La réaction du Maroc aux récents développements au Proche-Orient était plus qu’attendue. Et contrairement à un certain avis qu’on cherche à véhiculer, celle-ci a plutôt été à point.
Quelques jours après la décision du Maroc de rétablir ses relations avec Israël, un peu plus de vingt ans après les avoir rompues sur fond de la seconde intifada palestinienne, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, accordait une interview au média électronique Kifache TV pour y revenir et revenir aussi sur la reconnaissance américaine de la souveraineté du Royaume sur son Sahara, advenue en même temps -le 10 décembre 2020. Et une des questions que le journaliste Ridouane Erramdani, qui avait mené l’interview, lui avait posées avait été celle de savoir s’il n’y avait pas eu lieu là à un “marchandage”, c’est-à-dire que les autorités marocaines auraient “sacrifié” la cause palestinienne sur l’autel des provinces sahariennes.
Ce à quoi le chef de la diplomatie avait eu la réponse suivante: “Lorsqu’il y avait le bureau de liaison [marocain en Israël] (...), qui y venait le plus? Venait le Palestinien à qui on avait enlevé sa charette, [celui] à qui on avait fermé l’épicerie. Il venait chez le Maroc pour lui demander de bien vouloir parler à ces gens”, c’est-à-dire les Israéliens. Et signifiant qu’en gros la présence du Maroc en Israël n’est selon lui pas pour le servir, lui -“le Maroc n’a pas d’intérêt au Proche- Orient, nous n’avons pas de terres colonisées ou de frontières communes,” dira, à ce propos, M. Bourita-, mais plutôt d’abord les Palestiniens.
Mouvance islamiste
De fait, des événements comme ceux que connait actuellement le quartier de Cheikh Jarrah, bastion palestinien au sein de la ville d’Al-Qods Acharif, avaient valeur de test pour la diplomatie marocaine, en ce qu’ils ont donné l’occasion de lever toute ambiguïté et de confirmer si, effectivement, le Maroc continuait d’oeuvrer en faveur de la cause palestinienne, que le roi Mohammed VI ne cesse, pour rappel, jamais de mettre sur le même pied que celle du Sahara marocain, ou si la “normalisation”, pour reprendre un terme en vogue au sein notamment de la mouvance islamiste, avait vraiment été synonyme d’un lâchage.
L’opinion publique marocaine, pro-palestinienne qu’elle est depuis les balbutiements du conflit israélo-palestinien, avait elle, bien sûr, déjà tranché: une forte condamnation, surtout au regard des violences dont se sont rendues coupables les forces israéliennes, blessant plus d’une centaine de citoyens innocents dont certains au cours de la honteuse irruption du 7 mai 2021 dans l’enceinte même de la mosquée d’Al-Aqsa, troisième lieu saint de la religion musulmane -et ce, au surplus, pendant la prière d’al-ichae.
Et ces violences, physiques, ont d’autant plus été précédées de violences sans doute bien plus douloureuses, celles-là symboliques, puisque les autorités israéliennes, dans le cadre de la politique d’israélisation qu’elles mènent d’Al-Qods depuis qu’elles ont commencé à en occuper début juin 1967 la partie orientale, avaient prononcé quelques jours plus tôt l’éviction de quatre familles palestiniennes, officiellement pour ne pas avoir payé leur loyer, mais sans doute parce qu’elles ont le “défaut” de ne pas être israéliennes.
Ce qui a d’ailleurs été à l’origine des événements et qui, par ailleurs, nous ramène au Maroc, dans la mesure où c’est les souverains marocains qui, depuis mai 1979, ont la charge du Comité d’Al-Qods, dont une des missions est justement de prévenir qu’advienne cette israélisation de la ville sainte des trois religions monothéistes et qu’elle garde le caractère cosmopolite qui, depuis des siècles, est le sien -avec ses quartiers juif, chrétien, musulman mais aussi arménien.
Il va sans dire que le communiqué finalement tombé le 9 mai 2021 du ministère des Affaires étrangères pour réagir aux violations israéliennes était donc plus qu’attendu, et si l’on peut comprendre que certaines parties aient été sincèrement déçues qu’il ne désigne pas nommément la partie israélienne -d’autres, il ne faut pas se mentir, avaient sans doute surtout en tête de régler leurs comptes avec le pouvoir marocain-, il n’en reste pas moins que les termes qu’il a utilisés sont forts.
Le texte du département de M. Bourita parle, ainsi, d’“acte inadmissible et susceptible d’attiser les tensions”, tout comme il “considère que les mesures unilatérales ne sont guère la solution, de même qu’il appelle à favoriser le dialogue et le respect des droits”. Enfin, il “réaffirme la nécessité de préserver le statut spécial de la ville d’Al-Qods et de protéger le cachet islamique de la ville sainte et la sacralité de la Mosquée Al-Aqsa”.
La solution la plus juste
Le Maroc pouvait-il dire plus? Bien sûr, et il peut même tomber dans la surenchère si c’est cela qui compte vraiment, mais à quoi bon? En quoi cela peut-il vraiment régler la situation et faire en sorte que les Palestiniens ne soient pas spoliés dans leur droit? C’est là qu’il faut rappeler le fondement de la démarche du Royaume: elle est réaliste et part du principe qu’il existe aujourd’hui, que certains le veuillent ou non, un État israélien établi au Proche-Orient, un État qui a ses institutions et qui, quitte à entrer en guerre comme il l’a à maintes reprises fait ces 70 dernières années, n’est sans doute pas prêt à renoncer à son existence.
C’est donc un acteur avec qui il faut traiter rationnellement, loin de toute passion; chose qu’en septembre 1965 soulignait le roi Hassan II dans un sommet de la Ligue arabe qu’avait accueilli la ville de Casablanca -sans que notamment le président égyptien Nasser ne l’écoute, lui qui en six jours à peine allait voir moins de deux ans plus tard son armée défaite à plates coutures par Israël.
En même temps, il ne s’agit pas de donner à cet acteur, contrairement à une opinion répandue, un blanc-seing, mais plutôt d’utiliser les relations qu’on peut avoir avec lui de façon à parvenir à la solution la plus juste possible, c’est-à-dire, concrètement, celle qui permettra un jour à deux États, l’un israélien l’un palestinien, de coexister côte à côte, dans la paix et la sécurité.
Et à cet égard le Maroc a aussi l’avantage d’avoir une histoire juive longue de 2000 ans et qui résulte dans le fait qu’il dispose aujourd’hui en Israël d’une communauté de 800.000 âmes demeurée fortement attachée à son pays d’origine, dont de nombreux représentants figurent d’ailleurs dans l’actuel gouvernement israélien luimême. Soit donc un important argument, quand on sait qu’il appartient par ailleurs au monde arabe, pour jouer les intermédiaires. Et pour ce faire, nul besoin de rappeler qu’en tant qu’État il doit, in fine, adopter le discours le plus fédérateur qu’il puisse se permettre.
On renverra, en fin de compte, à ce propos tenu le 3 octobre 2020 par le prince Bandar ben Sultan, ambassadeur pendant plus de vingt ans de l’Arabie saoudite à Washington et grand connaisseur du dossier palestinien, sur la chaîne satellitaire Al-Arabiya: “La cause palestinienne est une cause juste, mais ses défenseurs sont des fiascos et la cause israélienne est injuste, mais ses défenseurs ont démontré leur succès. Cela résume les événements des 70 ou 75 dernières années.” À méditer.