Expert reconnu dans le domaine de l’énergie et des hydrocarbures en particulier, Charif El Hamraoui nous livre les coulisses de l’évolution des prix du pétrole brut et des hydrocarbures raffinés et son impact sur les prix à la pompe au Maroc mais également sur la constitution d’une réserve stratégique.
La guerre en Ukraine est toujours d’actualité. Quelles conséquences a-t-elle sur l’économie marocaine et sur l’approvisionnement en hydrocarbures?
La guerre en Ukraine a eu, à ses débuts, un impact réel sur l’approvisionnement en hydrocarbures eu regard aux menaces de boycott des produits pétroliers russes, sachant que la Russie est le deuxième exportateur de pétrole dans le monde. Cette menace n’a pas été mise en exécution. Les Européens sont toujours alimentés en pétrole russe via l’Ukraine. Malgré le pic des 125 dollars, les prix du baril sur les marchés internationaux sont revenus à 100 dollars. Deux phénomènes majeurs l’expliquent. Il y a d’abord l’enlisement de la guerre en Ukraine. Ensuite, il y a un début de reconfinement à Shangaï, en Chine, ce qui fait qu’il n’y a plus cette pression croissance sur la demande. La répercussion de la hausse du prix du baril sur les prix des matières raffinées prend plus de 8 jours. C’est-à-dire que lorsqu’on atteint le pic de 100 dollars du brut lundi, ce n’est qu’à partir de lundi d’après que l’on ressent les répercussions sur les prix du pétrole raffiné. Entre la sortie des produits raffinés de la raffinerie et leur arrivée au Maroc, il faut compter 45 jours. Ce qui fait que, bon an mal an, le Maroc ressent le pic 55 à 60 jours plus tard.
Mais pourquoi ressent-on une indexation directe des prix du brut sur les prix à la pompe au Maroc?
En vérité, les prix à la pompe au Maroc sont totalement corrélés aux évolutions des prix des cours internationaux des produits raffinés qui sont, à leur tour, corrélés aux prix du brut. Du fait que nous n’avons pas de raffinerie, nous sommes impactés par les cours internationaux du brut. Les pétroliers considèrent qu’il y a des charges fixes dans la mesure où ils amortissent à long terme leurs investissements. Il y a aussi des charges fixes en termes de transport et de marge octroyée aux différents détaillants et distributeurs. Ces charges fixes sont totalement impactées sur le consommateur final.
Est-ce qu’il y a une concurrence qui ferait qu’on puisse envisager une baisse des prix à la pompe?
Dans ce domaine, la concurrence est une chimère. C’est exactement le même produit qui est commercialisé. Il n’y a pas de valeur ajoutée d’un distributeur par rapport à un autre. Il y a eu des efforts de la part du Conseil de la concurrence, qui a interdit les importations groupées. Comme on ne fait plus de raffinage, l’ensemble des pétroliers, qui sont des distributeurs, ne compensent pas l’impact de la hausse de la matière première. Il y a peut-être moyen de baisser les marges bénéficiaires. Trois acteurs principaux, Afriquia, Total et Shell, détiennent 75% du marché des hydrocarbures et plus de 85% des dépôts de stockage. L’État a une marge dans la mesure où il impose des taxes (TIC, TVA) qui sont aux alentours de 30% du prix à la pompe.
Pourtant en France, le gouvernement a baissé les prix à la pompe en sacrifiant une partie des revenus des taxes. Pourquoi on ne fait pas de même au Maroc?
En France, l’État a baissé ses marges bénéficiaires à travers la création d’une taxe spéciale sur les hydrocarbures qui a permis au prix de baisser de 25 à 30 centimes par litre. Au Maroc, le gouvernement a préféré donner des subventions directement aux transporteurs. En subventionnant le secteur du transport, on subventionne a priori l’impact de l’énergie sur notre production nationale. Or, le secteur des transports n’est pas structuré de manière à ce que lorsqu’on subventionne les propriétaires d’agréments, cela se répercute sur le consommateur final. En subventionnant le secteur des transports, le gouvernement a évité des grèves qui auraient pu le pousser à faire des concessions.
