Copinité bafouée

Au moment où les coups d’etat se multiplient en Afrique subsaharienne, la politique française au Maghreb en question


Emmanuel Macron et S.M. Mohammed VI.
Rabat, le, 15 November 2018.


Critiqué en France pour son tropisme algérien et bousculé à l’étranger notamment par la succession de coups d’État anti-français en Afrique subsaharienne, Emmanuel Macron se trouve à la croisée des chemins. Fera-t-il le choix logique du Maroc?

“Les relations bilatérales ne sont pas au niveau où elles devraient être. Je ne vais pas ici en reconvoquer chacune: le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, mais également d’autres pays du Proche et Moyen-Orient”. Ce 28 août 2023 à Paris, Emmanuel Macron a, pour le moins, choisi d’être “lucide” -c’est son propre mot- devant les ambassadrices et ambassadeurs français, réunis en conférence annuelle dans la Ville Lumière. Une première surtout vis-à-vis du Royaume, à propos duquel le locataire de l’Elysée avait jusque-là eu coutume d’adopter la politique de l’autruche, en dépit des nombreux éléments concrets attestant d’une crise latente entre les deux pays.

En effet, jamais M. Macron n’avait admis aussi ouvertement que les liens entre Rabat et Paris n’étaient pas au beau fixe. Dans sa substance, le propos est notamment différent de celui qu’il tenait par exemple le 27 février 2023 au palais de l’Elysée, lors de la présentation de sa nouvelle politique africaine; à l’époque, le chef d’Etat français avait assuré aux journalistes présents, qui lui avaient posé la question, que ses relations personnelles avec le roi Mohammed VI étaient ‘’amicales”.

Prémices de changement?
Ce qui avait, soit dit en passant, fait vertement réagir trois jours plus tard, sur le site web de l’hebdomadaire français “Jeune Afrique”, le gouvernement marocain, dont une “source officielle” avait insisté que «les relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements [marocain et français] qu’entre le Palais royal et l’Élysée». Sans doute que face aux ambassadeurs et ambassadrices français, M. Macron avait dans un coin de sa tête ces “déclarations désagréables”, telles que les avait qualifiées le 7 mars 2023 à l’Assemblée nationale, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna (elle avait alors indiqué que lesdites déclarations “n’appell[ai]ent (...) pas de commentaires particuliers»).


Emmanuel Macron au milieu de dirigeants africains.


Crise régionale
D’un autre côté, M. Macron avait mis à profit la célébration respective par le peuple marocain, le 30 juillet et le 21 août 2023, de la fête du trône et celle de la jeunesse pour faire parvenir deux lettres à Mohammed VI formulant notamment “l’expression du sentiment de profonde amitié que le peuple français porte au peuple marocain” et assurant que “la France, avec fidélité et respect, a toujours fait de la coopération avec le Maroc une priorité”, ou encore que “l’amitié profonde et indéfectible entre nos deux pays est le plus bel héritage de notre passé”. M. Macron s’était également dit “convaincu de la capacité exemplaire du partenariat d’exception qui lie la France et le Maroc à apporter des réponses adaptées aux grands enjeux du moment”. Dans le contexte faisant suite à son discours du 28 août, ces missives revêtent désormais, il est vrai, une portée différente.

De ce fait, peut-on dire que nous sommesnous en présence de prémices d’un début de prise de conscience du côté français? En termes plus clairs, existe-t-il une réelle volonté d’apaiser la situation avec le Maroc? Quelle va être notamment la teneur exacte des “nouvelles initiatives bilatérales” auxquelles M. Macron a brièvement fait allusion? “Je préfère maintenir une attitude prudente”, estime Ali Achour, ancien ambassadeur et diplomate marocain. Et notre interlocuteur de spécifier qu’“on assiste peut-être à un frémissement qui se manifeste dans certains gestes et événements dernièrement” et qu’il faudrait, quoiqu’il en soit, “attendre pour voir.”


