LES ÉCONOMISTES EN QUARANTAINE

Déconfinement et reconstruction d’un nouveau modèle

La nécessité d’un débat de fond sur un nouveau paradigme axé sur l’Homme, le social et l’écologie.

La crise! Une grande effervescence couplée au désarroi et à l’inquiétude: que faire? Et comment? Il n’y a pas que les décideurs politiques qui sont dans le brouillard; il faut y ajouter les économistes pourtant tournés vers le temps long. En l’état, ils sont plutôt à la peine n’étant pas en mesure de proposer et de mener une réflexion collective opératoire.

Voici une dizaine d’années déjà, le constat en avait été fait par Paul Krugman, Prix Nobel, au MIT de Boston: «Pourquoi les crises reviennent-elles à intervalles réguliers, ruinant tous les succès des années de prospérité?...» Cette question occupe le coeur de l’actualité depuis plus de deux mois avec le Covid-19. Il faut même parler de double peine: une crise économique mondiale et une pandémie majeure. La crise de 2008 était surtout financière et toutes les leçons n’en ont pas été tirées; elle n’a pas conduit à une forte inflexion vers un nouveau modèle économique. Avec le confinement, tout est remis sur la table à propos des crises économiques. Mais, dans tout ce remue-ménage, les économistes, se distinguant d’ordinaire par le commentaire et la mise en perspective, paraissent mal à l’aise. Ils observent, avec recul, sans de véritables propositions; et puis ils sont à la remorque de spécialistes relevant des disciplines sociales et surtout médicales qui occupent le devant de la scène. Il y a de l’embarras chez eux à proposer des solutions de nature à empêcher l’effondrement des économies et à les inscrire dans des perspectives à long terme?

Faut-il le leur reprocher? C’est qu’en effet la crise est inédite. Il y a en effet un choc d’offre avec le confinement et la rupture des chaînes de valeur globalisées et un choc de demande avec la forte contraction des revenus, les défauts de liquidités et de paiement et les prévisions pessimistes à terme. La crise frappe toute la planète; il n’y a pas de «découplage» entre les régions; aucune zone de repli n’est identifiable. Et puis autre chose: la pensée économique a cette particularité de se réorienter de manière lente et même tortueuse. Attachés à une certaine vision du monde -par formation, par statut,...- ils prônent souvent des idées mûries dans des think tanks ou dans des cercles proches des décideurs politiques. Par-delà les écoles, s’est opérée pratiquement une convergence même en pointillés entre l’orthodoxie et l’hétérodoxie par suite de rapprochements des diagnostics et des propositions.

C’est ainsi que sont désormais priorisés la politique budgétaire et l’interventionnisme étatique. La crise économique témoigne enfin d’un autre fait: le retour de la politique. Rien d’étonnant dans la mesure où la science économique n’a pas -encore?- fait émerger un nouveau paradigme plus ou moins consensuel de nature à aider le décideur politique à disposer d’une expertise crédible et exploitable. Les dogmes économiques qui prévalaient jusqu’alors sont remis en cause, tels les seuils d’endettement, de déficit budgétaire et de maîtrise des agrégats macroéconomiques, A-t-on affaire à une politique de circonstance liée à la crise ou à une nouvelle doctrine portant sur les fondations d’une nouvelle société? La crise doit-elle être comme une opportunité historique majeure, la solution devant projeter dans le monde d’après, écrasant les dogmes et les référents idéologiques? La sortie de crise doit-elle se limiter à un processus de relance économique? Ne s’agit-il que d’un simple retour au statu quo alors qu’elle doit être un grand processus de reconstruction?

Pratiquement assignés à une sorte de quarantaine de fait, les économistes auront sans doute à coeur à terme de prendre leur place dans les débats de fond sur un nouveau paradigme axé sur l’Homme, le social et l’écologie. Il leur restera à ne pas recycler les dogmes d’une pensée économique dominante et à se réinventer, aux aussi...

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