Mariages mixtes, le parcours du combattant
PHÉNOMÈNE. Le nombre de Marocains mariés à des étrangers ne cesse d’augmenter. Pourtant la procédure n’est pas une sinécure. Beaucoup parlent d’un vrai parcours du combattant.
Sous bien des latitudes –pas toutes– le mariage n’est plus qu’une formalité. Il peut être civil, moins souvent religieux, et beaucoup de couples font vie commune sans être unis par les «liens sacrés» de l’institution. Ce n’est pas le cas au Maroc. Seul le mariage religieux est reconnu. Entre nationaux musulmans il ne pose pas vraiment problème. Mais c’est une autre paire de manches quand il s’agit d’un mariage mixte. Amine Khairi, un citoyen de la ville d’Agadir, l’a appris à ses dépens. Son histoire a fait l’actualité. Voulant se marier avec une citoyenne allemande, l’administration l’en a empêché. La raison, M. Khairi et celle dont il veut faire son épouse seraient des «adorateurs de Satan». C’est ce qu’explique le tribunal de première instance d’Agadir. D’après le tribunal M. Khairi «s’adonnait au commerce des vêtements et des accessoires ayant une relation avec cette orientation». Il ajoute qu’«il transparaît de l’apparence de la partie étrangère qu’elle appartient au même courant».
Des histoires flippantes
M. Khairi s’en défend. Interrogé par l’agence de presse française AFP (Agence France-Presse), il a précisé avoir «répété à la Justice musulman». «Je n’ai rien à voir avec ce dont ils m’accusent, je suis comme tous ces jeunes qui aiment le rock et je m’habille d’une certaine manière», a-t-il poursuivi. Si l’affaire a fait grand bruit, elle met le doigt sur la problématique du mariage mixte au Maroc. «Il y a en effet cette enquête des renseignements généraux qui m’est restée en travers de la gorge », témoigne Sanae.
Sanae s’est mariée en 2013 avec un citoyen français, Frédéric. Installés depuis dans la capitale de la France, Paris, ils attendent aujourd’hui leur premier enfant. «On m’a demandé si je m’intéressais à la politique, si j’étais sortie pendant le 20 février et les manifs qui avaient suivi, si j’étais membre d’un parti politique», raconte-t-elle.
Acte de conversion
Mais l’engagement politique ne constitue pas vraiment une entrave. Il est à vrai dire exceptionnel. Beaucoup d’opposants ou d’anciens opposants n’ont pas été empêchés de se marier. Le problème se pose à bien d’autres niveaux. Entre autre l’attestation de capacité pour contracter le mariage. Cette attestation est délivrée par l’ambassade ou le consulat du pays de la fiancée ou du fiancé et doit être certifiée conforme par le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération. L’objectif est d’éviter les mariages blancs, c’està- dire dans l’unique but d’émigrer dans des pays dont les conditions d’immigration sont considérées comme draconiennes. La pratique a longtemps fait et fait toujours florès. Beaucoup de réseaux ont été démantelés dans les années 2000. Il n’empêche que d’aucuns dénoncent les conditions d’enquête sur les fiancés mixtes.
«Ce qui m’a beaucoup gênée (…) c’est le côté «paternaliste» de la procédure», se souvient Sanae. «Un commissaire divisionnaire était venu me voir en me disant que j’étais comme sa fille et qu’il ne donnerait pas sa fille comme ça au premier venu. Je lui ai dit: je ne sais pas comment est votre fille mais moi je ne suis pas idiote. Je sais ce que je fais, qui j’épouse et pourquoi. Et puis j’ai des parents qui ont accepté que je me marie à cet homme. Vous les traitez de débiles aussi?».
Hanae a pratiquement eu à faire face aux mêmes mésaventures. Mariée elle aussi en 2013 à un étranger, James, citoyen américain, elle a également connu les éternels va-et-vient. Mais son cas est pire. Elle explique avoir dû corrompre «75% des gens à qui affaire tout au long du processus».
«La procédure était longue et pénible et on allait abandonner l’idée d’un mariage au Maroc», détaille-t-elle. Si elle avoue ne pas avoir vraiment eu à répondre à des questions d’ordre intime, les policiers lui auraient toutefois demandé si elle avait l’habitude de rendre visite à celui qui est devenu son époux. «Apparemment dans l’enquête de police ils veulent savoir s’il y avait des relations sexuelles entre les deux concernés», exposet- elle. «Et franchement je ne sais pas pourquoi ça les intéresse d’avoir ce genre d’infos».
Répercussions sur les enfants
Par certains aspects la loi semble refléter la position de la société marocaine sur le mariage mixte. Celle-ci y semble réfractaire. Du moins «réservée», nuance Pr Mostafa Aboumalek, sociologue et auteurs de plusieurs ouvrages sur le mariage. «C’est les répercussions sur les enfants qui semblent en premier lieu intéresser le législateur», explique-t-il. Les mariages mixtes semblent en hausse ces dernières années. Les statistiques font état de milliers de mariages entre Marocains et étrangers. Les dernières statistiques que nous avons pu obtenir datent de 2009. Le nombre de mariages mixtes avait été de 6.355.
La hausse avait été de plus de 2% par rapport à 2008. «Deux facteurs pourraient expliquer cette hausse», d’après Pr Aboumalek. «D’abord la mentalité. Beaucoup de Marocains qui se marient avec des étrangers partagent souvent la même éducation. Ensuite le mode de vie. On peut relever dans de nombreux cas une attirance assez marquée pour le style de vie occidental». Pr Aboumalek précise toutefois qu’il ne s’agit là que d’«impératifs culturels». «L’impératif socioéconomique pourrait également expliquer la hausse des mariages mixtes».
Des familles déchirées
La mondialisation, l’homogénéisation des cultures pourraient-elles accélérer la tendance? «Pas forcément», répond Pr Aboumalek. «La mondialisation pourrait avoir l’effet inverse c’est-à-dire au lieu d’une ouverture sur les autres cultures un repli sur soi. C’est ce qu’on observe avec notamment la montée des courants fondamentalistes».
Depuis qu’ils se sont mariés Sanae et Hanae et tant d’autres couples semblent couler une vie heureuse. Hanae et son mari prévoient de s’installer aux Etats-Unis. Mais bien d’autres couples ne connaissent pas la même trajectoire. Le nombre de familles à se déchirer dans les tribunaux doit être aussi important. L’affaire Khalid Skah n’en est sans doute qu’un des plus illustres exemples. Le fils et la fille de l’ancien athlète, Tarik et Selma, qui vivaient avec leur père dans la capitale, Rabat, avaient été exfiltrés en 2009 vers la Norvège, avec «l’implication directe» de l’ambassade du pays. Convoqué, l’ambassadeur de Norvège Bjørn Olav Blokhus s’était vu signifier la «protestation vigoureuse» du Maroc.