Une décision temporaire et conjoncturelle

SPOLIATION ALGÉRIENNE D’EL ARJA

Sur un coup de tête, Alger a décidé qu’une palmeraie marocaine depuis des siècles lui appartenait. Et la réponse du Maroc reste pour l’instant bien trop molle.

Le 18 février 2021, Abdelmalek Boubekri se rend comme chaque jour depuis soixante ans sur les terres que sa famille possède dans la palmeraie d’El Arja. Riche d’environ quinze mille palmiers-dattiers, cette palmeraie est entretenue depuis la nuit des temps par des agriculteurs de l’actuelle province de Figuig, dans la région de l’Oriental, et produit notamment les fameuses dattes Aziza, dont la réputation n’est plus à faire. Sauf que ce jourlà, M. Boubekri est surpris d’être confronté à plusieurs éléments de l’armée algérienne qui le somment de débarrasser lui et les siens le plancher dans un délai de trois jours.

Leur argument? El Arja se trouverait en Algérie. Pour faire valoir leur droit, les éléments en question renvoient à la convention du 15 juin 1972 relative au tracé des frontières maroco- algériennes et qui établit qu’au niveau de l’oasis de Figuig, la ligne de démarcation passe par un oued sans nom qui contourne la zone dunaire située à l’est de la ville de Figuig, jusqu’à rencontrer plus au nord l’oued Halouf. “El Arja se trouve”, avance-t-on, “sur la rive orientale de l’oued sans nom, donc elle est Algérienne”. M. Boubekri est atterré. En 2020 seulement, il a planté de nouveaux palmiers, et ce, de plus, avec le soutien du ministère de l’Agriculture dans le cadre du Plan Maroc vert (PMV).

El Arja, pas Marocaine? Et cet acte de 1939 où le tribunal de première instance de Figuig reconnaît à sa famille ses propriétés à El Arja, un simple torchon? “Je n’y comprends plus rien,” confesse M. Boubekri. Au final, la deadline initiale sera repoussée d’un mois et devait se terminer ce 18 mars 2021, suite à une intervention des autorités marocaines. Car on comprend à partir des propos tenus par le gouverneur de la province de Figuig, Mohamed Derhem, aux représentants des agriculteurs d’El Arja au cours de la réunion qu’il a eue avec eux dans la journée du 16 mars 2021 et relayés par un communiqué du ministère de l’Intérieur qu’il y a eu au moins échange entre le Maroc et l’Algérie.

Mouvement de protestation
M. Derhem a en effet parlé de décision “temporaire et conjoncturelle” de la part de la partie algérienne, ce qu’il n’aurait pu dire si les responsables de la voisine de l’Est ou leur ambassade dans la ville de Rabat ne l’avaient pas signifié à leurs vis-à-vis marocains. Dans le même sens, une délégation algérienne, dont un général selon M. Boubekri, qui était présent, s’était rendue le 10 mars 2021 à El Arja pour rappeler aux agriculteurs qu’ils n’avaient plus que huit jours avant de devoir se résoudre à perdre leurs palmiers et leur avait demandé, après près de deux heures à faire le tour du propriétaire: “Les vôtres ne vous ont rien dit?”.

Mais pourquoi alors avoir attendu tant de temps sans rien dire? Pourquoi avoir laissé les agriculteurs dans le désarroi et attendu qu’ils organisent le 13 mars 2021 leur premier sit-in officiel à Figuig pour enfin bouger? On peut bien sûr comprendre que des considérations politiques soient prises en compte, étant donné qu’il est évident que l’objectif de l’Algérie est de pousser le Maroc à réagir et ainsi rééditer le scénario de la Guerre des Sables de 1963-1964. À l’époque, le vice-Premier ministre et ministre de la Défense algérien, Houari Boumédiène, avait agi de la même façon pour détourner l’attention des citoyens qui se soulevaient notamment en Kabylie contre l’État militaire que lui et les autres gradés étaient en train de mettre en place, et le Royaume avait offert à ces derniers le cadeau de leur rendre leurs coups et leur donner la possibilité de se faire passer pour la victime.

Aujourd’hui, c’est au mouvement de protestation du Hirak en cours depuis février 2019 que la junte algérienne doit parer, et ni le remplacement de Abdelaziz Bouteflika au poste de président en décembre 2019, ni le changement de Constitution opéré le 1er novembre 2020 et boycotté par près de 77% de la population n’y ont rien fait.

Des explications peu convaincantes
À cet égard, les explications données le lundi 15 mars 2021 par le quotidien algérien El Khabar prétextant que les agriculteurs auraient tenté, à partir du 18 février 2021, d’élargir leurs propriétés ne convainquent pas, surtout que ce n’est pas la justification donnée par l’Algérie au Maroc -l’ambassadeur algérien Abdelhamid Abdaoui aurait plutôt excipé, selon certaines sources médiatiques, de la pandémie de Covid- 19. Mais pour autant, Rabat doit-elle accepter, sans sourciller, que des terres appartenant à ses ressortissants soient ainsi spoliées? Car quand bien même El Arja était algérienne, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là de leurs propriétés privées, et qu’au titre des conventions internationales que l’Algérie a, au passage, signées, ils doivent en garder le contrôle, à moins d’être dûment indemnisés.

M. Derhem a certes souligné que “l’autorité provinciale (...) reste mobilisée pour étudier et élaborer des solutions qui tiennent compte de toutes les options”, mais il faut bien insister pour que ce soit Alger qui paie les pots cassés, non l’État marocain. Mais tout compte fait, El Arja appartient-elle vraiment à l’Algérie? C’est plus que contestable. La convention du 15 juin 1972 fait, il est vrai, mention d’un oued sans nom pour séparer les territoires marocains de ceux algériens, mais l’oued en question est un deuxième oued qui se trouve au-delà d’une crête, non celui au bord duquel stationne désormais l’armée algérienne. D’ailleurs, au moment du recensement effectué le 10 mai 1954 par la France, El Arja avait été exclue, l’autorité coloniale française étant consciente de la marocanité de la palmeraie.

Le Maroc va-t-il donc encore renoncer à de nouveaux pouces de son territoire? Si la realpolitik l’impose, très bien, mais qu’il puise au moins dans l’ensemble de l’arsenal juridique auquel il a recours, au risque de laisser la voie ouverte à bien pire encore: en lançant son armée en septembre 1999 en plein territoire marocain et en proposant deux ans plus tard de diviser le Sahara marocain en deux en plaidant la recherche d’une solution au différend dans la région, M. Bouteflika avait été explicite au sujet des intentions territoriales d’une certaine partie de la classe politique algérienne.

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