Le président du conseil de la communauté marocaine de l’étranger évoque l’urgence d’adopter une nouvelle politique nationale rénovée envers les Marocains du monde avec une déclinaison territoriale en impliquant les collectivités locales.
Le discours royal du 20 août 2022 a appelé à une refondation des politiques publiques pour mieux servir les Marocains du monde. Quelles sont les propositions du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger pour répondre à l’appel royal?
A cette étape du débat public, il me semble plus utile de rappeler quelques constats et des principes qui devraient inspirer la refondation des politiques publiques. Le constat premier est qu’il nous faut prendre en compte les mutations profondes que connaît cette communauté, dont, d’abord, la féminisation, sujet qui fait ces jours-ci l’objet d’une publication du CCME. Les nouvelles générations, nées et socialisées dans les pays de résidence, constituent la deuxième tendance lourde. Il ne s’agit plus de Marocains résidents à l’étranger au sens classique du terme, mais de double nationaux, qui assument pour l’essentiel leur double appartenance et revendiquent deux fidélités.
Je pense que le défi, pour nous aussi et pas seulement pour l’Europe, est d’accepter cette double affiliation, sans renvoyer ces générations à une seule origine ou les obliger de choisir. Ces deux constats (féminisation et rajeunissement) vont de pair avec un enracinement dans les pays de résidence, un développement du niveau socio-culturel, une mobilité croissante des élites professionnelles, le vieillissement des premières générations et l’émergence de nouvelles formes de migration comme les mineurs non accompagnés. La mobilité semble concerner aujourd’hui toutes les régions, toutes les couches sociales: ce n’est pas une donnée du passé mais une réalité continue, dans un contexte de compétition acharnée pour la captation de cadres qualifiés, mais aussi d’une main d’oeuvre moins diplômée.
Faut-il alors changer de politique envers les Marocains de l’étranger?
Je crois qu’il faut une politique nationale rénovée avec une déclinaison territoriale. L’implication des collectivités territoriales est essentielle à cet égard. Il faut élaborer, me semble-t-il, une politique de captation de compétences, nationales et étrangères. Tous les pays du monde visent leurs citoyens, mais toute compétence est la bienvenue, quelle que soit sa nationalité: on ne peut séparer la politique visant les Marocains du monde de la politique d’immigration. Il faudrait aussi intégrer dans notre réflexion toutes les compétences. De ce point de vue, l’implication et le renforcement de l’action des associations de l’immigration qui agissent dans le cadre du développement local est essentielle.
Le gouvernement a réagi au discours royal en instaurant une task force ministérielle pour mettre en place ce nouveau modèle. La réaction gouvernementale vous paraît-elle suffisante et appropriée?
Oui, jusqu’à nouvel ordre. Le Chef de gouvernement a réuni la commission interministérielle sur les MRE et installe en ce moment même des groupes de travail, qui devraient rendre rapidement leurs copies. Nous pourrons apprécier alors en connaissance de cause. Durant la réunion et après, je peux témoigner d’une véritable mobilisation de l’équipe gouvernementale. Deux points mériteraient cependant d’être rappelés: une bonne politique est une politique inclusive dès son élaboration et la problématique du suivi et de l’évaluation permanente est centrale.
Après deux années d’absence à cause de la pandémie, pensez-vous que l’opération Marhaba pour cette année a été à la hauteur des attentes des Marocains de l’étranger?
Oui, autant que je sache. C’est une prouesse que d’accueillir en un laps de temps aussi serré des centaines de milliers de voyageurs. Mais la refonte des politiques publiques ne peut être à géométrie variable. Marhaba devrait aussi être l’objet d’un bilan et peut-être d’une mise à niveau.
Le CCME, que vous présidez depuis de nombreuses années, est critiqué pour son faible rôle dans l’amélioration de la relation entre les MRE et leur pays d’origine. N’est-il pas temps de procéder à la réforme de cette institution?
La liberté d’expression est garantie par la Constitution et ce n’est pas moi qui vais critiquer ceux qui en usent. Il est normal que le bilan de cette institution soit l’objet d’un débat public serein, informé et pluraliste. Il faudrait en effet entendre toutes les voix, comme, par exemple, les créateurs invités au dernier SIEL. La qualité de notre débat civique gagnerait aussi à faire un peu de comparatisme, en analysant le travail de la quinzaine d’institutions similaires qui existent de par le monde. Ceci étant, nous avons travaillé, il y a des années, avec le gouvernement pour élaborer un projet de loi conformément à la Constitution de 2011. Je me félicite que le discours royal ait amené le gouvernement à reprendre ce chantier pour présenter très rapidement un projet de loi sur le CCME au Parlement à qui revient le dernier mot.
La communauté marocaine résidente à l’étranger, malgré son importance et son poids, ne participe pas encore aux élections nationales particulièrement les législatives. Faut-il, selon vous, remédier à cette situation?
La Constitution garantit le droit de voter à partir du pays de résidence, même s’il faut probablement le faciliter (instaurer le vote par correspondance ou électronique, faciliter le vote par procuration). On peut aussi se porter candidat à tous les scrutins (locaux, régionaux et nationaux) dans le cadre des circonscriptions existantes et vous savez qu’il y a actuellement des parlementaires issus de l’immigration. Il reste à préciser par la loi «les critères spécifiques d’éligibilité et d’incompatibilité » et «les conditions et les modalités de l’exercice effectif du droit de vote et de candidature à partir des pays de résidence», ce qui ne devrait pas poser de difficulté particulière.
Que pensez-vous du débat portant sur la création ou non de circonscriptions à l’étranger?
Ce débat n’est pas que maroco-marocain. Il y a aujourd’hui 15 pays au monde (sur 193) qui ont «des parlementaires de l’émigration». Cette représentation est donc minoritaire et relativement récente: fin des années 1990-début des années 2000. Au sein de ce groupe, Il y a une très grande diversité en termes de sièges réservés aux élus de l’étranger, de taille des circonscriptions, du nombre d’expatriés par élu, de procédures d’inscription (des pays exigent une inscription avant chaque scrutin) et de modalités de vote (l’Italie a exigé jusqu’en 2001 le vote au pays même). Il y a par ailleurs des questions à discuter: en cas de création de circonscriptions à l’étranger, comment garantir des campagnes électorales équitables, traiter le contentieux électoral éventuel, …?
Sur le fond, cette revendication émane-t-elle de toute la communauté, de toutes les générations, alors que nous voyons s’accélérer l’intégration politique dans les pays de résidence? Enfin, quel est l’intérêt stratégique de ces populations? Ce sont là quelques problématiques à débattre entre les différents acteurs. En attendant, utilisons plus les autres droits ouverts: droit de pétition, droit de motion législative, participation aux autres instances constitutionnelles.