Drame du petit Rayan : Le Maroc qui peut

Au bout d’un effort de plusieurs jours, les autorités marocaines ne sont pas parvenues, hélas, à sauver le petit Rayan du puits où il avait fait une chute. Ceci dit, l’esprit héroïque des opérations de sauvetage se doit de persister et de caractériser les politiques menées par l’État marocain.

C’était devenu clair dès lors que la nouvelle du déploiement d’éléments des Forces armées royales (FAR) à Douar Ighran était confirmée: le roi Mohammed VI en personne suivait les travaux devant mener à l’extirpation du petit Rayan Aourram du puits où il avait chuté le 1er février 2022. Qui d’autre que lui pouvait donner cet ordre? Le Cabinet royal lui-même confirmait au moment d’annoncer, dans la soirée du samedi 5 février 2022, que le jeune garçon de cinq ans n’avait malheureusement pas survécu et de révéler la teneur de l’échange téléphonique que le Souverain venait d’avoir à l’instant avec ses parents. “S.M. le Roi, que Dieu le glorifie, a assuré qu'il a suivi de près les développements de ce douloureux incident et qu’il avait donné ses hautes instructions aux autorités concernées pour prendre les mesures nécessaires et déployer tous les efforts possibles afin de sauver le défunt,” pouvait-on y lire.

Bien évidemment, c’est un sentiment de déception accablante qui, à en croire en tout cas les réactions sur les réseaux sociaux, a dominé dans la foulée non seulement dans les foyers marocains, mais aussi ceux du reste du monde arabe, voire de la planète entière, après que celle-ci a, notamment lors des trois derniers jours, suivi seconde par seconde les tentatives de sauvetage menées par les autorités marocaines. Jamais d’ailleurs peutêtre la géologie du Maroc et particulièrement des montagnes du Rif, où se trouve niché Douar Ighran, n’a eu droit à autant d’attention; car d’elle dépendait en majeure partie le succès de l’“opération Rayan”.

Tentatives de sauvetage
Tantôt, les choses avançaient à vive allure et, avec elle, l’espoir que Rayan s’en sorte vivant augmentait; d’autres fois, c’était une angoisse glaçante qui dominait, après que l’on fit savoir que quelque rocher coriace de par sa texture était venu s’interposer, ou qu’un éboulement venait, de façon rageante, remettre les pendules à zéro. Comme souvent en pareilles circonstances épiques, des héros ont été portés aux nues: ils s’appellent par exemple “‘ammi Ali Sahraoui” (oncle Ali le Sahraoui, en arabe), de son vrai nom Ali El Jarjaoui, un quinquagénaire qui a passé plus de trente ans de sa vie à creuser des puits dans sa région d’Erfoud, aux portes du Sahara oriental, et qui pendant vingt heures d’affilée et armé de son seul burin a permis de faire gagner une demi-douzaine de mètres aux équipes de secours lors du creusement horizontal pour atteindre Rayan. Mais on pourrait en dire autant des “différentes autorités, forces publiques, et acteurs associatifs” dont les efforts qualifiés à très juste titre d’“inlassables” par le Roi leur ont valu l’admiration de tous, et cela pas seulement au Maroc.

On pourrait, à cet égard, citer la flopée de responsables étrangers qui n’ont pas manqué de rendre hommage au Royaume -le pape François Ier ou encore le prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed, qui a même pris le temps d’appeler le roi Mohammed VI le 6 février 2022-, même si bien sûr d’aucuns rétorqueront que c’est plutôt à mettre sur le compte de la “bienséance” diplomatique, mais il faut également dire qu’une unanimité générale se ressentait dans les réactions des citoyens d’ici et d’ailleurs (sauf à tenir compte des sorties des représentants de certains milieux nihilistes qui trouveront toujours à y redire).

Soulever des montagnes
Comme quoi, quand elles le veulent -ou qu’elles ont les yeux du monde entier, littéralement, rivés sur elles et qu’elles n’ont donc pas vraiment le choix, glisseront malicieusement certains-, les autorités marocaines sont capables de soulever des montagnes, et cela même au sens propre. Faudra-t-il que nécessairement, comme le fit observer cet influenceur largement suivi sur les réseaux sociaux, d’autres drames comme celui de Rayan se reproduisent pour que nous soyons encore témoins d’une telle diligence? Et pourrait-on dire, en vérité: l’idée est-elle de mettre une fois l’an le paquet pour un Rayan pour expier la faute des mille autres, enfants et même adultes, tous genres confondus, que, faute de couverture médiatique, on laisse sur la touche et ainsi apaiser sa conscience? “Le puits de la misère est un puits sans fond, on ne tombe pas dedans par mégarde mais poussé par les politiques injustes,” a sans doute résumé, dans un post sur sa page Facebook, le sociologue Mohammed Ennaji.

Quand on a de bout en bout suivi l’affaire Rayan, qu’on a vécu en mondovision tous ses soubresauts, le moins que l’on puisse dire est qu’au final c’est un sentiment de gâchis qui domine. Gâchis bien sûr, en premier lieu, visà- vis de Rayan lui-même, dont l’installation d’une simple margelle aurait pu éviter la mort, quoique après tout, et comme souligné par le Cabinet royal, “la volonté de Dieu [est] imparable”. A ce titre, une salutaire campagne devrait sans doute être menée dans les plus brefs délais par les autorités compétentes pour éviter d’avoir à revivre le même crève-coeur, en commençant par la fermeture des puits inusités. Mais il y a aussi le gâchis émanant de cette réalité éclatante aux yeux de tous d’un Maroc fonctionnant à un régime bien plus bas que celui qui devrait être le sien.

