“Du harcèlement, une mascarade, une méconnaissance de la loi”. Le président de la confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM), Mohamed Lahbabi, n’a pas de mots assez fort pour exprimer son malaise. C’est que depuis quelques années, un bras de fer oppose les pharmaciens à la commune de Casablanca, autour de la taxe communale. Les pharmaciens estiment ne pas devoir être concernés par cette taxe, en raison du caractère non publicitaire des enseignes sur les façades de leurs officines.
«La profession de pharmacie est strictement réglementée depuis la création de l’officine jusqu’à la dispensation du médicament. La profession est régie par la loi n° 17-04 portant code du médicament et de la pharmacie. Cette même loi exige des pharmaciens un certain nombre de normes. Parmi celles-ci, avoir une enseigne indiquant que c’est un lieu de santé publique pour que les citoyens le sachent», explique M. Lahbabi à Maroc Hebdo, ajoutant que cette loi interdit aux pharmaciens de faire de la publicité pour leur pharmacie ainsi que les médicaments. Le président de la confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc insiste sur l’existence d’un décret ministériel, sous forme de canevas, qui définit les normes de création de l’officine, avec l’obligation d’avoir une enceinte sur la façade de la pharmacie ou «c’est écrit pharmacie telle ou telle».
Une preuve, pour lui, que l’enceinte des officines n’est pas considérée comme une publicité. Des propos corroborés par l’Arrêté n° 902- 08 du 21 juillet 2008 du ministre de la santé, consulté par Maroc Hebdo. Ce dernier fixe les normes techniques d’installation, de salubrité et de surface relatives au local devant abriter une officine de pharmacie ainsi que les normes techniques relatives aux établissements pharmaceutiques. L’Article 8 de l’arrêté précise «que toute officine de pharmacie doit pouvoir être reconnue par une signalisation adéquate, limitée à la façade de l’immeuble qui l’abrite et conforme à la législation et à la réglementation en vigueur».
«Or certaines communes, depuis à peu près 5 ans, se sont amusées à renvoyer des mises en demeure aux pharmaciens», s’offusque Mohamed Lahbabi, qui rappelle qu’un jugement, en 2022, rendu par le tribunal administratif de Rabat, devait constituer, sur ce point, une jurisprudence. En clair, le jugement, dont Maroc Hebdo a obtenu une copie, a donné gain de cause à un pharmacien contre la commune de de Mechra Bel Ksiri, le tribunal ayant annulé les taxes communales demandées au pharmacien en vertu de la redevance temporaire d’occupation du domaine public pour usage commercial, industriel et professionnel. Une taxe qui figure dans l’article 2 du Dahir n° 1-89-187 du 21 rebia II 1410 (21 novembre 1989) portant promulgation de la loi n° 30- 89 relative à la fiscalité des collectivités locales et de leurs groupements.
Courrier au ministre de l’intérieur
Toujours est-il que les pharmaciens de Casablanca font encore l’objet de demandes insistantes de la part «de la police administrative » pour s’acquitter de la taxe de publicité pour les officines. «Nous avons affaire à des gens qui reçoivent des ordres et viennent remettre des mises en demeure aux pharmacies et qui ne veulent rien savoir. Aucun dialogue n’est possible, c’est pourquoi nous avons décidé de frapper à la grande porte et de s’adresser au ministère de l’intérieur pour stopper cette mascarade», se désole M. Lahbabi. Face à cette campagne, la confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc a décidé d’envoyer, à la mi-mai 2024, un courrier au ministre de l’intérieur, au wali de Casablanca et à la présidente de la commune de Casablanca pour «arrêtez ce harcèlement et le régler au niveau national».
Le président la confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit d’évoquer la police administrative, qui se rend aux pharmacies pour leur signifier l’obligation de s’assujettir à la taxe publicitaire : «Les méthodes employées ne sont pas à la hauteur d’une profession comme la nôtre. Les intimidations et les méthodes archaïques sont destinées à faire peur. Il faut stopper cette mascarade, et je pèse mes mots», dit-il.
Crise structurelle
Reste que le malheur des pharmaciens semble beaucoup plus profond. Selon une pharmacienne qui exerce depuis plus de 30 ans à la tête d’une officine à Casablanca, et qui a requis de s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, la profession vit une crise structurelle, alors que sa vocation est noble : servir les citoyens pour le bien de la santé publique de tous. «Nous, les pharmaciens, nous n’avons ni honoraire, ni retraite. Nous participons à l’économie de la santé nationale et nous sommes le premier échelon de soin. Le citoyen bénéficie de conseil et d’orientation à la pharmacie. Sauf que notre métier est précaire», confiet- elle, embarrassée.
Elle estime que c’est pour renflouer les caisses d’une commune en crise financière que les pharmaciens sont mis à tort à contribution. «On n’est pas un simple commerce, dites-le en grand dans votre article. On paye déjà énormément d’impôts, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu, la TVA. Quand un pharmacien tombe malade, il n’a aucune protection, vous imaginez. Trop, c’est trop», s’écrie-t-elle dans un grand désarroi. Sans barème pour cette taxe, certaines pharmacies reçoivent 40.000dh par an, d’autres 2000dh, de façon arbitraire, selon la confédération.
Contactée par Maroc Hebdo pour connaître sa réaction par rapport à cette levée de bouclier des pharmaciens, la commune de Casablanca n’a pas donné suite à nos sollicitations. Les pharmaciens seraient-ils visés ? «Je pense que la commune ignore la loi qui régit le fonctionnement des pharmacies. Ils nous assimilent aux autres commerces. C’est pour le moins une anomalie. En principe, une grande commune comme celle de Casablanca doit disposer d’un service juridique !», ironise M. Lahbabi.