Décès de Ahmed Herzenni : L'homme qui rêvait de la révolution paysanne


L’ancien Monsieur droits humains du présent règne nous quitte en laissant derrière l’image d’un homme humble, patriote, capable de faire son autocritique s’il le fallait, et surtout si l’intérêt du pays le commandait.

Fin 2004/début 2005. Une première mondiale. A la télévision marocaine, des victimes des années de plomb témoignent en direct. L’Instance équité et réconciliation (IER) a frappé fort. Un témoignage sort de l’ordinaire. “Je ne suis pas une victime et je n’étais pas non plus un ange”. Une déclaration qui a marqué les esprits. C’est Ahmed Herzenni qui l’a dite avec courage, et surtout avec conviction. C’est ce même Herzenni qui a rendu l’âme mardi 15 novembre 223, à l’âge de 75 ans, à Rabat, des suites d’une longue maladie. Ses funérailles ont eu lieu au cimetière Chouhada à Rabat, mercredi 16 novembre 2023, en présence de nombreuses personnalités dont le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, et le directeur général d’études et de documentation (DGED), Mohamed Yassine Mansouri.

Né en 1948 à Guercif, M. Herzenni a enduré les pires tortures au sinistre lieu de détention secrète de Dar El Mokri à Rabat, où il avait été placé en 1972. Il était enseignant au collège à Casablanca et activiste d’extrême gauche. Maoïste, il est l’un des fondateurs de l’organisation Servir le peuple. Celui qui allait être nommé en 2007, par SM le Roi Mohammed VI président du Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH), et ce jusqu’en 2011, a été condamné en 1977 à 15 ans de prison ferme. Il en purgera douze ans, avant d’être gracié en 1984.


Sociologue de formation, spécialisé dans le monde rural, il sera directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) à Rabat. Titulaire d’un doctorat en sociologie et en anthropologie de l’Université du Kentucky aux États-Unis (1994) et d’un diplôme d’études approfondies en sociologie de la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat, il sera également enseignant à l’Université Al-Akhawayne d’Ifrane (1995-1996).

Ancien membre de la commission administrative et exécutive du groupe international sur l’action collective et les droits de propriété, M. Herzenni avait été nommé en 2006 par SM le Roi secrétaire général du conseil supérieur de l’enseignement (CSE), et il a également siégé sein du comité scientifique du “Rapport sur les 50 ans de développement humain au Maroc”. Parallèlement à ces fonctions, dont celle d’ambassadeur itinérant (SM le Roi l’avait nommé à ce poste en février 2017), M. Herzenni est resté actif au sein des ONG de la société civile. Quant à sa période de militant de gauche, il dit ne jamais rien regretter. “Je me considère avoir été en guerre et tout était permis.

Même tuer”, avait-il déclaré lors des auditions de l’IER. Mais des années plus tard, il expliquait son engagement politique en ces termes: “J’ai toujours eu une affection particulière pour les paysans… nous étions impressionnés par la révolution chinoise... Nous avions vécu la lutte pour l’indépendance et nous avons ressenti de la désillusion et de la déception. Les écarts sociaux se creusaient, de même que diminuait la capacité à s’auto-promouvoir socialement. Le régime était perçu comme ayant trahi les espoirs de l’indépendance. Mais mon analyse, quarante ans après, est que Hassan II souhaitait gouverner avec la gauche.

La preuve en est qu’il a commencé à parler d’alternance avec les gens de l’USFP”, avait-il déclaré. Il ne voyait aucun mal à faire son autocritique. Il incite même ses camarades ou anciens camarades à en faire de même. C’était pour lui la seule façon de pouvoir avancer. Dans un message de condoléances à la famille du défunt, SM le Roi se dit remémorer les hautes qualités humaines de M. Herzenni, qui a été parmi les militants des droits de l’Homme les plus fidèles à la patrie et à ses constantes sacrées, ainsi que les valeurs qui lui sont reconnues de dévouement et d’abnégation dans les différentes hautes missions dont il a été chargées, notamment en tant que président du CCDH, louant à cet égard son attachement à la défense des valeurs de liberté, de justice et d’équité ainsi qu’à la promotion de la culture des droits de l’Homme. Grand intellectuel, doublé d’une capacité d’écoute inégalée, M. Herzenni, qui parlait toujours à voix basse, laisse derrière l’image d’un homme qui toute sa vie durant a voulu servir son pays. Dans la discrétion. Une véritable leçon d’humilité.

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