Comme un citron pressé

Driss Fahli Driss Fahli

J’ai rencontré une fois un  homme à l’ego tellement  incommensurable qu’il lui  arrivait de placer les capacités  de son cerveau juste derrière celui  d’Einstein et encore… Il venait d’être  nommé à la tête d’une structure qui  tournait bien et qui générait des produits  financiers. Cette institution avait  rebâti, grâce à la vision éclairée de son  président sortant, un riche patrimoine  qui la mettait à l’abri des aléas.

Après une décennie de gestion paranoïaque  pavée de libres arbitres hérités  de l’école Basri du cerveau musclé,  la structure a perdu la quasi totalité de  son patrimoine, rencontré d’énormes  problèmes de trésorerie, viré la moitié  de son personnel compétent et jeté  aux orties 50 ans de savoir-faire éducationnel.  Cette structure ne doit son  existence actuelle qu’aux subventions  de l’État et aux contributions des régions.  Au bout du compte, malgré un  relationnel tissée à force de courbures,  de salamalecs et de tapis déroulés, il  fut jeté, sans poursuites, comme un  citron pressé à l’occasion d’une goutte  qui a fait déborder le vase. Ainsi va  notre monde.

Cette histoire est bien sûr tirée de  l’imagination et toutes ressemblances  avec un personnage réel ne seraient  que le fruit d’un malencontreux hasard.  Néanmoins, le scénario qui a servi  à sa conception est non seulement  réel mais répétitif dans les institutions  où l’État est l’actionnaire principal.  Maints hommes du système ont subi  cette dépréciation à la suite d’un acte  inconsidéré, d’une action qui a déplu  ou voire même à la suite de rien du  tout. Ils sont alors virés manu-militari  sans autres formes de procès. Il se  retirent alors dans le coin des châtiés  et ferment leur caquet dans l’espoir  de voir arriver de possibles jours meilleurs.  Ainsi va notre culture managériale  étatique.

Un vieux proverbe marocain nous dit  que «quand la vache tombe, les couteaux  s’amoncellent». C’est aussi le  moment où les bouchers s’enhardissent.  Partant de cet aphorisme,  c’est au moment où l’homme viré est  par terre, que la presse se réveille pour  étaler au grand jour les erreurs passées  d’une décennie de management,  d’abus de pouvoir, d’écarts déontologiques,  de profits de situation et de  harcèlements managériaux moraux et  sexuels subis par le personnel.  Pendant l’exercice de l’absolutisme  manageriel de l’homme tombé, les  supports média étaient là plus pour  caresser dans le sens du poil que pour  repérer les poux sous peine d’être exclus  de la manne budgétaire de la communication  institutionnelle. Le devoir  d’informer en temps effectif et opportun  n’est pas l’éthique journalistique la  mieux partagée dans notre monde.

Tirer sur une peau de vache par terre  est beaucoup plus commode et sans  impact sur le chiffre d’affaire. «Les  chiens de garde de la démocratie» (arrêt  de la cour européenne des droits de  l’Homme- Goodwin contre Royaume-  Uni) ne sont encore et pour le moment  que des toutous en devenir muselés,  entre autres, par le besoin de vendre  leurs espaces publicitaires.

La pire façon d’écraser un homme,  qu’il soit infatué ou modeste, est de le  jeter soudainement comme un citron  pressé qui n’a plus de jus à vendre.  Quitter son espace de règne la larme à  l’oeil et la gorge serrée sans y être préparé  est un choc insupportable et un  traumatisme dévastateur.
C’est le mot de la fin et la traduction  d’un autre proverbe tout aussi marocain:  «bach qtelti bach tmoute, ya malak  lmoute» (ta manière de faire mourir  est celle qui t’a trépassé, ô ange de la  mort)

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