Casablanca : plus de 5.000 bâtiments patrimoniaux

Rachid Andaloussi, président de l’association Casamémoire (CREDIT PHOTO: DR) Rachid Andaloussi, président de l’association Casamémoire (CREDIT PHOTO: DR)

Interview. Mercredi 25 mars 2015, l’Entreprise Legal Frères & cie, située au quartier Mers  Sultan, à Casablanca, a été démolie. Avec cette destruction, c’est le témoin d’une époque  emblématique de l’activité industrielle de la ville qui disparaît. Le président de l’association  Casamémoire revient avec nous sur les circonstances de cet acte “incompréhensible”.

Maroc Hebdo: Comment l’association  Casamémoire a-t-elle accueilli  la nouvelle de la démolition de  l’Entreprise Legal Frères & cie?
Rachid Andaloussi:
Casamémoire a été  très surprise d’apprendre la démolition  de ce haut lieu de l’histoire industrielle  de Casablanca! Tout d’abord parce  que l’association a déposé, en 2012,  un dossier de demande d’inscription au patrimoine national afin de  faire reconnaître ce bien à sa juste  valeur. Mais, surtout, parce que ce  bien a été reconnu par le ministère  de la Culture comme “Monument  historique à inscrire au Bulletin  officiel”.

Quel intérêt patrimonial cette  bâtisse représente-t-elle?
Rachid Andaloussi:
La maison  Legal Frères & cie a été fondée  en 1921 et était spécialisée dans  l’importation de bois. Cette société  est le symbole même de ce qu’ont  connu beaucoup d’entreprises  casablancaises d’après-guerre grâce  au développement urbain assez  incroyable que la ville a connu. Au  début des années 1930, la société fait  appel aux grands architectes Ziegler  et Soulier pour l’agrandissement de  leurs entrepôts et à Pierre Jabin pour  les magasins Primarios. Aujourd’hui  situé au coeur de la ville, cet espace  est un magnifique témoin de cette  époque industrielle, propre à la  capitale économique.  Casablanca a connu une série  d’incidents et de dépassements de  ce genre, au mépris de la valeur  historique des bâtiments démolis.

A qui est-ce la Faute?
Rachid Andaloussi:
Casablanca  connait depuis toujours des séries  de vagues noires mais, il faut  reconnaître que depuis 10 ans, ce sont essentiellement des cas isolés.  Nous travaillons aujourd’hui en  étroite collaboration avec les divers  acteurs de la ville. Et, de manière  générale, il y a eu une réelle prise  de conscience de l’importance de  conserver ces biens, symboles de  notre Histoire. Nous constatons  ce phénomène au coeur même  des Journées du Patrimoine, où de  plus en plus de jeunes Casablancais  rejoignent les équipes de bénévoles.  Aussi, tout doucement, l’idée que  le patrimoine est un vecteur de  développement économique et  touristique s’installe-t-elle dans  les esprits. Bien entendu, ce n’est  pas gagné, il faut continuer à se  battre. Mais tout cela n’aurait pu  être possible sans l’implication  des citoyens et de la société civile.  Le patrimoine est aujourd’hui  une source d’inspiration pour les  artistes.  On a l’impression que Casamémoire  est impuissante face aux décisions  de démolition des trésors  architecturaux de la ville…

Quel est  le rôle exact de votre association  dans la préservation du patrimoine  de Casablanca?
Rachid Andaloussi:
Impuissante?  Casamémoire oeuvre depuis plus de  20 ans à la protection du patrimoine  casablancais! Casablanca a certes  connu de nombreuses démolitions  et perdu un certain nombre de ses  trésors architecturaux, mais elle  concentre toujours pour autant  une richesse inestimable que  l’association, grâce à l’appui des  citoyens et des autorités locales, a  pu protéger.  A ce jour, la ville détient plus de  5.000 bâtiments ayant une valeur patrimoniale. Le coeur de notre  association est la protection de  ces trésors architecturaux par leur  inscription au patrimoine national  ou encore par la préparation du  dossier de candidature de la ville  au patrimoine mondial de l’Unesco.  L’association Casamémoire porte le  dossier d’inscription de Casablanca,  en partenariat avec le ministère de  la Culture et le Conseil de la Ville.  Le second grand volet est la  sensibilisation du grand public à  cette richesse par l’organisation  d’événements comme les Journées  du Patrimoine ou encore l’Université  Populaire du Patrimoine.

Normalement, les décisions  concernant la destruction d’un bâtiment relevant du patrimoine  doivent être prises à l’issue des  réunions de la commission du  patrimoine. Or, dans la réalité, ces  décisions sont prises sans que vous  soyez consultés. Est-ce normal?
Rachid Andaloussi:
Les commissions  patrimoine mises en place par le  Wali à l’automne 2013 sont un  formidable outil pour la protection  du patrimoine architectural, urbain  et paysager de Casablanca. Non  seulement elles permettent aux  différents acteurs de la ville de  se rencontrer: Agence urbaine,  communes urbaines, ministère de la  Culture, etc. mais aussi d’échanger sur la richesse architecturale de la  ville. Dans le cas des entreprises  Legal Frères & cie, le dossier a  été présenté aux membres de la  commission et Casamémoire, ainsi  que l’Inspection des Monuments  historiques, ont bien précisé que  le bien était en cours d’inscription  au sein du ministère de la Culture,  ce qui a été acté. D’où cette  incompréhension face à la  démolition en cours...

Votre association a-t-elle une  stratégie de sauvegarde du  patrimoine de Casablanca pour  assurer la réhabilitation des  monuments de la ville et empêcher  leur délabrement?
Rachid Andaloussi:
Nous travaillons depuis de nombreuses années au  repérage des biens patrimoniaux  par l’intermédiaire d’un inventaire  systématique des bâtiments. Nous  essayons ensuite de les protéger  et de les mettre en valeur par nos  publications.
Mais Casamémoire, en tant  qu’association, n’a pas la capacité  d’intervenir sur les bâtiments, notre  unique recours est la sensibilisation  des citoyens. Mais la création  de la société Casa Patrimoine va  permettre d’aller plus loin dans  les réhabilitations des monuments  et cela nous donne beaucoup  d’espoir.

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