Yasser Akif: “Diminuer le nombre d’années ne garantit pas la formation de plus de médecins”

Alors que les facultés de médecine à travers le Maroc sont paralysées depuis 10 mois par la grève des étudiants qui refusent la réforme imposée par le gouvernement, une intervention musclée contre un sit-it à devant la faculté de Rabat vient amplifier les tensions. Entretien avec Yasser Akif, représentant des étudiants quelques heures avant son arrestation, jeudi 26 septembre 2024.


Le Sit-in du 25 septembre devant la faculté de médecine de Rabat a été dispersé par la police. Qu’est ce qui s’est passé au juste? 

Les étudiants en médecine prévoyaient d’organiser un sit-in devant le siège de la Faculté de médecine de Rabat. Nous avons choisi des points de rassemblement proches du lieu du sit-in pour éviter que notre mobilisation soit considérée comme une marche et donc qu’elle soit interdite ou dispersée par la police. Malgré ces précautions, nous avons été confrontés à l’interdiction imposée par les forces de l’ordre sur place. 

Lesquelles forces étaient particulièrement présentes en nombres jamais vus auparavant. On sentait qu’ils étaient là pour nous. On nous a donné un délai de 40 minutes pour partir mais nous avons décidé de rester. À partir de 21h00, les autorités ont commencé l’évacuation de manière violente, frappant et arrêtant certains participants. Pas moins de 15 personnes ont été arrêtées et plusieurs autres ont été blessées ou ont perdu connaissance après l’intervention violente des forces de l’ordre. C’est honteux. 

Cela fait 10 mois que nous souffrons à cause du blocage et maintenant on subit aussi la souffrance physique de la répression. 

À quoi faut-il s’attendre après ce qui s’est passé lors du sit-in de Rabat? 

Tout d’abord nous exigeons la libération immédiate des étudiants et des parents interpellés pour éviter que la situation ne se dégrade davantage. Nous rappelons aussi que la violence ne peut en aucun cas être une bonne réponse à nos revendications. Nous réitérons notre attachement à la non-violence dans notre mobilisation, peu importent les provocations que nous subissons, et nous soulignons encore une fois que nous protestons par amour de notre pays et par attachement à la bonne qualité de la formation en médecine dans le secteur public. Par ailleurs, des étudiants en médecine dans plusieurs villes observent des sit-in de solidarité après ce qui s’est passé à Rabat, et je salue aussi les médecins résidents et internes qui ont décidé de se solidariser avec nous en protestant devant les Centre hospitaliers universitaires (CHU) dans plusieurs villes. 

La réduction de la durée de formation de 7 à 6 ans est la pomme de discorde entre vous et le ministère de tutelle. Certains accusent les étudiants d’insister sur le maintien de la septième année pour faciliter leur départ à l’étranger. Que répondez-vous à cela? 

C’est du n’importe quoi tout simplement. Et pour preuve, le ministère de l’Enseignement supérieur nous a proposé de nous livrer des documents attestant que nous avons étudié un volume horaire correspondant à un cursus de 7 ans. Lesquels documents pourraient être présentés par l’étudiant souhaitant faire sa spécialité à l’étranger. Mais nous avons refusé cette offre car nous ne sommes pas animés par des intérêts personnels contrairement à ce que certains tentent de véhiculer. Et puis la majorité de ceux qui partent faire leur spécialité à l’étranger rentre au Maroc ce qui représente un gain important pour le pays. Nous sommes patriotes et nous nous engageons à travailler pour notre pays après la fin de nos études. 


Le gouvernement justifie le passage à 6 ans par, entre autres, la nécessité d’augmenter la capacité de formation afin d’accompagner la mise en place du chantier de la généralisation de la couverture sociale. Qu’en pensez-vous? 

Diminuer le nombre d’années ne garantit pas la formation de plus de médecins. Si le même effectif rejoint la première année, tu auras le même nombre de diplômés après. Et puis la quantité ne veut pas forcément dire que la qualité sera au rendez-vous. La septième année est très importante dans notre formation car au Maroc le système de santé est basé sur une certaine hiérarchie. Dans cette hiérarchie à l’hôpital, on passe par plusieurs étapes dont cet étudiant en septième année qui a acquis un certain arsenal de connaissances et de compétences durant deux années de pratique, avant d’arriver à l’étape du médecin. Je rappelle dans ce sens que nous avions accepté la proposition faite en 2022 par le ministre de l’Enseignement supérieur contenant une septième année dédiée aux stages pratiques. Mais avec la nouvelle structuration proposée en 2024, cette septième année a totalement disparu. 

Pourriez-vous nous expliquer cela? 

Les nouveaux étudiants qui intègrent les facultés de médecine dès cette année auront droit à une formation 4+2, c’est-à-dire six ans dont 2 ans de stage. Les étudiants actuellement en septième et dernière année auront eu une formation 5+2. Mais les cinq promos entre les deux se retrouvent coincées dans une situation problématique où leurs étudiants auront droit à une formation de six ans comme les nouveaux mais avec seulement une année de stage, c’est-à-dire un cursus 5+1. On ne peut pas accepter cela car ça porte fortement atteinte à la qualité de notre formation et par conséquent à tout le système de santé de notre pays. Ce problème vient se greffer à d’autres pour empirer encore plus la situation. 

Que voulez-vous dire par ça? 

Nous souffrons déjà de plusieurs problèmes comme la faiblesse des moyens matériels et le manque de places dans les établissements pour garantir une bonne formation pratique pour les étudiants. 

Et la situation se dégrade même pour certains. À titre d’exemple, à Rabat la reconstruction du CHU à poussé la majorité des étudiants à effectuer leur formation pratique dans des hôpitaux régionaux ou provinciaux avec tout ce que cela implique. 

D’un autre côté, les étudiants de la branche pharmacie ont trouvé un accord avec le gouvernement pour reprendre les cours. Cela ne risque-t-il pas d’affaiblir votre position? 

Non pas du tout. Ils avaient leurs propres revendications et nous avons les nôtres. Nous sommes sincèrement contents pour eux car ils ont eu ce qu’ils voulaient et ils pourront reprendre le cours normal de leur vie. Je vous rappelle que nous ne faisons pas grève juste pour faire grève, mais pour défendre nos droits. Nous voulons aussi retrouver notre vie normale et retrouver les bancs de la fac.

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