Charles Saint-Prot : “La Russie doit cesser de s’acoquiner avec des États voyous comme l’Iran et l’Algérie”


Docteur Charles Saint-Prot, spécialiste des questions du Maghreb et de la lutte antiterroriste dans ce vaste étendue qu’est le Sahel, explique dans cette interview exclusive ce qui se cache derrière les manoeuvres algéro-russes à Bechar et plus globalement les risques de l’alliance nouée entre la Russie, l’Iran et l’Algérie. 


Quelle analyse faites-vous des manœuvres militaires algéro-russes à Béchar?

Des manœuvres à quelques kilomètres de la frontière avec le Maroc sont insensées. Le prétexte est mince: lutter contre le terrorisme alors que la position de l’État algérien n’est pas claire, voire même ambiguë sur cette question. En réalité, Russes et Algériens se soucient du terrorisme comme d’une guigne. Ils ont dans cette affaire leurs propres intérêts. D’un côté, Moscou considère l’Algérie comme étant un front avancé, une tête de pont dans sa stratégie de confrontation militaire avec l’Occident. Ce qui érige la frontière algéro-marocaine en une ligne de démarcation entre la zone d’influence occidentale et celle de l’ex-bloc communiste. Les manœuvres de Béchar ne sont qu’un message de Moscou en direction de l’Occident, démontrant ainsi la capacité de la Russie à se déployer à proximité des intérêts occidentaux dans l’Ouest de la Méditerranée. 

D’un autre côté, le régime algérien a augmenté son budget militaire pour le porter à 23 milliards de dollars. Plus généralement, 80% des équipements militaires que l’Algérie a importés depuis 2017 proviennent de Russie et on imagine que les militaires au pouvoir en Algérie vont se remplir les poches de bakchichs. Il faut rappeler que l’Algérie et la Russie s’apprêtent à signer un méga-contrat militaire d’un montant de plus de 11 milliards de dollars, portant, notamment, sur l'acquisition par Alger du nouveau chasseur Soukhoï Su-75 de cinquième génération, dit «échec et mat», concurrent du F35 américain, de Lockheed Martin. 

En outre, il faut se souvenir que le régime algérien déteste le Maroc (comme la France, d’ailleurs): il est jaloux et jusqu’au-boutiste, donc dangereux. Ce système nostalgique de la guerre froide a créé de toutes pièces le conflit au Sahara marocain. 

Maintenant toute la question est de savoir quelle est la portée de ces manœuvres dans la zone de Béchar. Les dirigeants du régime algérien veulent-ils simplement continuer à se remplir les poches tout en faisant croire qu'ils veulent attaquer le Maroc ou existe-il un réel danger de guerre au Maghreb? Pour faire la guerre, il faut une armée motivée et ce n’est pas le cas des dirigeants algériens, qui ne font que marcher contre le cours de l’Histoire. Ceux-ci auraient besoin de la Russie qui, pour l’instant, louvoie entre les deux puissances du Maghreb. 

Mais qu’est-ce qui peut justifier une telle opération alors que la tension dans la région est à son paroxysme?

Comme vous le dites, la tension régionale est à son paroxysme. Il existe un risque de déstabilisation au Maghreb et dans la région. Il est clair que cette gesticulation algéro-russe aggrave inutilement la situation. Une situation tendue au Maghreb en raison de l’entêtement anti-marocain du régime algérien, qui s’obstine à ne pas vouloir prendre en compte le plan marocain d’autonomie au Sahara, ni répondre positivement à l’appel du Roi Mohammed VI pour ouvrir une nouvelle page dans les relations bilatérales. 

Peut-on parler d’une nouvelle alliance du mal qui se noue au niveau du Maghreb et au Sahel avec l’Algérie, l’Iran et la Russie? 

Je sais bien qu’on ne choisit pas ses alliés, mais ce n’est pas faire œuvre polémique que de dire que la Russie doit cesser de s'acoquiner avec des États voyous comme l’Iran, la Corée du Nord, le régime syrien ou le régime algérien. La Russie aurait intérêt à rechercher d’autres partenaires, plus crédibles que ces États voyous qui font honte aux amis de la Russie. 

La présence iranienne dans la région n’est plus un secret pour personne. Où réside le danger?

Un certain nombre d’États voyous, notamment l’Iran et l’Algérie, ont bénéficié de la hausse des prix du pétrole. Ils se croient tout permis contre un Occident «veule et décadent». Il faut les ramener à la raison dans l’intérêt de la paix et de la stabilité internationales. Le danger iranien est multiple. Re- ligieux car l’Iran veut instaurer son système rétrograde et utilise à la fois la force et la diplomatie de la valise de dollars. 

La menace est également géopolitique car les Perses n’ont jamais digéré la bataille de Qadissyah (636) et c’est même pourquoi ils favorisent l’éclosion d’un chiisme anti-arabe (chououbiya) au début du XVIè siècle. Aux yeux des Iraniens, le danger n’est pas Israël mais l’ennemi est le monde arabe et ils ne manquent pas d’y propager le désordre. La menace est aussi militaire car l’Iran peut fournir des armes à l’Algérie et au Polisario (c’est la même chose), notamment des drones. 

Les Iraniens ont affirmé, justement, qu’ils vont vendre des drones à l’Algérie et au Polisario. Quelle lecture en faites-vous? 

C’est une possibilité. On sait que des drones fournis par l’Iran sont utilisés par la Russie. Les Algériens n’ont pas besoin de courtiers pour négocier des drones iraniens au profit du Polisario, et ces livraisons, même si elles ne sont pas de nature à modifier le cours des choses, le Maroc étant chez lui au Sahara, pourraient alimenter un conflit pourtant sans issue. 

Plusieurs centres de recherche, voire d'organismes officiels, ont pointé du doigt les liens entre le Polisario et les réseaux terroristes. L’Iran soutient-il alors les terroristes? 

Que le Polisario soit une organisation terroriste, c’est une évidence. Il est donc normal qu’un Etat terroriste comme l’Iran le soutienne. Les terroristes ont tendance à s’entendre. Je serais tenté de dire que «qui se ressemble s’assemble». Et l’Iran est bien, depuis 1979, un Etat terroriste qui a assassiné des dizaines de milliers de personnes, dont Amir Abbas Hoveida, Chapour Bakhtiar, d’innombrables anciens haut gradés de l’armée iranienne du Shah, des dirigeant kurdes, d’anciens hauts gradés de l’armée irakienne du président Saddam Hossein, les ingénieurs irakiens, des milliers de moudjahidines du peuple (opposants au régime de Téhéran), les Arabes de la région d’Ahwaz, des milliers de prisonniers politiques... C’est un régime qui ne recule devant aucun meurtre et qui se servira du Polisario comme il s’est servi du Hezbollah au Liban, en Syrie et en Irak, ou du Wefac bahreini.

 

 

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