Constat d’ailleurs évident tout au long des deux dernières années ayant coïncidé avec la pandémie de Covid-19: n’a-t-on pas vu le Maroc parvenir, en tout cas lors des premiers mois, à faire mieux même que les grandes puissances en gérant de main de maître la crise eu égard à ses différents volets, qu’ils soient sanitaires ou encore économiques? Certaines de ces puissances ne se sont-elles d’ailleurs pas vu elles-mêmes livrer des masques “made in Morocco” dont les unités de production ont été montées en deux temps trois mouvements? Et que dire aussi du récent lancement à Benslimane d’une nouvelle plateforme de fabrication et de mise en seringue de vaccins, notamment anti-Covid-19, capable de produire 116 millions d’unités par an à l’horizon 2024?

Salutaire campagne
Le point commun que l’on trouve entre ces différents exemples, en incluant celui de Rayan, est celui évoqué au tout début de cet article: le suivi personnel effectué par le Roi. Quand ce dernier s’implique, l’impression est que même un miracle est en mesure d’advenir.

Pour en revenir à la pandémie, c’est lui qui avait pris les choses en main alors qu’à l’époque où les premiers cas se déclaraient, en mars 2020, au Maroc et qu’un pays comme l’Italie se trouvait au centre d’une véritable catastrophe sanitaire, le gouvernement de l’époque, dirigé par Saâd Eddine El Othmani, se laissait aller à une atterrante léthargie et laissait même entendre qu’aucune mesure de confinement ne serait adoptée. “Dès le départ, le roi du Maroc a pris la menace du virus très au sérieux. En réalité, il aurait pu laisser la gestion de la crise sanitaire à un exécutif qui en avait logiquement la charge. Avec le recul, cela aurait été dramatique,” décortiquait, dans son livre de juillet 2021, l’homme de communication et patron de presse Abdelmalek Alaoui.

Foultitude de responsables
Sauf que bien évidemment le Roi ne peut pas tout faire, et c’est lui-même qui le dit. “Beaucoup de choses se disent sur les citoyens allant à la rencontre de leur roi, sollicitant son assistance pour régler de multiples problèmes ou surmonter des difficultés. Si certains ne comprennent pas que des citoyens s’adressent à leur roi pour régler des problèmes et des questions simples, c’est qu’il y a maldonne quelque part. Je suis évidemment fier de traiter directement avec mon peuple et de régler ses problèmes simples. Je continuerai à le faire, toujours à leur service.

Mais est-ce que les citoyens me demanderaient d’intervenir si l’administration faisait son devoir? Il est certain qu’ils y ont recours précisément parce qu’ils se trouvent face à des portes fermées, ou parce que l’administration fait preuve de négligence dans les prestations qu’elle leur fournit, ou encore pour se plaindre d’une injustice qu’ils ont subie,” fustigeait- il en octobre 2016 au parlement, dans un discours donné à l’occasion de l’ouverture de la session d’automne de l’institution législative et visant donc le corps administratif du pays.

“Est-ce que [le Roi] va tout faire?,” se demandait, pour sa part, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, dans une conférence de fin juin 2021 qui avait fait couler beaucoup d’encre notamment auprès des partis politiques nationaux après qu’il s’en est directement pris à ces derniers et à leurs promesses électorales impossibles, de par leur ampleur mais aussi de leur amplitude, à tenir.

Ne jetons bien sûr pas le bébé avec l’eau du bain: au niveau des différentes arcanes de l’État, il y a une foultitude de commis et de responsables, et M. Jouahri en fait d’ailleurs justement partie, qui font parfaitement le travail qu’on attend d’eux, et même plus. Mais à l’échelle globale, difficile de chasser ce sentiment de l’existence d’un attentisme par trop ancré dans les moeurs, à telle enseigne qu’il ne serait sans doute pas galvaudé de le taxer de “maladie infantile” du système politique marocain, comme en son temps Lénine décrivait le gauchisme.

A cet égard, les cent premiers jours du gouvernement Aziz Akhannouch, bouclés le 15 janvier 2022, livrent par exemple un constat sans appel: que peu importe que ce soit le Rassemblement national des indépendants (RNI), comme maintenant, ou le Parti de la justice et du développement (PJD), comme au cours des quelque dix ans avant lui, l’Exécutif au Maroc se contente au mieux de gérer les affaires courantes, et au pire entrave la mise en oeuvre correcte d’un chantier aussi stratégique que le nouveau modèle de développement (NMD), pourtant commandé par le Roi.

Et, hélas, on peut aussi en dire autant de l’administration non-politique, comme souligné par le Souverain dans son discours au parlement suscité. En somme, le martyre de Rayan, car il n’est vraiment pas d’autre façon de décrire son supplice qui a brisé jusqu’au coeur des âmes les plus impavides, ne se doit pas seulement de continuer à marquer l’inconscient collectif des Marocains, mais également leur conscient moral et politique, gouvernement et peuple; autrement cela n’aurait été, pour reprendre le fameux mot du sociologue français Pierre Bourdieu, qu’un fait divers ayant fait diversion, au milieu du fast-food informationnel que sont devenus les réseaux sociaux.

A la fin des années 2000, le défunt président vénézuélien Hugo Chavez avait contribué à populariser la phrase suivante, alors que le monde peinait encore à se relever de la crise financière de 2007-2008: “Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé”. Rester fidèle à l’esprit de Rayan, c’est, de la même façon, prendre chaque défi, jusqu’au plus petit, à bras-le-corps, comme si vie d’enfant était toujours en jeu...

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