Invité par l’association Maroc Impact lundi 15 mai 2023 à Casablanca, Navi Radju, théoricien de “l’innovation frugale”, a déployé son concept, détaillé dans son livre, publié en 2015, et coécrit par Jaideep Prahbu.
Alors que la conjoncture mondiale est de plus en plus volatile, incertaine, complexe et ambiguë; volatile, il reste peu de place pour les certitudes . Une seule chose demeure cependant sûre: que la demande insatiable de produits toujours plus qualitatifs continuera augmenter alors que dans le même temps la disponibilité des ressources nécessaires pour la satisfaire baisse. “Concilier ce conflit apparent apparaît rapidement comme l’un des plus grands défis économiques de notre époque. Faire plus avec moins peut ne plus être une réponse à court terme à des conditions économiques difficiles”, explique Navi Radju.
Selon lui, elle doit devenir une stratégie commerciale essentielle à long terme et les entreprises qui adoptent cette nouvelle réalité devraient prospérer. Et “ceux qui continuent à vivre dans le déni périront sûrement”. Mais comment s’adapter à cette nouvelle donne ? L’économiste franco-indo-américain donne des exemples de cette frugalité productive. Ainsi, au Danemark, les entreprises co-localisées dans le parc industriel Kalundborg partagent les déchets et ressources entre elles de façon synergique, formant une «symbiose industrielle». Aux Pays-Bas, la plateforme Floow2 permet aux hôpitaux de partager leurs appareils médicaux et services, optimisant ainsi l’utilisation de leurs actifs et les services pour leurs patients.
Ainsi, l’idée de départ est de s’orienter vers une production décentralisée et des chaînes de valeur “hyper-locales”. “D’ailleurs, après la séquence de la pandémie covid-19, l’on va assister à une relocalisation importante des activités industrielles”, affirme Navi Radju. Il s’agirait de micro-usines hyper-agiles approvisionnées par des fournisseurs locaux capables de produire « mieux avec moins », c’est à dire fabriquer une grande variété de produits personnalisés à petite échelle et de façon durable : ce serait l’antithèse du modèle industriel chinois de production standardisée à grande échelle et hyper-polluante. L’on pourrait donc s’orienter vers la création plateformes collaboratives comme Xometry, un «marché industriel à la demande» crée dans l’Etat du Marylan aux Etats-Unis, qui utilise l’intelligence artificielle pour mettre en relation de grosses entreprises industrielles, comme GE ou BMW, avec des milliers d’ateliers d’usinage dans le monde qui peuvent produire rapidement des pièces de qualité économiques et sur mesure (cela permet aux propriétaires de petites usines de faire fonctionner leurs machines en permanence).
Énergie verte
Et pour contrecarrer le changement climatique, principal facteur qui pousse à revoir les formes d’exploitation de ressources,”il est impératif que les entreprises adoptent les principes de l’économie circulaire pour concevoir et fabriquer des produits respectueux de l’environnement et sans déchet”. L’on peut même aller plus loin en adoptant une approche “régénérative”. Plutôt que de réduire légèrement leur empreinte carbone (impact négatif), les entreprises peuvent aspirer à augmenter leur impact positif sur l’environnement. Elles pourraient, par exemple, construire des bâtiments à énergie positive, ou imiter Interface, le plus grand fabricant de dalles de moquette au monde, qui a construit une «usine-forêt» régénératrice en Australie. Cette usine génère des «services écosystémiques » vertueux comme l’eau potable et l’énergie verte qui sont offerts gratuitement aux communautés locales. Ainsi, les décideurs économiques, en prenant ce virage, verront leurs moyens de production devenir plus agile et plus profitable tout en construisant “une entreprise avec un esprit entrepreneurial, un coeur social et une âme écologique”, conclut-il.