La campagne, une réhabilitation en marche


Tous paysans !


La campagne a longtemps été abandonnée à elle-même et à ses propres moyens d’existence. Elle est désormais appelée à être le moteur du modèle de développement économique et social.

La campagne est à l’honneur. Il était temps. Pour preuve, la place qui lui est accordée, avec les réalités d’aujourd’hui et les projections de demain, dans le dernier discours royal à l’ouverture de l’actuelle session du parlement, vendredi 12 octobre 2018. Le monde rural tient une place primordiale dans le nouveau mode de développement auquel SM Mohammed VI appelle ardemment. Le Souverain veut faire de la campagne un levier économique, particulièrement pour les jeunes, à savoir le maillon le plus fragile du processus formation-emploi-insertion sociale dans les meilleures conditions possibles. À première vue, cela peut paraître difficilement accessible, comme si «à l’impossible nul n’était tenu», quelles que soient les circonstances.

Dans le fond, un mode de développement moderne n’est pas forcément antinomique du monde rural. En tout cas pas au Maroc; un pays foncièrement agricole. Mais aussi un pays où la campagne a été longtemps délaissée, abandonnée à elle-même et à ses propres moyens d’existence et de vie. L’appel du Souverain a une intonation voltairienne qui incite au retour à la terre. En fait, ce n’est que justice pour notre rapport à un milieu où nous puisons, d’une manière ou d’une autre, une bonne part de notre référentiel sociologique.

Et pourtant, il n’était pas bienvenu de revendiquer ses origines paysannes, surtout dans un environnement social où règne une urbanité hâtive et mal digérée. Cette forme d’opposition ville-campagne n’a plus le même sens qu’auparavant, dans une démographie à parité égale. La ville se ruralise dans une anarchie organisée tandis que la campagne tente de s’urbaniser sans que le terme ne soit porteur d’un développement rationnel et de bon goût. Ce rapprochement de deux espaces, tel qu’il se présente actuellement, est loin des ambitions royales dans ce domaine.

Moteur de développement
Nous avons constamment sous les yeux des terres agricoles parmi les meilleurs sols au monde, victimes d’une bétonisation rampante, si ce n’était déjà excessif. Des habitations dites abusivement sociales ne sont en fait que des cages à poules aux oeufs d’or massivement apparues tels des champignons sauvages.
Le tout, en parfaite rupture avec les ressources de la région et le but auquel elles étaient destinées. Un exemple parmi tant d’autres, à la périphérie de Casablanca. Voilà une ville-surprise, Arrahma, plus connue pour son cimentière, qui est à mettre dans cette catégorie. Vu la nature et la provenance des investissements, il est tout à fait prévisible que ces atteintes flagrantes à un urbanisme de qualité et à l’esthétique du paysage, prolifèrent un peu partout dans le Royaume. Ce n’est certainement pas le meilleur jumelage ville-campagne tel qu’il doit évoluer selon les orientations du Souverain.

Depuis l’indépendance du Maroc, on n’a cessé de parler d’exode rural à résorber. La question était de savoir comment retenir les jeunes et les moins jeunes parmi nos compatriotes sur leur terre de naissance et de croissance. Il fallait trouver les mots et les arguments receptibles pour les convaincre que la solution n’était pas de grossir les ceintures bidonvilloises de Casablanca et d’ailleurs. Le projet royal invite, précisément, à l’inversion de cette tendance lourde qui accompagne le pays depuis la fin du Protectorat. Cela fait un bail. Un mouvement migratoire qui semble avoir définitivement tracé son itinéraire. De la campagne à la ville, pourquoi s’arrêter dans cette migration Sud-Nord?

Désormais, la jeunesse rurale aura une offre plus incitative à une sédentarité prometteuse et engageante. En gros, la jeunesse rurale sera un moteur de développement économique et social, au lieu d’être un fardeau. Elle est appelée à prendre pied dans son terroir, armée de projets producteurs de revenus durables. La structure de la propriété agricole, aujourd’hui contrôlée par les grands propriétaires terriens, devra aider les petits agriculteurs à s’organiser en coopératives, pour plus de rendement. Près d’un million d’hectares appartenant aux collectivités seront ainsi mobilisés pour plus de productivité pouvant améliorer le niveau de vie de la population paysanne.

La scène grandeur nature de ce renversement de situation, longtemps jugé impossible, c’est toute la campagne marocaine, dans sa variété ethnique et culturelle, entre plaines et montagnes. Une campagne nourricière pour les siens, mais aussi pour les citadins dont elle assure le pain quotidien, au sens propre du terme. Une évolution qui changerait la donne actuelle à un point tel que la campagne serait en mesure de sécréter une classe moyenne d’essence rurale et d’une portée nationale.
Plus qu’un programme, un pari audacieux qui a valeur de rêve destiné à devenir une réalité à force d’y croire et de faire en sorte qu’il soit réalisable. Après tout, gouverner n’est-ce pas aussi être porteur de rêves à dimension nationale? Il est juste nécessaire que les plus directement concernés par cette perspective prometteuse en soient convaincus.

Changer la donne
La classe moyenne que l’urbanité n’a, jusqu’ici, pas pu produire; devrait être le produit d’une campagne capable d’allier le rendement à un sentiment vrai de bien-être, au nom de tous. Le Maroc aura ainsi appris à évoluer sur ses deux jambes, le rural et l’urbain. Dans le cas contraire, il serait unijambiste. Pour que cette vision royale se concrétise, il est également nécessaire qu’une volonté politique assure un accompagnement convaincant et crédible. Notre classe politique a grandement besoin de cette implication pour elle-même et dans son rapport au citoyen. Une mutation salutaire où l’homme politique venu de la ville, ou même issu du terroir, ne mettrait plus les pieds dans la campagne qu’à l’occasion d’une campagne électorale. Cette réalité malheureuse est également pour beaucoup dans la marginalisation du monde rural.

Une tendance très forte dès lors que la campagne était considérée comme «un espace-makhzen», réservé et traité comme tel; du coup, interdit à toute forme d’opposition. Aussi ancrée soit-elle, cette sociologie électorale a-t-elle disparu? Difficile à dire. La campagne reste un univers particulier où règne l’autorité du caïd et du cheikh, son bras droit. Une réalité coriace qui entrave toute évolution vers un mieux administratif, économique et social.

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