Quoi qu’il en soit, toute future initiative française vis-à-vis de l’Afrique, et plus particulièrement le Maghreb, ne peut être prise au sérieux ni espérer porter ses fruits sans que M. Macron ne revoie de fond en comble les grandes lignes qui ont fait sa diplomatie jusque-là, notamment son tropisme algérien aussi incompréhensible qu’inutile. Car depuis son arrivée au pouvoir en mai 2017, et surtout depuis sa réélection en mai 2022, le président français a multiplié les actions visant à se rapprocher de la voisine de l’Est, tout en sachant qu’une telle politique ne peut que mener à un éloignement proportionnel du Maroc.

Une politique algérophile qui dérange même au sein de la classe politique française. Dans un entretien accordé le 16 août 2023 au quotidien Le Figaro, l’ancien président Nicolas Sarkozy, a ouvertement critiqué la politique étrangère de M. Macron à ce niveau, l’accusant de vouloir “bâtir une amitié artificielle”. “Nous ne gagnerons pas la confiance de l’Algérie, et nous perdons celle du Maroc”, a asséné l’ancien président, tout en qualifiant le Royaume de “pays frère”, “égal de la France” qui est devenu une “grande puissance africaine”.

Initiatives pour l’Afrique
Dans le même sillage, pas moins de 94 parlementaires français avaient regretté, dans une lettre adressée le 12 août 2023 à M. Macron, “les atermoiements français sur le Sahara (alors que l’Espagne et l’Allemagne ont reconnu la souveraineté marocaine) et la politique d’équilibriste du Quai d’Orsay avec l’Algérie poussent le Palais royal à chercher ailleurs qu’à Paris des partenaires militaires ou économiques”. A la rentrée politique du parti des Républicains, tenue le 28 août 2023, la députée Michelle Tabarot avait également abondé dans le même sens, confiant qu’elle en voulait à M. Macron “d’avoir sacrifié notre relation avec le Maroc”. Ces différents rappels du poids important du Maroc résonnent avec d’autant plus d’acuité qu’il intervient dans un contexte agité et visiblement défavorable à la France, où les coups d’État s’enchaînent dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, notamment francophones, ouvrant la voie à des régimes qui clament ouvertement leur hostilité à la présence française dans la région. Au Mali, au Niger ou encore au Burkina Faso, les juntes n’hésitent pas à appeler les militaires français présents sur le terrain pour diverses missions à quitter leurs bases, alors que les diplomates français semblent ne plus être les bienvenus dans les capitales de ces pays.


La France bousculée
Pourtant, Paris aurait pu chercher de l’appui du côté de Rabat, qui jouit d’une forte influence dans ces pays-là, aussi bien sur les plans politique, économique, sécuritaire et humain, et éviter une telle débâcle, ou du moins en atténuer les conséquences. “Le Maroc a une présence, des relais, des réseaux, dans la région et il peut aider la France à ce niveau”, nous confie, sous le sceau de l’anonymat, un vétéran de la diplomatie dans le corridor saharo-sahélien . “Mais il faudrait que la relation bilatérale s’améliore d’abord et que la France sollicite cette aide. Donc pour l’instant je pense que ça ne sera pas le cas”, pondère, toutefois, notre source.

En effet, avec le quasi gel des canaux de coopération et d’échange avec le Maroc sous la présidence de M. Macron et sa politique étrangère manquant de pragmatisme, la France s’est volontairement privée d’un allié de taille. Et ce n’est pas le régime algérien et sa faible influence dans la région, du moins en comparaison avec le Maroc, qui sera en mesure de combler ce vide. La balle est donc toujours dans le camp du président français, qui n’aura d’autre choix que de prendre en considération l’appel de la majeure partie de la classe politique française à faire le choix du Maroc, notamment en reconnaissant la souveraineté de celui-ci sur ses régions sahariennes. Ainsi, la France rattraperait son retard par rapport à d’autres puissances mondiales et régionales, notamment les États-Unis, l’Allemagne, l’Espagne ou encore Israël, et signerait le véritable retour du couple maroco-français.

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