Vive controverse sur les aides de l'état aux artistes

Deux poids, deux mesures

En réaction à la polémique virulente qui s’est déclenchée sur les réseaux sociaux, le ministre de la culture, Othman El Ferdaous, a publié des précisions pour expliquer le contexte dans lequel ces aides publiques sont accordées.

Jamais un sujet lié à l’art et à la culture n’avait provoqué au Maroc autant de réactions déchaînées sur les réseaux sociaux. Quelques heures à peine après avoir fuité sur la toile, la longue liste des artistes ayant bénéficié de l’aide financière accordée par le ministère de la culture a suscité un tollé général d’abord dans le milieu artistique puis dans l’opinion publique en général.

En réaction aux critiques, le jeune ministre de la culture, Othman El Ferdaous, qui, dès son arrivée récente au ministère en avril 2020, avait manifesté sa bonne volonté de soutenir les artistes pendant cette période difficile de Covid-19, a publié sur les réseaux sociaux des précisions pour expliquer le contexte dans lequel sont accordées ces aides. Il rappelle que si le ministère de la culture a procédé à la publication entière sur son site des résultats de l’appel à projets 2020, c’est pour préserver une transparence dans l’action publique et garantir aux Marocains le droit d’accès à l’information.

Il n’y a nul doute que la pandémie du Covid-19 a porté un coup très dur à l’activité culturelle dans notre pays, ce qui a laissé beaucoup d’artistes et de collectifs culturels sans carnet de commande ni perspective de mécénat ou de sponsoring. D’où les dispositifs transversaux mis en place grâce au fonds Covid-19, qui ont permis à plus de 3.700 détenteurs de cartes d’artiste de bénéficier des aides financières dans le cadre de TadamonCovid (Ramed et informel) soit un taux d’acceptation des dossiers de l’ordre de 70%. Mais, pour Othman El Ferdaous, l’ampleur des dégâts portés au secteur artistique ont été tellement considérables. D’où son initiative, expliquet- il, de mobiliser le Fonds national pour l’action culturelle pour lancer, à titre de soutien exceptionnel, un appel à projets artistiques.

Deux priorités de sélection
Ce soutien exceptionnel répond en fait à trois grands critères: tout d’abord, des adaptations ont été introduites dans le cahier des charges pour faire face aux contraintes à la mobilité et au rassemblement qui ont des répercussions administratives à anticiper. Ensuite, le nombre de projets candidats a été multiplié par trois, passant de 327 en 2019 à 1.096 en 2020. Quant au nombre de projets bénéficiaires, il est passé de 155 projets en 2019 à 459 en 2020. Enfin, l’enveloppe globale pour les arts a été de 37 millions de dirhams, qui, bien qu’elle demeure en dessous du record atteint en 2016 avec 40 millions de dirhams, constitue néanmoins une augmentation de 30% par rapport à 2019.

Selon le message digital du ministre, le nouveau cahier des charges, publié au mois de juin 2020, a clairement explicité deux priorités de sélection pour les trois commissions (théâtre, musique et arts plastiques). La première, il faut manifester un intérêt particulier accordé en premier lieu aux projets auxquels participent un nombre important de détenteurs de cartes d’artiste qui ne sont pas fonctionnaires. Avec en moyenne une dizaine de bénéficiaires pour chaque projet musical ou théâtral, dont au moins 70% doivent être détenteurs de la carte d’artiste (ou candidats à son obtention) pour être éligibles, ce ne sont pas moins de 2.400 détenteurs de cartes d’artiste qui devraient bénéficier des 459 projets retenus en 2020.

Deuxième priorité et non des moindres: un intérêt particulier est accordé en second lieu aux porteurs de projets n’ayant pas bénéficié de soutien. Ce qui veut dire que 80% des 459 porteurs de projets retenus en 2020 n’ont pas bénéficié de soutien en 2019.

Pour le ministre de la culture, la politique de soutien aux arts est perfectible et son département demeure en effet à l’écoute des propositions constructives. Mais il estime que les appels à projets ne peuvent pas remplacer l’ambitieux projet de généralisation de la protection sociale annoncée par S.M. le Roi Mohammed VI dans le dernier discours du Trône, le 29 juillet 2020. Un projet pour lequel le ministère va lancer prochainement une consultation avec ses différents partenaires pour préparer la mise en oeuvre de ce chantier stratégique et structurant.

Un chantier stratégique
Il faut dire que le champ artistique national au même titre que l’opinion publique nationale ont connu une véritable effervescence suite à la publication de cette liste d’artistes bénéficiaires de l’aide publique. Parmi les réactions les plus marquantes a été celle de la grande chanteuse Latifa Raafat, au parcours prestigieux, qui dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, s’en est prise au ministère de la culture pour avoir favorisé les jeunes artistes au détriment des anciens qui ont donné beaucoup d’éclat à la chanson marocaine.

«Qu’est-ce que ces jeunes artistes ont donné à l’art marocain? Ont-ils produit des chansons qui justifient de pouvoir bénéficier de l’aide publique? Pour moi, depuis 2008, aucune chanson marocaine digne de ce nom n’est sortie sur la scène artistique nationale», explique, ainsi, celle qui a chanté au milieu des années 80 le célébrissime tube marocain Khouyi, Khouyi, qui l’a rendue célèbre au Maroc et à l’international. Sa vidéo a été largement partagée sur les réseaux sociaux.

Du côté de la société civile, les critiques viennent principalement des syndicats des médecins, qui ont contesté ces aides alors que les membres de ce corps ont souffert le martyre dans cette crise du Covid-19. Et au lieu d’être gratifiés par des primes et autres récompenses méritées, ils ont eu droit à des prélèvements sur salaires pour contribuer au fonds du Covid-19. S’ajoute à cela le fait d’être privés de congé annuel cette année pour répondre à l’appel du pays qui affronte l’une des plus graves sanitaires de son histoire.

Après les précisions du ministre de la culture, la polémique s’est-elle éteinte? Pas sûr car les réactions des Marocains continuent de se manifester. Ils réclament ainsi plus de justice et plus d’équité dans l’octroi des aides de l’Etat. Pour eux, les artistes qui ont beaucoup souffert de cette crise sanitaire, dont les plus anciens et ceux qui n’ont pas les moyens de vivre, doivent être prioritaires.

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