Les jours de Benkirane sont-ils comptés ?
Avec des marches comme celle organisée par ses adversaires le dimanche 18 septembre 2016 dans la ville de Casablanca pour espérer le faire tomber, le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, peut sans doute dormir tranquille. Il peut même prétendre en exagérant à peine, comme il le soutenait début 2015 devant les membres de son Parti de la justice et du développement (PJD), dont il est par ailleurs le secrétaire général, pouvoir gagner aux élections législatives prévues le 7 octobre 2016 les yeux fermés. Non, M. Benkirane, dont le bilan n’est pourtant pas des plus flatteurs, ne semble pas avoir grand-chose à craindre. Peu devraient s’y tromper. Le Parti authenticité et modernité (PAM)? Peut-être. Mais il devra faire des efforts autrement convaincants pour espérer combler son retard apparent.
En principe donc, M. Benkirane semble bien parti pour garder son fauteuil. Mais une victoire du PJD le lui garantirait-elle pour autant? Car si la Constitution prévoit bien que le chef du gouvernement soit nommé au sein du parti arrivé en tête, elle ne précise pas s’il doit nécessairement s’agir du chef de formation. Et dans cette mesure, on serait bien tenté de croire que M. Benkirane ne soit pas reconduit. Beaucoup d’indicateurs vont d’ailleurs dans ce sens; le premier, le plus évident, ayant trait à l’exaspération de Mohammed VI vis-àvis de lui comme l’avait révélé en juillet 2016 l’hebdomadaire français Jeune Afrique.
Le journal, citant un “proche” du roi, avait rapporté que ce dernier avait “laissé (…) filtrer son mécontentement” à l’encontre de M. Benkirane, à qui il est notamment reproché d’agir “en opposant le week-end venu, lors des réunions et meetings du PJD”. Une première depuis l’intronisation du Souverain.
L’ultime discours du Trône, quelques semaines plus tard, avait enfoncé le clou en regrettant que “dès que la date des élections approche, on assiste à une frénésie quasi-résurrectionnelle où règne le chacun pour soi”. Le gouvernement était d’ailleurs nommément cité.
Le Rubicon franchi
C’est dire l’irritation en haut lieu à l’envers du titulaire de la primature. Et pour le moins, les choses ne semblent pas s’être arrangées depuis. La crise paraît même prendre une ampleur démesurée comme l’illustre le communiqué publié le 13 septembre 2016 par le Cabinet royal et mettant en cause l’utilisation par le secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Mohamed Nabil Benabdellah, et sans doute aussi M. Benkirane, du concept de “tahakkoum” pour dénoncer un prétendu complot de l’Etat pour contrôler le champ politique. Vraisemblablement, le Rubicon a été franchi. On imagine mal dans ce contexte M. Benkirane continuer comme si de rien n’était.
De fait, ses jours paraissent comptés. Le Palais doit certainement d’ores et déjà réfléchir à son successeur. Mais qui éventuellement pour le remplacer? Question difficile d’autant que le potentiel candidat devra non seulement répondre aux critères royaux, mais également exciper d’une estime suffisante dans les milieux islamistes.
Un alliage apparemment impossible; a priori seulement cependant. Car il faut dire que ces derniers mois déjà, plusieurs de ceux qu’on appelle les “faucons” du PJD, c’est-à-dire la nomenklatura du parti, ont d’une façon ou d’une autre multiplié les signaux faisant état de leur désir de prendre la relève de M. Benkirane dans des conditions satisfaisant toutes les parties. A cet égard, le premier qui vient à l’esprit n’est autre que Saâd Dine El Otmani.
Un challenger crédible
Adoubé personnellement par le fondateur historique de la formation de la lampe, Abdelkrim El Khatib, dont il avait d’ailleurs pris la suite pendant quatre ans (2004-2008) après son décès, il fait d’autant plus figure de challenger crédible.
Son aspiration à prendre de nouveau les rênes du PJD est de notoriété publique et bien des fois il a exprimé son opposition à M. Benkirane comme lors de sa participation en février 2016 à l’émission “Nouqta Ila As-Satr” sur la station de radio nationale Al-Idaâ Al-Wataniyya (au passage, il avait aussi déclaré que “personne au sein du parti ne partage le souhait d’Abdelilah Benkirane de voir son mandat de secrétaire général prolongé”; traduisant du même coup sans doute des ambitions personnelles).
Mais il faut rappeler cela dit que le Palais l’avait sans autre forme de procès relevé en 2013, lors du remaniement du gouvernement, du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération et qui plus est, d’autres noms semblent également se tenir en embuscade. Le plus en vue est El Mostafa Ramid, qui déjà en 2012 lors du VIIe congrès du PJD avait voulu se présenter face à M. Benkirane avant que ses “frères” ne l’en dissuadent au nom de l’union sacrée autour de leur secrétaire général, qui venait d’être nommé quelques mois plus tôt à la tête de l’Exécutif.
Ministre de la Justice et des Libertés, il avait vu au départ le Palais opposer son veto à sa nomination en 2011 en raison de son soutien au Mouvement du 20-Février lors du “Printemps arabe”; mais depuis, il semble avoir quelque peu normalisé ses relations avec les conseillers du roi, notamment Fouad Ali El Himma, à telle enseigne qu’il est un des rares ministres PJD à être en contact permanent avec eux. D’une part certes en raison de son portefeuille, considéré depuis toujours au Maroc comme souverain, mais par ailleurs aussi par le discours plus diplomatique qu’il a au fur et à mesure adopté à leur égard.
Un discours diplomatique
Celui sans doute que doit redouter le plus cependant M. Benkirane est le ministre de l’Equipement, des Transports et de la Logistique, Abdelaziz Rabbah, dont les prétentions se font désormais au grand jour. A ce titre, il cherche à se poser depuis quelques mois en représentant de l’aile conciliante du PJD; ouvrant même la voie à une alliance avec le PAM, pourtant “diabolisé” en février 2016 par M. Benkirane.
Ce dernier semble d’ailleurs avoir bien conscience de ce qu’il avait assimilé en juillet 2016 dans la ville d’Agadir à un “manège” de M. Rabbah et l’avait à cette occasion publiquement repris en lui indiquant littéralement de “rentrer dans le rang”. Il a en outre, pour les législatives, systématiquement écarté des listes électorales toute personne ayant notoirement apporté son soutien au natif de la ville de Sidi Kacem.
En tout cas, le Palais doit suivre avec attention le jeu en cours au sein du PJD et devrait certainement prendre en conséquence une décision à cette aune dans le cas éventuel d’un nouveau déferlement vert.