Driss Elfina: "Proroger le confinement n'a pas de sens, à mon avis"

Président du Centre indépendant des analyses stratégiques-Maroc

Professeur à l’INSEA, Driss Elfina considère que l’économie marocaine peut encore supporter, mais si le confinement dure, elle accusera un sérieux coup.

Tous les Marocains attendent impatiemment la décision du gouvernement au sujet du déconfinement le 20 mai prochain. Que va-t-il se passer?
Le gouvernement a pris la décision du confinement pour un mois dans un premier temps avant de la prolonger pour un deuxième mois jusqu’au 20 mai. Ce jour-là, normalement, les Marocains vont redécouvrir la vie normale, celle de tous les jours.

Rien n’est sûr, il peut y avoir une prorogation du confinement…
Proroger le confinement n’a pas de sens, à mon avis. Ce n’est pas bon pour le pays sur tous les plans. Je vous donne un exemple, il y a des pays qui n’ont pas décidé de confinement et la situation chez eux est bonne, ou du moins gérable sur le plan des contaminations au Covid-19. Quand la pandémie battait son plein en Chine, en février et mars, aucun pays frontalier n’a fermé ses frontières avec elle. Les échanges commerciaux et les déplacements des personnes n’ont pas été interrompus. Mais il y a eu des protocoles sanitaires respectés de manière stricte. En Europe, aussi, il y a des pays qui n’ont pas recouru au confinement mais se sont adaptés à une situation particulière sans pour autant que leur machine économique ne soit complètement mise à l’arrêt. Pour moi, le Maroc doit passer rapidement au déconfinement.

Vous paraissez convaincu…
Absolument. Au début de la pandémie, notre pays n’était pas préparé. Nous ne disposions ni de structures hospitalières adéquates, ni de produits de désinfection, ni de masques de protection. Nous ne connaissions également pas grand chose sur le virus et son mode de transmission… Nous avons réagi avec les moyens du bord et chaque jour on voyait un dispositif fiable de lutte contre la propagation du virus se mettre en place. Notamment en termes de moyens de protection. Aujourd’hui, nous avons acquis une certaine expertise. Le nombre de cas en réanimation est minime par rapport à d’autres pays, de même que le nombre de décès. A partir de ces indicateurs-là, je ne vois pas pourquoi le gouvernement prolongerait le confinement. Il faut juste qu’il y ait un respect strict du protocole sanitaire et des contrôles rigoureux. Prolonger le confinement, c’est aller droit dans le mur sur le plan économique. La facture sera, alors, des plus salées: l’Etat va s’endetter davantage et les ménages vont passer à la caisse.

Sur quoi vous basez-vous pour lancer une telle mise en garde?
Dans la note que nous avons élaborée en tant que Centre indépendant des analyses stratégiques-Maroc, on souligne que «la pandémie du Covid-19 a engendré une crise économique particulière qui ne ressemble pas aux crises économiques précédentes. C’est une crise non provoquée par les marchés ni par un effondrement des prix. La compréhension de la nature de cette crise facilite la mise en place des solutions adéquates. La crise du Covid-19 est le résultat d’une décision de l’État d’arrêter les activités économiques, la fermeture des frontières et l’arrêt du transport. Cette décision s’est transformée en crise économique. Une partie importante des entreprises s’est trouvée en situation d’arrêt obligatoire. Les entreprises ne disposent plus de leurs salariés. Les chaines d’approvisionnement à l’échelle nationale et internationale sont à l’arrêt. Idem pour le transport qui l’est partiellement. Donc il s’agit d’une crise particulière et d’une nature différente.» Dans ce contexte, le Maroc n’a qu’un seul choix, celui de déconfiner pour limiter les dégâts. Il y a des risques, certes, mais il faut redémarrer l’économie nationale avec des mesures de précaution draconiennes.

Quel impact la situation de crise actuelle a-telle sur l’économie?
L’impact de la crise actuelle sera relativement moins fort que nous le croyons. Une perte inférieure à 15% de la valeur ajoutée de 2020. La nature de notre économie, où l’Etat reste un acteur principal, une économie de taille moyenne, diversifiée, avec une grande dépendance énergétique à l’international, ces éléments nous permettent de dire que l’économie marocaine peut, pour l’heure, supporter le choc, mais certes pas à l’infini. Si on déconfine le 20 mai, et que la machine économique reprend sans accrocs, on peut tabler sur une croissance du PIB de l’ordre de 0% pour 2020, ce qui sera une performance correcte.

Mais il y a des secteurs économiques qui ont été sérieusement impactés par la crise actuelle?
La crise est générale, c’est un fait, mais il n’y a pas de chiffres vérifiés sur tel ou tel secteur. Nous ne disposons aujourd’hui que d’un seul chiffre qui concerne le marché du ciment, qui a accusé des pertes de 50% de ses ventes entre le 15 mars et le 30 avril. Du coup, les pertes du secteur du BTP avoisineraient les 11 milliards de dirhams. Le secteur du transport et celui de la distribution des hydrocarbures aussi. Mais je dois relativiser les choses, c’est que le deuxième mois du confinement a coïncidé avec Ramadan. Un mois au cours duquel l’activité économique tourne généralement au ralenti, accusant une baisse de l’ordre de 20%. Autrement dit, les entreprises s’attendent toujours à une baisse pendant Ramadan. Il faut maintenant préparer la riposte avec des solutions innovantes et en allant chercher de nouvelles opportunités et de nouveaux débouchés pour nos produits… Dans notre étude, on a appelé à transformer la crise en opportunité. Et on a la capacité de le faire.

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