Polo noir, lunettes sobres. Sous ses airs propres de professionnel aguerri de l’événementiel artistique et culturel, se cache un homme qui a un défaut: Brahim El Mazned ne sait pas dire non à un projet culturel. Portrait du directeur-fondateur de Visa for Music, directeur artistique du festival Timitar et secrétaire général de la Fondation Hiba. Un travailleur discret mais acharné.
Dans un discret immeuble art déco situé en plein centre de la capitale, non loin du théâtre Mohammed-V, se logent les locaux de l’agence ANYA Culture, aussi discrète que celui qui l’a fondée en 2014.
En polo noir et lunettes sobres, Brahim El Mazned y reçoit tout au long de la journée -elle démarre très tôt pour lui et finit à des heures tardives la nuit-, pêle-mêle, journalistes, artistes et acteurs culturels de tous les continents.
Ses hôtes étaient surtout Africains quand Rabat, sa ville d’adoption, célébrait en 2022 “L’Afrique en Capitale”, événement dont lui a été confié “en haut lieu” la coordination globale.
Mais ses invités viennent aussi d’Amérique, d’Asie ou d’Europe quand il organise Visa for Music, sa fierté, grand marché de la musique d’Afrique et du Moyen-Orient, qui s’apprête à souffler sa dixième bougie.
Ce festival a commencé petit, sans véritable soutien officiel, juste avec de la volonté et une mobilisation horizontale d’une poignée de professionnels de la musique issue de plus de 80 pays, mais le voilà actuellement plus important et influent. Des musiciens de près d’une cinquantaine de nationalités sont attendus cette année 2023 du 22 au 25 novembre.
L’histoire de cet événement se confond avec celle de son fondateur.
Action culturelle
Avant de devenir le médiateur culturel qu’il est aujourd’hui et qui joue sur les deux cordes des décideurs politiques et des artistes, deux mondes qui ne parlent pas le même langage mais auprès desquels il jouit d’un important capital confiance, M. El Mazned nourrissait un rêve, celui de découvrir le monde, voyager.
Cela a commencé d’abord à travers la musique. M. El Mazned est né à Essaouira en 1967 dans une famille modeste qui décide de venir s’installer, alors qu’il est enfant, à Agadir et où la radio, et plus tard la télévision, passent les Rrways, des chanteurs amazighs comme Haj Mohamed Demsiri, Fatima Tihihit, ou encore des groupes mythique comme Izenzaren, Nass El Ghiwane, Jil Jilala.
Ne sont pas en reste les classiques de la musique marocaine ou arabe moderne de l’époque. Il citerait volontiers Fayrouz comme l’une de ses chanteuses préférées.
Curieux, assoiffé de découverte (la musique indienne l’inspirait également), il s’ouvre sans grande difficulté au rock et à la pop. David Bowie, Niagara, Dire Straits, énumère-t-il.
“Les années 80, c’était l’âge d’or de la musique”, relate-t-il. “Il y avait cette curiosité. On était à la fois attaché à nos expressions locales, mais aussi très ouverts sur le monde. Beaucoup plus qu’on ne l’est peut-être aujourd’hui.” À l’université, il se charge des ateliers culturels ainsi que d’un ciné-club. Il prend goût à l’action culturelle, devient membre de quelques ONG, rencontre énormément d’artistes d’opérateurs culturels. Des occasions de voyage se présentent, d’abord à travers le Maroc, principalement en milieu rural pour rencontrer les artistes traditionnels, et puis à travers le monde. C’est presque une centaine de pays qu’il a visité.
Préserver le patrimoine immatériel
“J’ai rencontré au cours de mes voyages à l’étranger des gens généreux, passionnés et passionnants et attachés à leur culture, j’ai découvert plein de musiques d’une diversité exceptionnelle: c’est ce qui m’a d’autant fait prendre conscience de la diversité culturelle et musicale et ce patrimoine immatériel inestimable que recèle notre pays”, confie-t-il.
Pour partager son expérience, (“Partager”: voilà un mot qui revient une vingtaine de fois quand on échange avec M. El Mazned), il se lance dans pleins d’initiatives culturelles, d’autant plus qu’il a un énorme défaut de son aveu même: “Je ne sais pas dire non à un projet!”.
C’est ainsi qu’il se retrouve engagé dans des aventures culturelles qu’il faut mener jusqu’au bout, travailleur infatigable qu’il est. Concerts, spectacles, scènes; programmer des artistes venant des quatre coins du monde; présider des jurys; organiser des résidences artistiques, des ateliers, des conférences, des festivals; produire des albums…
Dans ce sens, on cite par exemple l’édition en 2017 de l’Anthologie de l’Aïta, un coffret composé de 10 Cds et 2 livrets entièrement dédiés à cet important répertoire de la musique marocaine. L’anthologie des «Rrwayes» (2020), elle, se veut un voyage dans le monde des chanteurs et poètes amazighs itinérants.
En récompense, il a reçu le prix de l’Académie Charles Cros en 2017 et récemment le Prix international de Sharjah pour le patrimoine culturel.
Ces ouvrages représentent pour lui un hommage à la ruralité: “Des fois, on n’assume pas notre ruralité, mais le Maroc a une culture rurale extrêmement riche qu’on retrouve parfois en milieu urbain. On doit faire attention à préserver cette richesse, cette diversité et ce patrimoine inestimable de notre pays’.
Autre fierté de ce père de famille dévoué, le festival Timitar, devenu notamment le festival emblème de la perle du sud, fondé et soutenu en cela par un mécène proche, Aziz Akhannouch, l’actuel chef du gouvernement, dont M. El Mazned est, dit-on, le conseiller culturel.
Au fil de son parcours, M. El Mazned, également membre d’instances internationales (membre de la Banque d’expertise UE/UNESCO par exemple) et secrétaire général de la Fondation Hiba, a réussi comme un équilibriste, à avoir les oreilles des décideurs tout en restant à l’écoute de la scène artistique, en particulier les jeunes.