Pourquoi les prix à la pompe n’ont baissé ces derniers jours de manière corollaire à la baisse des prix du brut?
Il y a le temps de raffinage et de transport, qu’on ne peut pas réduire. Les pétroliers s’attendent à une réaction du gouvernement pour faire baisser les prix et créer, ainsi, un matelas de sécurité pour le futur.
Le Maroc dispose-t-il d’une réserve stratégique d’hydrocarbures?
La loi prévoit pour le gasoil une autonomie minimale entre 60 et 75 jours pour les distributeurs, associée à une autonomie de 30 jours pour le raffineur, soit 3 mois au total. Aujourd’hui, sans raffinerie, la loi se limite à 60-75 jours. Les réserves stratégiques actuelles servent à combler les besoins de 26 jours, selon les derniers chiffres communiqués par le GPM à la ministre de la Transition énergétique. Ce stock ne comptabilise par les quantités de carburants présentes dans les stations-service. D’ailleurs, ces réserves sont souvent mises en avant par les distributeurs pour justifier les prix élevés des hydrocarbures. Ils arguent du fait qu’ils doivent impacter le coût de ce carburant dormant sur les prix à la pompe. La Samir, en arrêt d’activité depuis des années, détient plus de 2 millions de m3 de stockage, ce qui représente l’équivalent de la moitié des réserves de stockage actuelles. L’utilisation de ce stock permettrait d’allonger les réserves stratégiques et de se prémunir des évolutions des cours internationaux. Ils ne sont certes pas opérationnels mais nécessitent trois mois d’entretien. Il y a eu deux tentatives de l’ONHYM pour réquisitionner ce stock mais elles sont restées sans réponse.
La loi sur la libéralisation du secteur des hydrocarbures stipule que le gouvernement doit intervenir lorsque les prix à la pompe atteignent un certain seuil. Or, à ce jour, le gouvernement n’a pas encore réagi. Pourquoi, selon vous?
Aujourd’hui, il n’y a pas de concurrence non seulement par rapport au produit mais aussi du fait qu’il y ait des barrières à l’entrée capitalistiques, logistiques et réglementaires. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on se retrouve avec un nombre d’acteurs réduit. Dans la mesure où ces acteurs distribuent des produits de base qui ne sont pas interchangeables, ils ont une certaine liberté dans la définition des prix et ont aussi un certain poids face aux autorités. L’État n’est pas en mesure d’avoir une entité publique pour concurrencer ces entreprises privées. Les distributeurs justifient donc leurs prix par une corrélation directe aux prix du brut sur les marchés internationaux. Le citoyen ne comprend pas comment une société pétrolière se limite à gagner quelle que soit l’évolution des cours des matières premières. L’État peut réagir. Mais le discours étatique est simple. A travers les subventions accordées aux transporteurs, les ménages moins aisés, utilisant des moyens de transport en commun, sont subventionnés. La classe moyenne, par exemple, n’en profite pas et personne n’en parle.
Vous avez dit qu’il n’y a pas de véritable concurrence qui pourrait revoir à la baisse les prix à la pompe. Est-ce que cela veut dire qu’il y a une entente?
S’il y a entente, elle ne peut se situer qu’en amont. Je m’explique. Les différentiels d’achat des sociétés pétrolières marocaines sont très faibles. Il ne faut pas oublier que le Maroc consomme 12 millions de m3 par an, représentant des potentiels pas très intéressants pour les acteurs du secteur. L’ensemble des pétroliers s’approvisionnent auprès des mêmes traders, auprès des mêmes fournisseurs. A une différence de 1 à 2 dollars la tonne. C’est insignifiant. Leurs charges fixes sont les mêmes. Mais il n’y a pas une entente avérée. Les pétroliers sont le dernier maillon d’une chaîne caractérisée à tous les étages par une entente. L’OPEP fixe le prix du baril, les raffineries achètent au même prix et les pétroliers répercutent ces impacts sur les prix à la pompe.