Faute de vision, le gouvernement continue d’endetter le pays. En 2020 et 2021, la dette globale publique a pulvérisé tous les records. L’inquiétant, c’est que cet endettement sert uniquement à compenser la baisse des recettes de l’Etat et non pas à investir pour relancer l’économie. Une situation alarmante qui hypothèque les générations actuelles et futures de Marocains.
Encore un énième prêt de la Banque mondiale ! Jeudi 17 juin 2021, cette institution de Bretton Woods a accordé au Maroc un prêt de 450 millions de dollars pour soutenir les réformes visant à accroître l’accès aux services financiers et numériques. Quelques jours auparavant, la même institution avait approuvé un autre prêt de 450 millions de dollars afin d’améliorer le développement de la petite enfance dans les zones rurales et financer la troisième phase de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH).
Le 18 mai 2021, c’était un prêt japonais de 165 millions de dollars pour le développement territorial au Maroc. Drôles de thématiques qui ne résonnent pas vraiment bien en ces temps de crise économique et où la productivité de la machine économique est à son niveau le plus bas. Des annonces qui tombent à coups de communiqués, sans détails sur la maturité et le taux d’intérêt.
Ouvrir les vannes des prêts
Le ministère des Finances a changé de stratégie. Au lieu des sorties à l’international, dont les toutes dernières ont été obtenues avec des conditions défavorables et des taux élevés, à moins de trois mois des élections législatives, le gouvernement, à travers son ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun, joue la montre. Il ouvre ainsi les vannes des prêts à tout va sans faire trop de bruit comme pour les emprunts à l’international. Du coup, il est certain que la dette publique globale (qui englobe l’endettement du Trésor et des établissements publics, dont certains sont très endettés et de surcroît dans une situation financière difficile) a dépassé les 100% du PIB.
Un niveau très inquiétant, voire alarmant, qui menace les équilibres financiers et macroéconomiques du pays et hypothèque les générations actuelles et futures des Marocains et qui fait dire à l’économiste Omar Kettani: «Le jour où notre endettement public dépassera 100% de notre PIB, on n’aura plus la capacité de négocier avec des avantages. Le gouvernement nous ment en disant que le FMI est satisfait de notre gestion de l’endettement et des réformes engagées ».
Plus inquiétant encore est que l’endettement est devenu une source de financement structurelle du Budget général et des dépenses publiques en général car le système fiscal est incapable de financer les dépenses de l’Etat. Pus du tiers des dépenses du Budget général est financé avec la dette.
Il est vrai que les fondamentaux et la stabilité politique du Royaume jouent en sa faveur et entretiennent le capital confiance et solvabilité dont il jouit, mais les investisseurs et les bailleurs de fonds internationaux n’obéissent qu’à une seule logique: faire fructifier leurs placements.
Du coup, quand ils exigent des taux d’intérêt élevés, c’est que cette solvabilité diminue. Et ce qui fait que celle-ci diminue, c’est un taux d’endettement public global qui dépasse la capacité du pays à produire assez de richesses et d’emplois pour faire tourner la roue économique et payer ses dettes et leurs charges. Cette solvabilité, ce sont les agences de notations, globalement américaines, qui la notent.
Et, depuis quelque temps, les notations de ces agences témoignent d’une baisse de la solvabilité. Pourquoi? La hausse inquiétante de la dette publique et des déficits budgétaires sont les deux principaux facteurs qui ont amené les agences de notation internationales Standard &Poor’s et Moody’s (avril 2021) et Fitch (octobre 2020), à dégrader la note du Maroc. Et pourtant, ces notations n’ont pas empêché le gouvernement en septembre 2020 de lever 1 milliard d’euros sur le marché international pour rembourser une tombée de dette et de revenir sur le marché début décembre de la même année en levant un montant record de 3 milliards de dollars dans le cadre d’une vente d’obligations à trois tranches, à des maturités de 7, 12 et 30 ans et à des taux d’intérêt assez élevés, comparés à l’emprunt de septembre de la même année. Ou encore de penser à lancer, avant la fin de l’année 2021, un grand emprunt national, au risque de se voir confronté, dans le cadre d’un éventuel nouvel emprunt à l’international, à une hausse du taux de référence et de la prime de risque.
L’endettement public a battu tous les records depuis le début de la pandémie. Moins d’un mois de l’annonce de l’état d’urgence, du 6 au 8 avril 2020, il y a eu le projet de loi autorisant le déplafonnement des emprunts en devises, le tirage de 275 millions de dollars du prêt de la Banque mondiale réservé préalablement aux catastrophes puis le tirage sur la Ligne de Précaution et de Liquidité (LPL) pour un montant équivalent à près de 3 milliards de dollars, soit le montant total de la ligne.
Et pourtant, toutes ces dettes n’ont pas été injectées avec l’intention d’une relance économique génératrice de richesses et d’emplois, où l’investissement est la clé de voûte. L’investissement public devrait être orienté vers des projets destinés à appuyer les exportations marocaines afin de renflouer les caisses de l’Etat en devises et à renforcer l’attractivité du Royaume aux yeux des investisseurs étrangers. Il n’y a que la relance économique pour sortir de cette impasse. Pour l’heure, les véritables signes d’un début de relance sont encore timides.
La pandémie du Covid-19 a accentué la dégradation des finances publiques et réduit les chances d’une amélioration rapide des équilibres macroéconomiques au Maroc. L’endettement était inévitable pour assurer une réserve de devises mais aussi pour relancer l’activité économique après plusieurs mois d’arrêt et une série de mesures de restrictions qui ont obligé plusieurs milliers d’entreprises à mettre la clé sous le paillasson. Sauf que cette dette publique a beaucoup augmenté. En 2020 et 2021, elle a pulvérisé tous les records.
Mesures de restrictions
L’alarmant, c’est que cet accroissement important de l’endettement public sert à parer à la baisse des ressources et non pas à investir pour relancer l’économie. Quid justement du plan de relance économique? Qu’en est-il du Fonds Mohammed VI pour l’investissement? Et pourquoi depuis plusieurs mois les budgets de l’investissement public diminuent de plus en plus? En tout cas, une chose est sûre, cet endettement n’est pas affecté à des dépenses d’investissement.
Dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, tout le monde s’accorde à dire qu’il est nécessaire d’investir massivement dans la santé publique. Or, les dépenses de santé n’ont évolué que très peu et n’ont pas satisfait les besoins exprimés par les professionnels et les citoyens. Le budget de la santé frôle les 5% du Budget général, loin des 10% de pays de la région et des 15% recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Faute de vision, le gouvernement s’endette pour faire fonctionner le train de vie de l’Etat sans plus, en attendant les prochaines élections.
Il ne risque pas de prendre des initiatives significatives à la veille de ces échéances électorales. Mais il continue à endetter le pays. Et c’est au prochain gouvernement, celui qui sera formé à l’issue des élections législatives de septembre 2021, d’hériter de ce passif et d’argumenter de la nécessité de s’endetter encore et encore pour payer la dette et assurer un fonctionnement normal des services publics, voire à consommer.
Le pire, c’est que les signaux positifs de la croissance économique, tels la bonne campagne agricole (sachant qu’elle n’assure pas les mêmes revenus pour les petits agriculteurs comme pour les grands agriculteurs), et le début de la reprise de l’économie mondiale sont atténués par le rythme de vaccination à deux vitesses, l’attentisme des opérateurs économiques et la dégradation des relations avec des partenaires traditionnels européens au vu des crises récentes avec l’Allemagne puis l’Espagne.