EL OTHMANI A-T-IL UNE VISION POUR LE DÉCONFINEMENT ?

J-2 AVANT LA FIN DE L’ÉTAT D’URGENCE

A deux jours de la fin de l’état d’urgence, le débat relatif à la prolongation ou non de l’état d’urgence sanitaire continue encore de susciter des remous au sein de l’appareil de l’Etat.

Le gouvernement de Saâd Eddine El Othmani a-t-il renoncé à la prolongation du confinement? Car alors que les informations allaient, dans la journée du vendredi 5 juin, dans le sens d’un maintien de la limitation des mouvements des citoyens en cours depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire le 20 mars, les choses semblaient moins tranchées pendant le week-end, et c’est même l’opposé qui serait désormais dans le pipe.

Sur les réseaux sociaux, les citoyens se partageaient, ainsi, une circulaire attribuée au ministère de l’Intérieur -celui-ci n’a pas démenti, comme il est prompt à le faire dès lors qu’il s’agit d’une “fake news” l’impliquant- et demandant aux walis et gouverneurs de reprendre à partir du 11 juin les activités des bureaux d’état civil, qui relèvent d’eux. Surtout, la période allant du 20 mars au 10 juin est, dans le document, qualifiée de “blanche”, ce qui peut laisser entendre que celle qui vient après ne l’est pas, c’est-à-dire que le déconfinement pourrait enfin, après près de trois mois, être opéré. En même temps, plusieurs médias nationaux se faisaient l’écho d’une réunion tenue le 6 juin par les autorités -rien n’a encore filtré sur l’identité de ses participants- et où l’avis général aurait été plutôt favorable à un abandon progressif du confinement, si l’on excepte le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, qui n’opinerait pas. Et pour couronner le tout, M. El Othmani tweetait le lendemain que le nombre moyen de tests effectué chaque jour désormais au Maroc, à savoir 17.500, aidait à “prépar[er] graduellement les conditions pour faire réussir l’allègement du confinement”; ce qui, pour le moins, est assez éloquent.

Des libertés limitées
Pour autant, rien ne garantit que les autorités lâchent du lest. Des sources jointes par Maroc Hebdo nous expliquent, ainsi, que dans le sillage de M. Aït Taleb, de nombreux responsables craindraient qu’un déconfinement par trop brutal ne fasse tomber à l’eau tous les efforts et tous les sacrifices consentis près de trois mois durant, au point qu’il est désormais assuré que le Maroc perdra entre 5 et 7% de son produit intérieur brut (PIB) cette année, comme en avertissait le ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, le 19 mai à la Chambre des conseillers. A cet égard, on parle d’au moins retarder la fin de l’état d’urgence sanitaire -le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, en avait fait le voeu au cours de son passage du 2 juin à la Chambre des conseillers-, qui impliquerait notamment que la liberté de se déplacer et celles de se réunir et de se rassembler demeurent sinon aussi limitées qu’elles le sont maintenant, du moins ne retrouvent pas encore leur situation d’avant.

Et dans ce sens, les informations glanées ici et là indiquent que les autorités, pour reprendre la désormais célèbre petite phrase de M. El Othmani du 7 mai sur la chaîne de télévision Al-Aoula, n’ont toujours “pas de vision”. La question qui peut toutefois se poser est si les dispositions de l’état d’urgence, auquel cas il est effectivement reconduit, seront appliquées partout avec la même intensité. Plus concrètement, on sait que certaines régions souffrent moins du Covid-19 que d’autres, et dans ce cas il serait plus pertinent que les autorités adaptent leur politique selon si les indicateurs de la pandémie, notamment le taux de reproduction qui correspond au nombre de personnes moyennement contaminées par un malade, sont au vert ou pas. Or et bien que dans sept des douze régions il ait été possible de mettre fin au confinement dès le 20 mai, celles-ci avaient finalement été traitées sur le même pied que les cinq autres. Sera-ce encore le cas au-delà du 11 juin? Si la réponse est oui, ce sera alors tout-à-fait absurde.

Numérisation des données
En fait, il est aujourd’hui possible techniquement, sur la base notamment des systèmes informatiques élaborés dans le cadre du programme de soutien à la recherche scientifique et technologique en lien avec le Covid-19 lancé le 9 avril par le Centre national de recherche scientifique et technique (CNRST), d’établir des stratégies de déconfinement même dans les points chauds que sont les grandes villes industrielles, avec les fameux “clusters”. Mais encore faut-il que les autorités acceptent de jouer le jeu: en effet, pour que de telles stratégies réussissent, il faudrait d’abord procéder à la numérisation des données de contamination, en les situant exactement au plan géographique et laisser alors parler les algorithmes, mais quand nous avons posé la question il est ressorti qu’au niveau du moins de certaines préfectures et provinces, ces données continueraient encore d’être consignées sur papier.

Zones de non-droit
En outre et à peu près de façon analogue, la mise en route de “Wiqaytna”, le 1er juin, peut elle aussi être fort utile, si bien sûr les Marocains se décident à l’adopter en masse: moins d’une semaine après qu’elle a été rendu disponible par le ministère de l’Intérieur, qui l’avait commandée le 10 avril aux acteurs du système digital en passant par l’Agence de développement du digital (ADD), un million de téléchargements furent enregistrés par elle, ce qui en faisait pendant ce laps de temps la cinquième application de suivi des contaminations au Covid- 19 la plus populaire au monde. En tout cas, il faudra certainement faire preuve de souplesse de la part des autorités en ce qui s’agit de leur choix final, car la situation aussi bien économique que sociale le commande. Outre les chiffres relatifs au PIB déjà mentionnés plus haut, le Haut-Commissariat au plan (HCP) avait révélé, le 19 mai, que 34% des foyers marocains se sont trouvés, au cours de l’état d’urgence sanitaire, sans la moindre source de revenu.

Et le pire c’est qu’alors que beaucoup s’en tiennent d’eux-mêmes aux mesures de confinement, dans certains endroits existent de véritables zones de non-droit où dès avant même le Ramadan s’observait “un relâchement inquiétant”, comme nous le titrions dans notre édition hebdomadaire du 17 avril. Questionnés par nos soins la semaine suivante, le porte-parole de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), Boubker Sabik, sans nier, relativisait. D’aucuns parmi les citoyens voient, par conséquent, ceci comme injuste, ce qui ne peut bien évidemment que les exaspérer vis-à-vis du confinement. Et cela les autorités sont, sans doute, les premières à le savoir.

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