, sa 5ème “journée de l’auto-immunité”. Le point sur cette journée avec le Dr Khadija Moussayer, présidente d’AMMAIS.
Maroc Hebdo: L’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) organisera sa 5ème journée de l’auto-immunité, à l’hôtel Novotel de Casablanca. Que pouvez-vous nous apprendre sur ces maladies ?
Dr Khadija Moussayer : Les maladies auto-immunes (MAI) sont un ensemble de pathologies où le système immunitaire s’attaque aux constituants de l’organisme. Certaines MAI concernent un seul organe (thyroïde, globules rouges, système nerveux...), d’autres, appelées maladies de système ou systémiques, touchent plusieurs organes. On peut en citer la polyarthrite rhumatoïde, le lupus, la maladie de Behçet, la maladie de Gougerot-Sjögren, une grande partie des maladies de la thyroïde, le diabète insulinodépendant, certaines anémies, certaines stérilités, la sclérose en plaques… Les MAI constituent la 3ème cause de morbidité après les cancers et les maladies cardiovasculaires et touchent entre 6 et 8% de la population, en très grosse majorité des femmes.
Qu’en est-il des maladies rares?
Dr Khadija Moussayer : Les maladies rares se définissent comme des affections touchant moins d’une personne sur 2.000, plus de 7.000 en sont déjà recensées et chaque année entre 200 à 300 sont nouvellement décrites. La fréquence des MAI est, par contre, variable: certaines touchent jusqu’à 10% de la population telles les thyroïdites auto-immunes; d’autres sont beaucoup plus rares, comme la sclérodermie, qui touche 5 personnes sur 10.000.
Que se passera-t-il durant cette rencontre?
Dr Khadija Moussayer: Cette rencontre, qui aura pour thème «Les maladies rares et maladies auto-immunes et systémiques», sera l’occasion de débattre des problématiques inhérentes à certaines MAI rares, et, plus largement, de mettre l’accent sur la problématique générale des maladies rares dans notre pays.
Parmi ces maladies, laquelle est la plus répandue au Maroc?
Dr Khadija Moussayer : Parmi les MAI particulièrement fréquentes au Maroc, on trouvera la maladie coeliaque; correspondant à une intolérance au gluten contenu dans le blé et autres céréales. Les troubles digestifs sont les manifestations les plus typiques de la maladie. On peut observer ailleurs: une aphtose buccale récidivante, des fausses couches à répétition, une aménorrhée ou une stérilité, une épilepsie ou une ataxie, des douleurs osseuses ou articulaires.
Des études menées en 1999 par l’OMS ont mis en lumière une prévalence très forte de 5,6% au sein des populations du sud du Maroc. Parmi les maladies rares les plus répandues dans notre pays, la fièvre méditerranéenne familiale, encore dénommée maladie périodique, est des plus représentatives. Elle touche principalement les Arméniens, les Turcs, les Arabes et les juifs sépharades. Elle se manifeste par des crises de forte fièvre, et de très intenses douleurs abdominales.
Quelle est la principale difficulté à laquelle se heurtent les personnes atteintes de ces maladies?
Dr Khadija Moussayer: Bien que les maladies soient rares isolément, les personnes concernées par ce type de pathologies sont très nombreuses, près de 5% de la population mondiale et environ 1,5 millions de Marocains. Au Maroc, ces maladies souffrent encore d’un manque d’information pour les patients, les professionnels et les autorités de la santé, avec pour conséquences des errances de diagnostic, un défaut de structures spécialisées (centres de références), et souvent un isolement psychologique mal vécu par les malades comme par leur entourage...
Du fait de leur rareté, est-ce que ces maladies sont faciles à diagnostiquer? Et une fois le diagnostic établi, est-ce qu’il est aisé de les prendre en charge?
Dr Khadija Moussayer: Les maladies rares sont difficiles à diagnostiquer, justement, du fait de leur rareté et de leur nombre très important. De plus, la présentation clinique de ces maladies orphelines est souvent déroutante et peu enseignée dans les facultés. Ceci conduit trop souvent à un retard de diagnostic, qui nécessite en outre des moyens sophistiqués
Sont-elles faciles à traiter?
Dr Khadija Moussayer : Leur traitement n’est pas toujours disponible. Le développement de médicaments dits orphelins est difficile vu l’hétérogénéité des maladies et le nombre restreint de patients. Ces médicaments bénéficient, désormais, en Europe d’un statut particulier: allègement de la fiscalité, prolongation de l’exclusivité des droits pour le laboratoire.
Est-ce que le ministère de la Santé accorde l’importance qu’il faut à ces maladies?
Dr Khadija Moussayer : Au Maroc, beaucoup d’efforts ont été faits pour l’accès à de nouveaux traitements des MAI, coûteux mais efficaces (les biothérapies qui reposent sur l’utilisation de molécules biologiques naturelles dérivées d’organismes vivants).
Néanmoins, il n’existe pas encore de véritable plan de MAI. Pourtant, un diagnostic et un accès aux soins précoces permettent d’éviter des complications graves et de diminuer ainsi leur coût humain et économique. Les maladies rares ont besoin également d’être reconnues au Maroc comme une priorité de santé publique et de faire l’objet de programmes nationaux spécifiques de soins afin que le diagnostic d’une maladie rare soit posé plus rapidement et que la qualité des soins dispensés aux patients s’améliore.
Qu’en est-il de leur prise en charge par l’assurance maladie?
Dr Khadija Moussayer: Quelques maladies auto-immunes font partie de la liste ALD «affections de longue durée» et bénéficient ainsi d’un remboursement préférentiel par les organismes gestionnaires d’assurance maladie. On peut en citer la polyarthrite rhumatoïde, le lupus systémique et la spondylarthrite ankylosante ou la maladie de Crohn.
Malheureusement, de nombreuses maladies rares restent encore sans issue thérapeutique. Des médicaments existants peuvent ne pas être disponibles au Maroc ou ne pas bénéficier du remboursement