
Notre pays est la cible d’attaques sournoises en Europe et en Amérique. Il est accusé d’exporter le terrorisme.
On croirait presque, à lire certains médias, que nous vivrions dans un autre pays. A les suivre, le Maroc de 2017 aurait tout à voir avec la Syrie de Bachar (pour citer une référence régionale) ou peut-être la Corée du Nord. On caricature? Lisez alors ceci: «Actuellement, les barrages de police entourent la ville et les manifestations sont interdites. Les camions de police et les officiers en uniforme ont pris la place des carrousels, des concerts et des divertissements de rue qui remplissent généralement les villes pendant les mois d’été. Des drapeaux noirs marquent les maisons de ceux qui ont été emprisonnés durant les manifestations des derniers mois.» C’était le 27 août, sur le New York Times, et non, il ne s’agissait ni d’Alep assiégée, ni de Sarajevo pour ceux qui se souviennent encore de l’époque de Bosnie-Herzégovine, mais d’Al Hoceima. Oui, celle-là même qu’on répertorie sur les cartes du Royaume (il n’y en a de toute façon pas d’autres).
Négligence préméditée?
Alors bien sûr, il ne s’agit ni de minimiser le drame que connaît la ville, ni de nier l’importance du dispositif sécuritaire déployé. Et beaucoup de Marocains, même ceux opposés au Hirak, ne partagent pas tout à fait l’approche des autorités (notamment les accusations de séparatisme). Mais de là à dépeindre une cité presque acculée et d’aller jusqu’à parler de «tactiques répressives » (oui, oui)... Voyons donc!
Ce qu’on peut dire du New York Times (qui s’est par ailleurs aussi permis une tribune de même augure quelques jours plus tard), on pourrait tout aussi bien le mandater en parlant d’autres publications étrangères comme le Guardian et cie. A l’échelle internationale, ces titres sont renommés et ont une répercussion immense, au point d’avoir fait chuter bien des politiques et même des chefs d’État.
Toutefois, là où ils sont sérieux et responsables, ils font montre d’une négligence à tout point de vue déroutante, qu’on dirait presque préméditée (qui sait?), dès lors qu’il s’agit de nos pays, et plus spécifiquement ici du Maroc. Les clichés y sont à cet égard légion, et ils ne s’embarrassent pas à les servir à des lecteurs qui, faute de temps et d’intérêt suffisant, n’ont pas les moyens de séparer le bon grain de l’ivraie. De là, les idées reçues et les préjugés qui peuvent en découler. Un autre exemple parmi tant d’autres, pour en rester à ce seul été, le traitement qui a été fait de deux affaires qui, il est vrai, ont défrayé la chronique: les rapports sexuels qu’auraient pratiqués des ados de Sidi Kacem sur une ânesse (affaire qui ne serait qu’un énorme hoax, d’après une investigation du Desk) et celle encore plus scabreuse du viol d’une jeune fille handicapée dans un bus casablancais. On en a vu, ainsi, de toutes les analyses, et à toutes les sauces, mais avec un point d’accord général pour les recouper: il s’agirait là d’un déterminisme culturel, et a fortiori de l’expression portée à son pinacle d’un retard par rapport à un certain universel, en l’occurrence occidental. Comme s’il s’agissait d’un particularisme marocain et plus généralement musulman (la violence sexuelle étant apparemment un propre à nos seules sociétés). Et en se gardant presque de rappeler le contexte économique et social qui sous-tend, en vérité, les agissements d’une partie de notre jeunesse (chômage, précarité, qui s’ils étaient mis en exergue auraient mis d’accord jusqu’au plus haut sommet de l’État).
Mais ce qu’il y a de pire et surtout de désolant dans l’histoire, c’est que même des enfants du pays se soient engouffrés dans la brèche. Leila Slimani, pour ne citer qu’elle, a même commis un livre entier qui, comme on pouvait s’y attendre, a droit de cité partout et pourrait même se voir auréolé dans les semaines à venir d’un Renaudot (on aura tout vu).
Beaucoup diront que ce qu’elle décrit est vrai, et personne ne prétend d’ailleurs que la pratique sexuelle dans notre pays ne soit pas entourée de non-dits. Mais par son approche carrément essentialiste de la chose (bien qu’elle s’en déau nom de la région. La novlangue d’au-delà du mur de défense marocain s’impose, en tout état de cause, à tous. Autrement, soit on a subi un lavage en règle du cerveau, soit carrément touché des dessous de tables en contrepartie. Ainsi, à l’extérieur, le Marocain croyant sincèrement en l’unité intégrale de son pays passe au mieux pour un docile serviteur du Makhzen. Aux arguments de l’histoire et de la légalité, nulle question d’accorder un quelconque crédit.
Pas de leçons à recevoir
Le monarchiste? Un “ayach” lui aussi, comme il est devenu commun de l’appeler (c’est-à-dire une personne ayant tendance plus que de mesure à faire profession de vivats). Comme si croire en l’utilité de l’institution monarchique ne pouvait qu’être le signe d’un atavisme de maufende), elle pèche en définitive dans les mêmes eaux que ceux qu’en d’autres circonstances elle aurait pourfendus.
Enfin, imaginerions-nous un Français se faire éditer un livre au Maroc sur des affaires concernant ses seuls compatriotes et venir en faire la promotion dans des médias nationaux? Autant la chose serait compréhensible dans le cas par exemple d’un opposant qui se verrait privé de liberté de parole dans son pays (Diouri et co, du temps des années de plomb), autant on se demande bien si dans ce cas-ci, il n’est pas question d’un opportunisme éditorial, si ce n’est d’un opportunisme tout court…
Opportunisme éditorial
D’autres sujets, plus réguliers de par leur étendue historique, font également l’objet du même traitement partial. Sur le Sahara par exemple, on est tout de suite contesté dans sa crédibilité si on ne milite pas dans le même sens que dans la rhétorique indépendantiste, ou même si l’on refuse d’accoler le vocable d’“occidental” vais aloi. Dans le cas d’un Britannique ou d’un Suédois, on ne relèvera pas. Mais ceux-là, paraît- il, appartiennent à la bonne partie du monde. Quid des Marocains qui font bonne figure à l’international? Des exceptions. Ou bien des pas vraiment Marocains. Ilias Fifa et Adel Mechaal qui remportent des médailles olympiques sont Espagnols, mais les terroristes de Barcelone et de Cambrils sont “bien sûr” des nationaux (dixit le ministre de l’Intérieur d’outre-Gibraltar).
Ce qu’il y a de vrai dans l’histoire, c’est que nous sommes encore un pays en voie de développement et que nous sommes loin d’être parfaits. Beaucoup reste à faire, et les efforts faits ne sont pas toujours à la hauteur (le dernier discours du Trône a, à ce titre, été un fort moment de vérité). Mais pour autant, tout n’est pas noir, et le chantier a tout du moins été entamé. À pas de lilliputien peut-être, mais celui-ci avance. Et nous n’avons assurément de leçons à recevoir de personne, surtout pas de ceux qui, hier déjà, prétextaient seulement reprendre leur “lourd fardeau” (Kipling dans le texte)...