Charles Enderlin: "Il faut rappeler le rôle fondamental joué par le Maroc dans la recherche de la paix au Proche-Orient"

Charles Enderlin, auteur de "de notre correspondant à Jérusalem"

Fin connaisseur du conflit israélo-palestinien, qu’il couvre depuis plus de 50 ans en faveur des médias français, Charles Enderlin revient pour Maroc Hebdo sur l’escalade que connaît actuellement le Proche-Orient ainsi que ses motivations profondes.

Que se passe-t-il exactement actuellement au Proche-Orient?
Les grands problèmes du conflit israélo- palestinien ne sont pas réglés. Le processus de négociation est dans l’impasse depuis une quinzaine d’années. Sur le terrain, la colonisation se poursuit en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, Gaza, où le Hamas a mis en place un régime totalitaire, est sous blocus… Les Palestiniens avaient disparu de la scène internationale, apparemment abandonnés par des États arabes qui ont conclu des accords avec Israël.

À l’intérieur d’Israël, les Arabes sont arrivés au point d’ébullition, après des années de discrimination économique et sociale, et le vote à la Knesset en juillet 2018 de la loi “Israël État-nation du peuple juif”, qui retire à l’arabe le statut de langue officielle et accorde la priorité au développement de localités juives. Il faut mentionner l’arrivée au Parlement de la liste “le sionisme religieux”, composée de trois partis messianiques racistes. Notamment “Ozma Yehoudit” (la puissance juive), du député Itamar Ben Gvir. L’héritier idéologique du rabbin Meir Kahana, le fondateur de la Ligue de défense juive, qui prônait l’expulsion des Arabes d’Israël. C’était seulement une question de temps avant que, à nouveau, tout explose...

Vous vous attendiez donc à cette escalade...
Oui, mais pas de façon aussi rapide et avec une telle ampleur. À l’origine de cette crise, il y a tout ce que je viens de citer, mais aussi une série de décisions dont il faudra déterminer s’il s’agissait d’erreurs de jugement ou d’une volonté de faire monter la tension pendant le Ramadan. Pourquoi la police israélienne a-t-elle fermé le petit amphithéâtre, à la sortie de la porte de Damas de la Vieille ville, où les jeunes Palestiniens se rassemblaient après l’Iftar, mesure annulée par la suite? Pourquoi est-elle intervenue sur l’esplanade des Mosquées en pleine prière nocturne du Ramadan? Qui a autorisé un policier à lancer une grenade à l’intérieur de la Mosquée Al-Aqsa? À partir de là, le Hamas a décidé que le moment était propice pour tenter d’établir de nouvelles règles du statu quo.

En référence à votre récent livre, «De notre correspondant à Jérusalem», cela fait plus d’un demi-siècle que vous couvrez le conflit israélo-palestinien. Quel regard portez-vous sur l’évolution qu’il a connue toutes ces années durant, et pensez-vous qu’un jour l’on puisse revivre encore un moment comme Oslo?
Oh! Vous savez, en recherchant l’histoire de cette région, j’ai trouvé nombre d’occasions perdues. La plus surprenante, peut-être, date de la fin de l’année 1965. Le chef du Mossad était invité à se rendre secrètement au Caire, y rencontrer le Président Gamal Abdel Nasser et discuter d’un accord. Le gouvernement israélien a refusé.

C’était dix-huit mois avant la Guerre des Six jours. Par la suite, Yasser Arafat a rejeté l’initiative de paix d’Anouar el-Sadate, en 1978. L’échec du processus d’Oslo est un crève-coeur, de même que les négociations inabouties avec la Syrie de Hafez el-Assad. Le Proche-Orient aurait été totalement différent aujourd’hui.

En 1994, le ministère israélien des Affaires étrangères a réuni des experts pour imaginer la région en temps de paix. Des trains rapides entre les capitales, un réseau électrique reliant les pays, un seul passeport touristique pour visiter l’ensemble de la région, les sites en Israël, Palestine, Égypte, Jordanie, etc. Alors, tout cela, aujourd’hui, cela tient de la politique-fiction et l’évolution vers plus de violence paraît inexorable.

Le Maroc a été un des quatre pays arabes avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan à établir au cours de l’année 2020 des relations officielles avec Israël. Ces accords d’Abraham, comme a choisi de les appeler la dernière administration américaine, sont-ils, selon vous, de nature à rendre l’Orient moins «compliqué », pour reprendre la célèbre phrase du général de Gaulle?
Tout d’abord, personnellement, je suis en faveur de tout accord entre Israël et un État arabe, y compris ces accords d’Abraham. Mais, en l’occurrence, avec l’aide -et les cadeaux- de Donald Trump, Benjamin Netanyahu a pu annoncer à son public et à la communauté internationale: “Vous voyez! Plus personne ne parle des Palestiniens. Sans leur faire la moindre concession il est possible de conclure des accords de paix avec des États arabes”.

En fait, il ne s’agit pas de traités de paix mais d’une normalisation diplomatique de relations informelles qui existaient depuis des décennies. Israël n’était pas en guerre avec ces pays. Chacun a accepté cette initiative selon ses intérêts. Dans le Golfe, renforcer l’alliance face à l’Iran, obtenir une coopération militaire renforcée avec les États-Unis, conclure des accords économiques et touristiques avec Israël. Il faut rappeler le rôle fondamental joué par le Maroc dans la recherche de la paix au Proche-Orient.

Je raconte, dans un de mes livres, comment la visite historique du Président Anouar el-Sadate à Jérusalem, en novembre 1977, s’est négociée au palais du roi Hassan II, entre Moshé Dayan, le ministre israélien des Affaires étrangères, et Hassan Tuhami, le vice-Premier ministre égyptien. Dès 1994, après les accords d’Oslo, les deux pays ont ouvert des bureaux de liaison, qui ont été fermés aux débuts de la seconde Intifada en 2000.

Depuis, les relations avaient repris plus ou moins discrètement et des groupes de touristes israéliens visitaient le Maroc. À présent, ils pourront prendre des vols directs pour s’y rendre. Cela dit, la crise actuelle, les combats entre Israël et le Hamas, le réveil de la jeunesse palestinienne placent ces pays des accords d’Abraham, dans la position où ils pourraient intervenir auprès d’Israël et pousser à la relance d’un processus de négociations.

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