Les cigarettes suisses empoisonnent les Marocains


9.000 TONNES IMPORTÉES EN 2017


Dans son dernier rapport, l’ONG Public Eye révèle la fourberie des fabricants de cigarettes suisses qui commercialisent leurs produits au Maroc.

Une enquête publiée le 21 janvier 2019 par l’ONG suisse Public Eye a révélé au grand jour la politique «deux poids deux mesures» des cigarettiers suisses. Les cigarettes fabriquées sur le sol helvétique vendues en Afrique et plus particulièrement au Maroc sont plus toxiques que celles fumées en Europe. La Suisse peut en toute légalité produire sur son territoire, puis vendre en Afrique, des cigarettes dont les taux de nicotine sont deux fois plus élevés que les normes européennes alors que le royaume est le deuxième client derrière le japon et devant l’Afrique du Sud.

Le Maroc, deuxième client
Au Maroc, où 9000 tonnes de cigarettes suisses ont été exportées en 2017, elles contiennent des taux plus élevés de monoxyde de carbone et de goudron, mais aussi quasiment le double de nicotine, ce qui entraîne l’augmentation des effets d’addiction. Un échantillon de la marque Winston, par exemple, comporte plus de 16.31 milligrammes de particules totales par cigarette, contre 10.5 pour des Winston Classic achetées à Lausanne. Pour la nicotine, la différence entre les cigarettes commercialisées au Maroc et en Suisse est particulièrement frappante: 1.28 milligramme par cigarette pour des Camel «Swiss made» vendues au Maroc, selon les résultats de l’IST, contre à peine 0.75 milligrammes pour des Camel Filters vendues en Suisse.

Pour le monoxyde de carbone, qui a pour effet de réduire la quantité d’oxygène circulant dans le sang, les valeurs sont aussi très différentes selon qu’on fume une Winston Blue en Afrique (9.62 milligrammes par cigarette) ou en Suisse (5.45 milligrammes). Malgré l’appellation rassurante, fumer des Camel light à Casablanca revient à consommer des cigarettes plus nocives que des Camel Filters à Lausanne. L’intérêt est d’autant plus grand pour les géants du tabac que, selon l’OMS, le continent africain devrait connaître une croissance de 40% de son nombre de fumeurs entre 2010 et 2025, soit la plus forte accélération dans le monde: un «vivier» potentiel qui expliquerait les doubles doses de substances addictives.

La Suisse avantagée
La Suisse continue de bénéficier d’un avantage juridique et commercial, par rapport à ses voisins européens, en particulier, l’Allemagne, le Pays-Bas et la Pologne, qui sont les trois plus gros exportateurs de cigarettes de l’UE. Contrairement aux États membres de l’Union européenne, la Confédération n’est pas tenue de respecter les «règles relatives à la fabrication» émises par la Commission européenne. Les directives imposent des normes précises concernant les quantités de goudron (10mg) mais aussi les teneurs maximales en nicotine (1mg) et en monoxyde de carbone (10mg) contenues par cigarette, et empêchent de facto les zones grises, ces normes étant valables pour «les cigarettes fabriquées dans la Communauté européenne et exportées au départ de celle-ci», selon le rapport de Public Eye.

En Suisse, les contrôles sont minimes: «Les fabricants de cigarettes envoient une fois par mois leurs chiffres à un laboratoire pas très regardant. Si c’est un peu au-dessus des limites, on estime que ce n’est pas grave », explique l’ONG qui pointe du doigt l’Office fédéral de la santé publique. Il y’a donc des défaillances sur des contrôles qui devraient être fait à plusieurs niveaux, mais aussi et surtout sur le laxisme coupable de la suisse qui à cause d’un système volontairement complaisant avec l’industrie du tabac laisse produire sur son territoire un produit dont les effets sont scientifiquement certifiés comme doublement mortels. La Confédération suisse promeut ainsi et profite de l’existence d’un double standard, quitte à aggraver les problèmes de santé publique dans les pays importateurs.

Un vide juridique
Mais cela pose tout simplement le respect, la non-application ou l’absence de lois antitabac dans nos pays, et l’absence de moyens qui devraient être mobilisés pour faire face aux pratiques scandaleuse de l’industrie du tabac envers nos consommateurs. «Nos produits sont développés pour répondre aux préférences des consommateurs adultes et aux goûts du marché mais surtout à toutes les exigences réglementaires applicables au Maroc», réagit Abla Benslimane, Directeur Corporate Affairs chez Philip Morris. Dès lors cette incapacité se révèle aussi au niveau du Maroc. Il y a d’abord un manque de suivi au niveau de la douane, et pas de vérification des produits provenant de la suisse. Côté marocain, souligne l’étude, les autorités ne contrôlent pas les composants des Winston et des Camel importés de Suisse.

«Les douanes se contentent de s’assurer de la conformité fiscale des conteneurs. Le cas marocain n’est pas unique: rares sont les pays équipés d’un laboratoire qui analysent systématiquement les cigarettes importées. Selon l’OMS, à l’exception du Burkina, aucun pays ni même le Maroc ne dispose de laboratoire pour analyser les cigarettes importées. Cela pose tout simplement le respect, la non-application ou l’absence de lois antitabac dans nos pays, et l’absence de moyens qui devraient être mobilisés pour faire face aux pratiques scandaleuses de l’industrie du tabac envers nos consommateurs. Au point de vue légal, au Maroc, il n’existe pas de loi réglementant les teneurs maximales des produits de tabac.

Un projet de loi a bien été présenté mais il n’a pas été voté jusqu’à présent. Il prévoyait notamment de fixer les teneurs maximales des produits de tabac à la norme européenne du « 10-1-10» (10 mg de goudron, 1 mg de nicotine et 10 mg de monoxyde de carbone). «Aucun des opérateurs ne va prendre l’initiative de réduire les teneurs. En revanche, si le législateur adopte cette loi, tous les opérateurs (importateurs et producteurs locaux) devront s’y adapter», explique Abla Benslimane. Le législateur doit donc réagir sous peine d’aggraver les problèmes de santé des fumeurs marocains. Les importateurs de cigarettes continueront à exploiter les failles de ce système et aucune autorégulation n’est à prévoir de leur part. Se cachant derrières les habitudes de consommation des fumeurs marocains qui ont un penchant pour les goûts forts, ces derniers craignent pour leur part de marché au détriment de la santé publique. Fumer tue mais les fabricants de cigarettes suisses aident à accélérer les processus.

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