“Ce n’est pas au sujet de l’affaire de “jouj frank”, j’espère?”.
Charafat Afilal n’est pas du genre à vouloir alimenter la polémique. Paradoxal a priori et de quoi sans doute, aux yeux de certains, prêter à sourire au vu de l’actualité récente de la jeune ministre déléguée chargée de l’Eau, 44 ans cette année 2016. Il est vrai que lorsqu’elle nous reçoit ce mardi 19 janvier 2016 au siège de son département, sis au quartier de l’Agdal dans la capitale, Rabat, son franc parler saute immédiatement aux yeux. Mais comme souvent, l’apparence est trompeuse. Mme Afilal est loin de correspondre aux clichés qu’ont pu colporter sur elle certains média nationaux, surtout électroniques, ces dernières semaines. En tout cas, c’est l’impression qu’elle laisse après plus de 45 minutes d’entretien.
Tourbillon médiatique
On lui a notamment prêté des manières arrogantes, que ceux qui travaillent avec elle chaque jour balaient d’un revers de main. “Charafat arrogante?”, se gausse un membre de son cabinet. “Laissez- moi rire”. Il faut dire que la ministre s’est retrouvée, depuis la mi-décembre 2015, au milieu d’un véritable tourbillon médiatique, après ses déclarations tonitruantes sur le plateau de l’émission “Dayf Al Aoula”, sur la première chaîne de télévision.
Face au présentateur Mohamed Tijjini, elle avait qualifié les retraites des parlementaires, de l’ordre de 8.000 dirhams par mois, soit tout de même plus de trois fois le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) actuel à vie, de deux sous, “jouj frank” en arabe dialectal marocain. Une expression aussitôt récupérée par les réseaux sociaux qui, il faut le dire, ne l’ont pas épargnée. “Jouj frank” est devenu un mème, employé à foison par les Internautes, qui en ont même fait une chanson. Battante dans l’âme, Mme Afilal aurait pu encaisser comme toujours, comme elle en a l’habitude, en attendant que la tempête soit passée.
Mais cette fois-ci, ses proches auraient également été entraînés dans l’engrenage. Quand nous lui posons la question, Mme Afilal botte en touche. Nous n’insisterons pas.
Au cours de sa discussion avec Maroc Hebdo, elle a principalement mis l’accent sur son travail à la tête du ministère. Une fonction qui lui tient à coeur forcément, elle qui connaît sur le bout des doigts le dossier de l’eau depuis son passage pendant plus d’une décennie à l’Office national de l’eau potable (ONEP), fusionné en 2012 dans l’Office national de l’eau et de l’électricité (ONEE).
“Avant, l’Eau relevait du ministère de l’Equipement, aujourd’hui, c’est un département à part entière”, se félicite Mme Afilal, qui a joué un rôle important dans la promotion de la question dans la presse nationale. En effet, à l’heure où le péril de la sécheresse menace plus que jamais l’agriculture nationale, la thématique tient une place de plus en plus cruciale dans les débats publics. Les inondations et la montée du niveau de la mer figurent également au titre des autres risques climatiques majeurs encourus, de même, par le pays.
Risques climatiques majeurs
Dans ce sens, la ministre a tout au long de son mandat planché sur un projet de loi sur l’eau, adopté en conseil de gouvernement en novembre 2015.
Le texte est actuellement en cours de discussion au Parlement. “Il faut mettre l’accent sur le travail de l’ensemble du personnel du ministère, à savoir ingénieurs, techniciens, formateurs et administrateurs dans l’élaboration du projet”, note Mme Afilal. “Sans eux, le projet n’aurait sans doute jamais vu le jour”. Il arrive souvent que la ministre cumule les journées de travail interminables au bureau, pouvant même, parfois, rester au-delà des coups de minuit. “Mais tant que je rends service à mon pays, je n’ai pas à me plaindre”, tient-elle toutefois à clarifier. Ce stakhanovisme de tous les instants, il lui tient lieu de crédo depuis sa prime jeunesse.
Née dans la ville de Tétouan, dans le Nord du Maroc, elle doit son engagement politique à son père, ancien militant du Parti du progrès et du socialisme (PPS) aujourd’hui à la retraite. “Très jeunes, nous participions mon frère et moi aux camps d’été du parti”, se souvientelle. Tandis que son frère range aussitôt Karl Marx et Lénine, les deux principaux penseurs du communisme, au placard, elle continue son bonhomme de chemin. Elle rejoint l’Organisation des pionniers enfants du Maroc, devenue aujourd’hui la Jeunesse socialiste, la jeunesse du PPS. Puis elle intègre les rangs du parti, dans lequel elle monte rapidement en grade pour devenir, à 28 ans seulement, la plus jeune membre du bureau politique de la formation.
Une progression que Mme Afilal qualifie de “linéaire”, quoiqu’elle ne cache pas sa surprise d’avoir été élue à l’époque, au tournant des années 2000. “J’arrivais à peine à prendre la parole lors des réunions, surtout qu’à mes côtés il y avait des personnages comme Moulay Ismail Alaoui, Omar El Fassi et d’autres encore”, se souvient-elle. Tout au long de son parcours, Mme Afilal ne s’est jamais présentée à une fonction. Même pour devenir ministre. “On m’avait déjà proposé de prendre en charge le département en 2011 mais je n’avais pas pu donner suite pour des raisons personnelles”, révèle-t-elle. “Après, quand l’opportunité s’est de nouveau présentée, je me suis sentie dans le devoir d’accepter”.
Respect mutuel
Che Guevara, une des idoles de jeunesse de Mme Afilal, répétait souvent que “le socialisme économique sans la morale communiste ne l’intéressait pas”. La ministre, dont le visage s’éclaire quand on lui parle du guérillero argentin, regrette qu’aujourd’hui, la politique ne vise plus à élargir le champ du possible, comme au temps du Grand Soir révolutionnaire. “Avant, j’ai le souvenir que nous multipliions les sessions de formations, où l’on nous apprenait les bases de l’idéologie communiste, du matérialisme historique, du matérialisme dialectique”, se remémore Mme Afilal.
Quand on lui pose la question sur l’incompatibilité, apparente, entre son appartenance à un parti politique anciennement communiste et sa présence au sein d’un gouvernement à dominante islamiste, elle invoque le respect mutuel entre les différentes composantes de la majorité. “Il est vrai que le PPS a des principes qui lui sont propres, mais la déclaration sur laquelle nous nous étions entendus en 2014 laisse libre cours à chacun d’agir en fonction de ses convictions particulières”. Des convictions qu’elle ne saurait sans doute échanger contre rien au monde. Même contre deux sous.