Covid-19 : patience, ce n'est pas fini !

La fatigue et la lassitude qui ont atteint beaucoup de Marocains doivent laisser place à l’esprit de responsabilité et à la solidarité, pour sortir de la crise avec dignité.

La persistance d’un niveau relativement élevé de contamination au Covid-19 dans notre pays crée des incertitudes sur la fin de l’état d’urgence et le début de sortie de confinement. L’évolution des cas quotidiens de contamination présente globalement une courbe en dents de scie, laissant apparaître une succession de vagues lorsqu’elle est affinée par un traitement mathématique. Le confinement précoce et largement respecté au départ a permis d’observer une stabilisation, puis une baisse du nombre de malades, après qu’on ait franchi le «pic épidémique». Malheureusement, ces derniers jours, cette courbe semblait être sur un trend haussier. Des foyers familiaux et industriels continuent de donner du fil à retordre aux autorités sanitaires. Une situation aggravée par un relâchement inquiétant de la population en ce mois de Ramadan, respectant de moins en moins les restrictions imposées par l’état d’urgence sanitaire. Des actes d’incivisme, d’insouciance ou d’inconscience vis-à-vis du danger encouru, laissent planer la menace du virus dans le temps.

En réaction, les médias publics mettent les bouchées doubles et intensifient les campagnes de sensibilisation en jouant sur le registre de l’émotion. Dans la foulée, le lancement imminent d’une application de notification d’exposition au Covid-19 est annoncé. Elle permettra d’assurer le suivi et la prise en charge des contacts rapidement.

Les forces de l’ordre, de leur côté, ne montrent aucun signe de relâche. Elles continuent de se battre sur plusieurs fronts pour faire respecter le confinement, le couvre-feu nocturne, le port obligatoire de masque, la distanciation physique et l’interdiction de rassemblements, voire même les matchs de foot organisés discrètement. Certains quartiers et marchés populaires sont plus quadrillés, où faire le marché n’est permis qu’une fois tous les cinq jours.

Le parquet n’est pas en reste, en témoigne le nombre important de poursuites pour violation de l’état d’urgence sanitaire. Selon le dernier communiqué du ministère public, plus de 65.000 personnes sont concernées. Ce dernier déclare aussi la guerre à la recrudescence en cette période, des violences faites aux femmes et aux enfants, avec l’aide du département et des ONG concernés. Sans oublier la lutte contre les «fake news» et l’atteinte à la vie privée ayant suscité l’ouverture de plus d’une centaine d’enquêtes judiciaires.

Entre-temps, à l’approche de la date limite de l’état d’urgence, fixée au 20 mai après un premier report, tout le monde est en droit de se poser des questions sur la date et les scénarios de sortie du confinement. Pour donner de la visibilité aux citoyens, le gouvernement devrait communiquer davantage et bien le faire, sans hésitation, faute d’amplifier le doute et créer la défiance. Une telle défiance qui a été accentuée par la révélation d’un projet de loi liberticide, censée combattre les «fake news», avant qu’il ne soit mis au placard.

De la visibilité, élèves, parents et enseignants, angoissés en grande partie par l’idée de la réouverture des écoles, en demandaient aussi. Ils sont enfin fixés sur leur sort, le retour en classe ne se fera qu’en septembre et les épreuves du bac maintenues mais reportées. Une décision judicieuse qui ne réglera pas pour autant la question des inégalités face à l’enseignement à distance, qui nous renvoie à la fracture sociale ou encore digitale. D’une manière ou d’une autre, Il faudrait assurer la continuité pédagogique et envisager d’évaluer à blanc les acquis de nos élèves durant cette période de confinement, de façon à leur assurer le rattrapage des lacunes ultérieurement. Autrement, ce sont ces lacunes qui les rattraperont tout au long de leur vie scolaire.

De la visibilité surtout, pour nos quelques 27.000 ressortissants marocains restés bloqués en terres étrangères avec un sentiment d’abandon, malgré les efforts de nos différents consulats pour faciliter leur séjour forcé. A ceux-là, s’ajoutent nos étudiants qui ne cachent pas leur anxiété quant à la possibilité de rentrer à la fin de l’année universitaire, sans oublier nos MRE qui vont bientôt demander à savoir s’ils seront des nôtres cet été.

Sur le plan de la santé publique, l’épidémie du Covid-19 semble avoir éclipsé les autres pathologies. Une baisse des consultations dédiées aux maladies infectieuses ou chroniques a été constatée. Les craintes des patients de contracter le virus dans les hôpitaux et cabinets médicaux sont bien là et devraient être balayées. La mise en ligne d’une plateforme de conseil médical gratuit est une initiative louable, néanmoins, retarder des interventions médicales et chirurgicales ne fera qu’engendrer des complications et augmenter la charge de certaines maladies.

Sur le plan économique, chaque jour de confinement rend plus compliquée la situation de nos entreprises et de nos finances publiques. Le tourisme est à l’arrêt et les transferts des MRE se font rares. Les importations ont baissé, mais les exportations encore plus. Les produits importés dont on ne peut pas se passer, comme les hydrocarbures, les matières premières et bien d’équipements, nécessaires au fonctionnement de notre tissu productif, nous imposent de maintenir nos réserves en devises en équilibre. Dans ce but, un décret-loi autorisant le dépassement des plafonds des emprunts extérieurs est dans le circuit d’adoption. Heureusement que l’export dans des secteurs comme l’automobile, le textile ou l’agroalimentaire a bel et bien repris.

S’il est vrai que les mesures prises par le Comité de veille économique ont pu sauver des milliers de TPME d’une faillite certaine, et permis à leurs employés de garder un certain niveau de pouvoir d’achat, la reprise de l’activité des entreprises en arrêt devrait être progressivement mais rapidement envisagée. Elle ne pourrait se faire que sous conditions sanitaires protégeant les salariés, telles la propreté des lieux, la disponibilité des matériaux de désinfection, l’utilisation des masques, la vérification des températures des employés, l’aération des locaux et, pourquoi pas?, un testing massif et répété. Décidemment, nous avons encore un long chemin à parcourir pour venir à bout du Covid-19. La fatigue et la lassitude qui semblent atteindre plusieurs d’entre nous doivent laisser place à la patience, à l’esprit de responsabilité et à la solidarité générale, pour sortir de la crise avec dignité. L’état d’urgence sanitaire sera probablement prolongé, et le confinement ne pourra être interrompu que de façon progressive, conditionné par l’amélioration de la situation épidémiologique.

Au contraire, toute précipitation pourrait nous faire perdre les acquis consolidés jusque-là. Ces milliers de décès évités, un taux de rémission important contre un taux de létalité relativement faible, un système de santé sous pression acceptable, mais aussi cette image interne et externe du Royaume qui ravive la fierté des marocains et force le respect de l’opinion internationale.

Par ANASS DOUKKALI, Universitaire, Ancien ministre

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