Driss El Yazami: "Notre système de protection des droits humains est devenu plus efficace"

Driss El Yazami

La nouvelle loi n° 76.15, adoptée le mardi 6 février 2018 par la Chambre des représentants, confère au CNDH plus d’attributions et devrait mettre en place un système national de protection plus renforcé et plus cohérent des droits de l’Homme. Tour de la question avec Driss El Yazami, président du Conseil national des droits de l’Homme.

La loi n° 76.15 concernant la réorganisation du CNDH confère au Conseil de nouvelles prérogatives. Pouvez-vous nous en parler davantage?
Les nouvelles prérogatives confiées au CNDH sont particulièrement liées aux trois mécanismes qui seront installés pour la première fois dans notre pays, en vertu de la nouvelle loi, et qui seront d’une grande importance pour les personnes privées de leur liberté, pour les enfants dont les droits seraient bafoués et pour les personnes en situation de handicap. Le CNDH avait accumulé, dans le cadre du Dahir du 1er mars 2011, une expérience riche sur ces trois problématiques: la visite des lieux de privation de liberté, les droits des enfants et les droits des personnes en situation de handicap. Mais les trois mécanismes permettront une extension et une consolidation certaines des attributions du CNDH en faveur des droits de l’Homme, d’autant plus que leur mise en place s’inscrit dans le cadre d’engagements internationaux du Royaume du Maroc.

Le CNDH sera-t-il en mesure de traiter des plaintes dans certains cas de violation des droits de l’Homme?
C’est une des missions essentielles du CNDH de traiter les plaintes des personnes physiques et morales. Pour ce, il peut prendre toutes les diligences nécessaires pour établir la vérité les concernant et agir en conséquence. L’une des nouveautés importantes de la nouvelle loi est qu’elle permet au mécanisme de prévention de la torture de soumettre les cas de violation des droits de l’Homme qu’il lui est donné de constater, à la justice. Je tiens à cet égard à féliciter les députés qui ont proposé cette disposition dans le cadre d’un amendement.

Pensez-vous que le CNDH n’était pas si bien outillé pour exercer ses fonctions de protection des droits de l’Homme?
Le CNDH avait toujours un mandat général en matière de droits de l’Homme. La mission de protection englobait bien évidemment le traitement des plaintes, les visites aux lieux de privation de liberté, l’intervention par anticipation, la médiation, les investigations, le monitoring et le reporting. Les trois mécanismes créés au sein du CNDH en vertu de la nouvelle loi ne manqueront pas, en tout état de cause et dans la mesure où ils sont conformes aux standards internationaux, de consolider les missions du CNDH, les étendre, les concentrer et les rendre plus efficaces.

Croyez-vous à une tentative de politisation du CNDH quand certains députés avaient proposé l’intégration de quatre parlementaires dans sa composition?
Le débat au sein du parlement, que nous avons suivi de près, a été indéniablement riche et fructueux. Et la plupart des amendements que les députés ont proposés ont été pris en considération par le ministre d’État chargé des droits de l’Homme. L’interaction entre celui-ci, les parlementaires et les différents acteurs et intervenants, y compris le CNDH, a été quasi exemplaire. Concernant cet amendement, la jurisprudence internationale préconise en même temps deux postures. D’une part, la non participation des parlementaires comme membres dans les institutions internationales des droits de l’Homme (INDH). Et, d’autre part, une coopération active entre les parlements et les INDH dans le cadre des principes de Belgrade. Et c’est ce que nous faisons avec le Parlement depuis au moins 2014. Cette année, nous avons signé deux mémorandums d’entente et, depuis, les deux chambres nous ont saisis près de 20 fois pour émettre des avis consultatifs. Non participation ne veut pas dire absence de coopération. Bien au contraire.

La nouvelle loi dote le CNDH d’un mécanisme de prévention contre la torture. Comment va fonctionner ce mécanisme?
C’est le règlement intérieur qui va définir le fonctionnement de ce mécanisme à l’instar des deux autres mécanismes. Cependant, ce que je peux confirmer dès maintenant, c’est que le mécanisme national de prévention contre la torture assumera toutes les missions confiées à ce genre de mécanismes par le protocole facultatif annexé à la Convention de lutte contre la torture, à savoir les visites à tous les lieux de privation de liberté sans exception aucune, de manière régulière et à chaque fois que ses membres le demandent. Ces visites, qui seront effectuées suite à une plainte ou dans le cadre d’une auto saisine, auront pour objectif de faire l’état des lieux, d’établir des rapports bien ciblés et de formuler les recommandations ou les propositions susceptibles de résoudre les causes structurelles des mauvais traitements et de la torture.

Pensez-vous que la torture existe toujours au Maroc?
Il est fort possible que certains responsables de l’application des lois fassent usage de la violence, lors de l’exercice de leurs fonctions. Cependant, on peut dire avec fierté et sans risque d’erreur que les avancées réalisées dans notre pays en matière de respect des droits de l’Homme sont irréversibles.

Le Maroc continue d’être la cible de nombreuses ONG internationales sur ce plan. Que leur répondez-vous?
Ce sont les avancées incontestables réalisées dans le processus d’édification de l’Etat de droit, de démocratie et des droits de l’Homme qui parlent d’elles-mêmes et réfutent certaines allégations mal fondées. Je crois, en même temps, que la véritable réponse est de continuer, sereinement et de manière tenace, rigoureuse et professionnelle, notre effort national. C’est ce que nous faisons, aux côtés d’autres institutions de bonne gouvernance et de régulation comme le CESE, la HACA ou le Médiateur.: établir notre propre évaluation des dysfonctionnements dans tel ou tel domaine, préconiser des pistes de réforme et suivre leur mise en oeuvre.

Human Rights Watch a critiqué l’usage de la force par la police contre des manifestants à Al Hoceima. Le CNDH a-t-il mené des enquêtes sur ce sujet?
Le CNDH s’est préoccupé de la situation et l’a suivie de près dès le décès du défunt Mohcine Fikri. On a eu de profonds entretiens avec toutes les parties. Si on ne s’est pas prononcés sur lesdits événements, c’est parce que le dossier est actuellement entre les mains de la justice.

Le CNDH négocie le retour au pays de nombreux Marocains exilés à l’étranger. Quelles sont les personnes concernées?
Il ne s’agit pas de négociation. Le retour des exilés s’inscrit dans le cadre de la poursuite de l’exécution des recommandations de l’Instance équité et réconciliation. Et puisque c’est le CNDH qui, jusqu’à nouvel ordre, veille sur le suivi desdites recommandations, il estime qu’il est de son devoir d’accompagner les divers acteurs dans le processus de réconciliation.

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