Charles Saint-Prot: "Que la Syrie cesse de soutenir les séparatistes du Polisario semble impossible"


Alors que d’aucuns aiment à présenter le régime syrien comme un pion de la Russie et de l’Iran, Charles Saint-Prot pense qu’il agit tout simplement en tant que cinquième colonne arabe, indépendamment de qui le soutiendrait. Et naturellement, il est loin de voir la réadmission de la Syrie à la Ligue arabe d’un bon oeil.

Quelle analyse faites-vous de la réadmission de la Syrie à la Ligue arabe?
Il va sans dire que ce n’est pas une nouvelle que moi je considérerais comme bonne. Ceux qui me connaissent et sont familiers de mes écrits savent le peu d’estime dans laquelle j’ai toujours tenu le régime syrien, auquel j’ai consacré l’un des premiers livres intitulé “Les mystères syriens” chez Albin Michel. Même s’il se revendique du baasime, pour moi ce régime n’a absolument rien de baasiste. Tout ce qui compte pour lui, c’est de se maintenir au pouvoir, sans plus. En ce qui s’agit des intérêts supérieurs arabes, les Assad se sont toujours positionnés à rebours.

On sait aujourd’hui, même si on essaie souvent de le passer sous silence, que ministre de la Défense, Hafez el-Assad avait fait envoyer des avions sans munition lors de la guerre des Six Jours en 67. Dans les années 1980, ils se sont positionnés en faveur de l’Iran contre l’Irak. Ils ont directement contribué à faire tomber la seule personne qui, selon moi, était apte à résister à l’impérialisme occidental dans la région et à mener à bout le grand projet unioniste de Nasser, à savoir Saddam Hussein. En 2003, les États-Unis s’étaient très clairement appuyés sur eux pour leur invasion. Et pour moi, ils restent aujourd’hui encore leurs agents. Il faut savoir que le régime syrien est une secte d’Alaouites -environ 8% de la population proche du chiisme perse qu’il choisira toujours contre les Arabes et sa propre population à 75% sunnite; le reste étant composé par les Syriens chrétiens et druzes.

Ce n’est pourtant pas de la sorte que, comme vous le savez, on présente généralement les faits. On explique plutôt qu’el-Assad est stipendié par la Russie…
C’est un vieux discours qui, comme je viens de l’étayer, est démenti par des faits indéniables. Je peux vous retourner la remarque: pourquoi [l’ancien président américain Barack] Obama n’avait-il rien fait en 2013, après les bombardements chimiques dans la Ghouta orientale, pour le renverser? Il en avait pourtant clairement les moyens militaires. La France, dans sa tradition gaulliste, était également prête à passer à l’action, avec l’engagement affirmé exprimé par le président François Hollande..

En tout cas, l’administration Biden a ouvertement condamné la réadmission de la Syrie…
Ce sont là encore de simples paroles en l’air, de la poudre aux yeux. Je vous rappelle que le vice-président d’Obama n’était autre que Biden. Avait-il vraiment tout fait à l’époque, à son niveau, pour qu’une intervention en Syrie se concrétise? Je ne le crois franchement pas. On est, en tout état de cause, dans la continuité de la politique dont on était déjà témoin il y a dix ans.


Ce qu’on pourrait conclure, ou du moins comprendre, à partir de votre raisonnement, c’est que Riyad pourrait avoir coordonné en coulisses avec Washington pour pousser autant pour la réadmission de la Syrie…
Je ne suis pas dans le secret des dieux; j’ignore ce qui s’est exactement passé au cours des dernières semaines pour voir l’Arabie saoudite autant militer en faveur de la réadmission de la Syrie. Mais vous connaissez l’histoire, vous connaissez le pacte du Quincy (qui accorde une protection américaine au régime saoudien contre l’approvisionnement pétrolier en faveur des États-Unis, ndlr). Les Saoudiens ont toujours agi dans l’intérêt des États-Unis. Que cela soit également le cas dans la présente affaire ne serait guère surprenant.

Poussons encore plus loin: pour vous, y aurait-il, dans le fond, carrément concordance entre non seulement les agendas américains et russes, mais aussi iraniens, étant donné que la République islamique défend elle aussi el-Assad?
C’est un fait établi, car l’Iran joue lui aussi, depuis la révolution en 79, le jeu des États- Unis. C’est dans l’intérêt de l’Amérique qu’il a combattu l’Irak; comme cela avait été su plus tard, il avait été directement armé par elle (affaire de l’Irangate, ndlr). Croire qu’il serait opposé à eux et à leur présence dans le Proche-Orient relève de la naïveté.

Mais mettons qu’il y ait convergence entre les États-Unis et l’Iran sur le régime el-Assad. Ne se peut-il pas que ce soit uniquement le cas en Syrie et non dans les autres pays?
Ce n’est pas mon opinion.

Au Maroc par exemple, l’Iran oeuvre de façon à peine voilée, par le biais du Hezbollah, en faveur de la séparation du Sahara marocain, ce qui n’est pas le cas des États-Unis qui tiennent désormais ouvertement une position opposée…
C’est du cinéma. Je ne crois pas en un soutien américain envers l’intégrité territoriale du Maroc. Pas plus d’ailleurs que de la part d’Israël. Il y a un agenda clair qui se déploie depuis plusieurs décennies, c’est celui de la division de l’ensemble des pays arabes. Et la question du Sahara marocain fait de façon éloquente partie de cet agenda. Par rapport à la Syrie, n’oublions pas qu’elle a été un des rares pays arabes avec l’Algérie à reconnaître la pseudo “République arabe sahraouie démocratique” (RASD).

Et par rapport au Maroc? Qu’avez-vous pensé de sa position?
Le Maroc a, à ma connaissance, émis une condition au retour de la Syrie à la Ligue arabe: que le régime syrien cesse de soutenir les séparatistes du Polisario. Ce qui semble impossible si l’on considère que l’Iran accorde un plein soutien aux séparatistes.

Un mot sur la France? Vous avez toujours promu l’idée d’une diplomatie française non-alignée dans le monde arabe, étant par exemple susceptible d’offrir ses bons offices quand il le faut…
Avec [le président français Emmanuel] Macron, il n’y a tout bonnement rien à espérer. Oui, nous avions, jusqu’à [Jacques] Chirac, une diplomatie qui était d’abord dictée par notre propre agenda, qui était sérieuse et respectée, notamment auprès de nos partenaires arabes. Ce n’est malheureusement plus le cas. Macron a tué la politique arabe de la France, relancée par le général de Gaulle.

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