UNE DOUBLE COHABITATION
M. El Othmani paraît au milieu du gué, entre deux chaises. Une situation inconfortable. Et pas tenable bien longtemps.
Il y a donc l’écume des jours et leurs clapotis; et puis le reste, les lames de fond motrices qui, elles, peuvent peser de tout leur poids, le moment venu sur la situation politique actuelle. Qu’en est-il au juste? A la surface, cette histoire finalement désagréable de ces conseils de gouvernement présidés par Saâd Eddine El Othmani, à la tête du nouvel Exécutif depuis le 5 avril 2017. Absences justifiées des ministres RNI et USFP, exception faite de la secrétaire d’Etat du parti de la colombe, Lamia Boutaleb? On voudrait le croire mais des interrogations légitimes subsistent.
Bouder et boycotter un conseil de gouvernement, ce n’est pas banal. Dans la pratique institutionnelle depuis plus de 60 ans, jamais l’on n’avait été placé ni confronté à une telle situation. Alors quoi? Que les deux chefs de parti concernés, Aziz Akhannouch et Driss Lachgar, ont voulu exprimer leur position à propos des déclarations de Abdelilah Benkirane en date du samedi 3 février 2018, lors des assises du VIème congrès de la jeunesse PJD, en présence de Saâd Eddine El Othmani, par ailleurs secrétaire général de la formation islamiste et Chef du gouvernement. Ils lui ont reproché de ne pas se démarquer de ces propos s’en prenant expressément à leurs propres personnes; de ne pas s’en désolidariser de manière publique alors qu’ils portent gravement atteinte à la majorité.
Tout ce que ce dernier a pu leur accorder, après au moins deux réunions avec eux dont la dernière, à son domicile personnel, dimanche 10 février, c’est une déclaration précisant que les déclarations de Benkirane n’auraient pas de conséquences sur la majorité. Pouvait-il dire plus? Pas vraiment. Il lui est en effet difficile d’interdire de parole «Si Abdelilah », plus encore de le déférer devant la commission de discipline du PJD… Surréaliste!
Alors? El Othmani doit aujourd’hui naviguer au plus près, au jour le jour même sans doute, pour «gérer» une situation s’apparentant à un schéma de double cohabitation. Une première cohabitation avec une équipe dans son propre parti -et une équipe pas marginale. Dans ce courant, que trouve-t-on? Près de la moitié des membres du congrès tenu les 9 et 10 décembre 2017. Il est d’ailleurs vraisemblable que ce rapport de forces ait évolué depuis deux mois. A ce capital, il faut ajouter une majorité du groupe parlementaire et la quasi-totalité de la jeunesse PJD derrière Benkirane. Tous ces segments sont mobilisés autour des ferveurs militantes du discours de Benkirane des précédentes années alors qu’en creux, celui d’El Othmani, parce que «gestionnaire», n’offre pas les mêmes motifs d’attractivité et d’adhésion.
Ce dernier est affaibli à la tête de sa formation; Benkirane, lui, de 2011 à 2016, n’avait pas la même difficulté, régulant les sensibilités, surmontant les états d’âme aussi, parce qu’il était porté par les urnes et qu’il finissait par faire prévaloir et imposer son autorité.
Mais il y a plus. M. El Othmani doit faire face à une seconde cohabitation: celle liée aux rapports à entretenir et, le cas échéant, à conforter avec ses alliés de la majorité. Avec le PPS, -toujours ou encore?– allié, aucune difficulté n’existe. Avec le RNI, présidé par M. Akhannouch, qui paraît bénéficier d’un statut prééminent, c’est moins simple. L’USFP, l’UC et le MP, lui doivent la place qu’ils ont désormais dans le cabinet, chacun pour des paramètres propres. A ce titre, ils sont placés sous l’aile du parti de la colombe et M. Akhannouch se présente volontiers comme leur mandataire avec de larges pouvoirs. C’est cette situation qui pèse et réduit la latitude de décision d’El Othmani. A preuve, le renvoi à la session parlementaire d’avril de la question de la retraite des parlementaires à laquelle Benkirane avait opposé un «niet» dans sa dernière déclaration.
Tout cela –et tant d’autres dossiers encore en instance (code du travail, réforme du système éducatif et statut du français, décompensation à poursuivre)– pèse sur l’action du gouvernement et sur le climat social ainsi que celui des affaires et de l’investissement. M. El Othmani paraît au milieu du gué, entre deux chaises –une situation inconfortable. Et pas tenable bien longtemps. Le projet d’une charte de la majorité en débat ces jours-ci générera– t-il finalement le commun respect des exigences d’une solidarité et d’une cohésion? Une affirmation bien hasardeuse.